X-FILES / LA ZONE 51 : MYTHES ET RÉALITÉ
Cette base est une installation militaire couvrant plusieurs acres sur la rive sud-ouest de Groom Lake. La Zone 51 est l’un des endroits les plus secrets de la planète. En fait, jusqu’à récemment, les autorités niaient son existence.
UNE RÉFÉRENCE EMPOISONNÉE
Par Christian Page – Dans la saison 6 de la série Aux frontières du réel (X-files), deux épisodes (4e et 5e) sont consacrés à une aventure intitulée Dreamland (le pays des rêves). Alors qu’ils circulent près de la mythique base militaire de la Zone 51, les agents Fox Mulder (David Duchovny) et Dana Scully (Gillian Anderson) sont interceptés par un groupe d’agents dirigé par un certain Morris Fletcher (Michael Mckean). Au même moment, un aéronef triangulaire apparaît dans le ciel et darde sur Mulder un faisceau lumineux, provoquant de facto un transfert des personnalités : l’esprit de Mulder se retrouve dans le corps de Fletcher et vice-versa.
Cette base de la Zone 51 n’est pas une invention d’hollywood. Il s’agit d’installations militaires couvrant plusieurs acres sur la rive sud-ouest de Groom Lake, un lac asséché dans les montagnes Papoose, à quelque 190 kilomètres au nord-ouest de Las Vegas (Nevada). Malgré l’importance du complexe – dont la plus grande piste d’atterrissage au monde (8 800 m) – la Zone 51 est l’un des endroits les plus secrets de la planète. En fait, jusqu’à récemment, les autorités niaient jusqu’à son existence.
Depuis les années 1980, cette base s’est retrouvée au centre de toute une littérature « ovniaque ». Même le cinéma n’a pas hésité à l’associer aux ovnis. Qu’on pense à cette séquence du film Independance Day (1996) où le capitaine Steve Hiller (Will Smith) demande à un camionneur de le conduire jusqu’à la « base militaire ». Ce à quoi le chauffeur répond qu’il n’y a aucune base militaire dans le secteur. « Fiez-vous à moi qu’elle y est… », de rétorquer le capitaine Hiller. À l’époque, cette seule référence à la Zone 51 avait valu aux producteurs d’independance Day un refus de L’US Air Force de participer au film.
AVIONS SECRETS ET GUERRE FROIDE
Les installations de Groom Lake sont en réalité une annexe de la base militaire Nellis, près de Las Vegas. À une certaine époque, lorsque le Pentagone disait n’exploiter aucune base militaire à Groom Lake, il ne mentait pas, mais jouait sur les mots. Ce n’était pas une BASE, mais une
dépendance. L’endroit doit son nom aux anciennes cartes du Département de l’énergie. Au début des années 1940, dans la foulée du Projet Manhattan (bombe atomique), les militaires ont demandé au Département de l’énergie d’identifier des endroits où des tests nucléaires pourraient être menés sans risques pour les populations. Le Département a bientôt identifié plusieurs dizaines de « zones ». Parmi elles, celle de Groom Lake, désignée sous l’appellation de « Zone 51 ». Puis, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, devant la montée de la menace soviétique, le Pentagone a jugé qu’il fallait améliorer les services de renseignement, d’où l’urgence de mettre au point des avions-espions. Mais où construire de tels appareils? L’US Air Force a alors ressorti les vieilles cartes du Département de l’énergie et a ciblé la région de Groom Lake. L’endroit était à des centaines de kilomètres de toute agglomération. Un lieu idéal. Qui plus est, à la fin des années 1930, l’armée y avait aménagé une piste d’atterrissage et quelques baraquements rustiques pour l’entraînement des pilotes.
En 1954, L’US Air Force, la CIA et le géant de l’aviation Lockheed ont rafraîchi les installations désuètes de Groom Lake et l’endroit est devenu le site de développement du premier avion-espion américain : le U2. Depuis, ce complexe s’est transformé en un centre de développement et d’essai pour les prototypes les plus secrets de l’armée américaine : le SR-71 Blackbird, le « furtif » F-117 ou encore l’étonnant B-2. Ces dernières années, des rumeurs soutiennent qu’on y aurait développé une extraordinaire armada d’avions sans pilote (drones), des appareils sortis tout droit des livres de science-fiction.
DES AVIONS AUX SOUCOUPES VOLANTES
Jusqu’à la fin des années 1980, les installations de Groom Lake n’intéressaient que les mordus d’aviation. Puis, en 1989, le réseau de télévision KLAS (Las Vegas) a diffusé une entrevue avec un certain Robert Scott Lazar. Ce physicien autoproclamé disait avoir été envoyé, fin 1988, au centre d’essai S-4, une dépendance souterraine aux installations de la Zone 51, au sud-ouest de Papoose Mountain. Sur place, il aurait vu « neuf disques volants d’origine extraterrestre » ainsi que des photographies de créatures aux yeux bridés et à la peau grise. Ces aéronefs extraterrestres seraient tombés aux mains des militaires lors de différents incidents, dont l’écrasement de l’un d’entre eux dans le désert de Roswell (Nouveau-mexique), en juillet 1947. Entre décembre 1988 et mars 1989, Lazar aurait étudié le système de propulsion de ces « disques volants » pour en faire de la rétro-ingénierie. À l’en croire, plusieurs prototypes de L’US Air Force seraient à présent équipés de dispositifs développés à partir de cette technologie d’outre-espace.
Depuis, le témoignage de Lazar a été mis à mal. Des vérifications montrent que, contrairement à ses prétentions, il n’a jamais étudié au Massachusetts Institute of Technology (MIT), ni à la California Institute of Technology (Caltech). Son nom n’apparaît pas non plus sur la liste des membres de l’american Physical Society qui regroupe pourtant tous les physiciens professionnels américains. Placé devant ces « absences », Lazar a rétorqué qu’il était la victime d’un complot ourdi par quelque arcane secret du gouvernement pour le faire « disparaître » des registres officiels. Soit! Mais comment expliquer qu’aucun autre étudiant(e) du MIT ou de la Caltech ne se souvienne de lui? Comment expliquer que Lazar soit lui-même incapable de se rappeler un seul de ses condisciples, ni même le nom d’une des meneuses de claque de l’équipe de football?
En 1989, Lazar a expliqué que le secret de la propulsion des soucoupes volantes de la Zone 51 résidait dans un mystérieux « élément 115 ». Il faut savoir que le nombre atomique d’un élément est déterminé par la quantité de protons et d’électrons présents dans chaque atome de celui-ci. Tous les éléments de l’univers sont faits d’atomes dont le nombre varie de 1, pour l’hydrogène, à 118, pour l’oganesson, le dernier élément inscrit au tableau périodique. L’élément 115 évoqué par Robert Lazar, le muscovium (ou ununpentium), est un élément radioactif si instable (sa durée de vie est de 220 millisecondes) que son utilisation comme « combustible » est un non-sens. Pas étonnant qu’un physicien réputé, David L Morgan, ait qualifié le discours de Lazar d’élucubration. Selon toute vraisemblance, Lazar n’a aucune formation en physique.
La franchise de Lazar n’est pas son seul talon d’achille. En 1990, il a été arrêté par la police de Las Vegas pour proxénétisme. L’enquête devait révéler que Lazar n’en était pas à sa première infraction en cette matière. Au début des années 1980, lui et sa première femme avaient été accusés de tenir une maison close dans le nord de l’état. Le couple s’en était tiré avec une simple amende. Mais cette fois, l’affaire était plus sérieuse. En plus de proxénétisme, Lazar était accusé d’avoir utilisé des caméras dissimulées pour filmer des clients à leur insu et d’avoir tenu un registre strict de leur plaque d’immatriculation. Le 18 juin 1990, Lazar a plaidé coupable et s’est vu imposer une condamnation avec sursis de trois ans et 150 heures de travaux communautaires. Curieusement, cette fois, Lazar n’a pas joué la carte de la « victime d’un complot ».
En 2006 et 2007, Lazar s’est retrouvé de nouveau devant les tribunaux, accusé d’avoir vendu des substances radioactives et chimiques illégales. Il a été condamné à quelques mois de prison et à des amendes salées.
RETOUR DANS LA ZONE 51
Les doutes émis quant à la crédibilité de Robert Lazar n’ont pas découragé les amateurs d’ovnis. Pour eux, Lazar est « authentique » et ses déboires découlent d’une machination gouvernementale pour le discréditer.
Au lendemain des déclarations de Robert Lazar, des ufologues se sont donné rendezvous dans les montagnes entourant Groom Lake. De ces sommets, ils pouvaient surveiller de loin les activités de la base. Cette présence a tellement agacé les militaires, qu’en octobre 1994 l’armée a acheté 3 972 acres de terre supplémentaires autour de la Zone 51, incluant Bald Mountain où se réunissaient les ufologues.
Du village de Rachel – la plus proche agglomération –, deux routes conduisent à Groom Lake : la route nationale 375, rebaptisée officiellement « Autoroute extraterrestre » (Extraterrestrial Highway) en 1996, et la Back Gate Road. Dans les deux cas, les voyageurs doivent s’arrêter avant d’arriver à destination. Des panneaux les informent en effet qu’ils entrent dans un secteur militaire interdit et qu’à partir de ce point « l’utilisation de la force létale est autorisée » (Deadly Force Autorized). Avis aux téméraires qui seraient tentés d’aller plus loin : le secteur est patrouillé par des agents qui n’entendent pas à rire.
UNE RECONNAISSANCE QUI S’EST FAIT ATTENDRE
Aujourd’hui, la base de Groom Lake est de notoriété publique. Dans des moteurs de recherche comme Google Map, il suffit d’entrer « Groom Lake, Nevada » pour que le logiciel vous amène au-dessus des installations. Mais il n’en a pas toujours été ainsi. Dans les années 1980, l’armée niait l’existence de ces installations. Puis, en août 1998, à la suite d’une demande citoyenne via la loi d’accès à l’information, L’US Air Force a admis exploiter des installations militaires – appelé Nellis Range Complex – près de Groom Lake. « Les activités et les opérations menées à Nellis Range, aussi bien présentes que passées, demeurent toutefois confidentielles et ne peuvent être discutées publiquement », d’ajouter le communiqué.
La « Zone 51 » fait maintenant partie du folklore populaire. Elle a été mentionnée dans les X-files et Independance Day, mais également dans Indiana Jones et le Royaume du Crâne de Cristal (2008), Paul (2011), Le Signal (2014). Même la petite Lisa Simpson s’est retrouvée dans le Zone 51… Les présidents Barack Obama et Bill Clinton ont aussi blagué à son sujet. En 2015, lors d’un passage à l’émission de fin de soirée de Jimmy Kimmel, Bill Clinton a même admis avoir demandé à ses conseillers de voir ce qui se tramait à la Zone 51. « Mais il n’y a là aucun extraterrestre, d’ajouter Clinton, seulement des installations où on développe notre technologie furtive. »
Pour les théoriciens du complot, il en faudra davantage pour les convaincre qu’il n’y a rien « d’extraterrestre » derrière les grilles de la base de Groom Lake. Qui plus est, depuis les révélations de Bob Lazar, d’autres « employés » – tous plus anonymes les uns que les autres – sont venus témoigner qu’il y avait bel et bien des soucoupes volantes dans la Zone 51. Pour certains, ces révélations soulèvent des questions légitimes. « Il n’y a pas de fumée sans feu », disent les complotistes ou, comme le rappelle la devise des X-files, « La vérité est ailleurs »… et pourquoi pas, disent d’aucuns, dans le désert du Nevada?