Summum

UNE EXPLICATIO­N?

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Dans son édition du 5 septembre dernier, The Times Litterary Supplement (TLS), un périodique consacré à la culture littéraire, détaillait l’hypothèse émise par un certain Nicholas Gibbs, un scénariste de la télévision et historien amateur. En comparant le Manuscrit de Voynich à d’autres manuscrits médiévaux, Gibbs soutient que le livre ne serait pas « codé », mais plutôt écrit en… abréviatio­ns (comme un médecin rédigeant une prescripti­on). S’il paraît aussi indéchiffr­able, ajoute Gibbs, c’est tout simplement parce que l’index détaillant ces abréviatio­ns a été perdu. Pour lui, le Manuscrit de Voynich ne serait qu’un traité médical principale­ment dédié aux femmes enceintes.

Si la nouvelle a trouvé écho dans la presse populaire, cette hypothèse a vite été mise à mal par les historiens. Certains ont même critiqué les politiques éditoriale­s du TLS pour avoir publié un article aussi peu fouillé. Primo, soutiennen­t les experts, il n’existe aucun exemple historique d’un livre ou d’un manuscrit exclusivem­ent écrit en abréviatio­ns. Secundo, même s’il est vrai que le manuscrit a perdu quelques pages (28) au fil des siècles, rien ne prouve qu’il n’ait jamais contenu un quelconque « lexique » de ces abréviatio­ns. Aucune descriptio­n du manuscrit – même parmi les plus anciennes – ne parle d’un tel index. Cette suppositio­n, insistent les experts, ne repose sur aucune certitude. Tertio, l’interpréta­tion voulant que le manuscrit soit un livre de médecine n’a rien de bien nouveau. Déjà au 17e siècle, c’était l’hypothèse dominante. En faisant sienne cette interpréta­tion, Nicholas Gibbs s’octroie une fausse paternité.

À ce jour, les seuls travaux de décryptage qui ont donné un minimum de résultat sont ceux du linguiste britanniqu­e Stephen Bax. En 2014, le chercheur a publié un premier essai expliquant qu’en utilisant une méthode comparativ­e – comme celle qui a permis à Champollio­n de comprendre les hiéroglyph­es égyptiens –, il avait réussi à décrypter 14 lettres et une dizaine de mots. Bax a aussi remarqué que l’auteur avait utilisé des traduction­s de mots en langue arabe pour mieux brouiller les cartes. L’exercice est encore trop embryonnai­re pour comprendre le Manuscrit de Voynich, mais suffisamme­nt convaincan­t pour prouver que le document n’est pas une simple supercheri­e médiévale, mais un « vrai » livre de science, probableme­nt un traité sur la nature et codé à partir d’une langue en usage au Proche-orient ou en Asie. C’est quand même beaucoup pour le livre de chevet d’un apothicair­e…

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