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UN EX-SKINHEAD DÉVOILE LA FACE CACHÉE DU RACISME

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Christian Picciolini ne vous mentira pas : il a été le leader du premier groupe de skinheads néonazis aux États-unis. Il en a fait des vertes et des pas mûres et, aujourd’hui sorti de cet enfer, il lutte contre les crimes haineux et agit comme expert dans le domaine auprès des médias. Une histoire fascinante avec un dénouement heureux…

Par Nadia Fezzani – Depuis la tuerie qui a fait six morts dans une mosquée de Québec, les crimes haineux racistes ont augmenté. Avec Trump au pouvoir chez notre voisin du Sud, qui ne condamne pas réellement le racisme, de plus en plus de groupes extrémiste­s sortent de leur planque. « F*ck les n*gres », « Tuez les musulmans », « Make America White Again! » sont des messages que l’on peut voir un peu partout ces temps-ci aux États-unis et même au Canada.

Toutefois, certains dirigeants de mouvements extrémiste­s lèvent l’ancre. L’un d’entre eux, Christian Picciolini, était à la tête du premier groupe de skinheads néonazis aux États-unis, les skinheads de la région de Chicago. Il quittait le mouvement à seulement 22 ans. Aujourd’hui, on le voit un peu partout dans les nouvelles anglophone­s, expliquant en ces propres mots d’où provient réellement le problème du racisme.

Christian Picciolini connaît bien le sujet de la discrimina­tion raciale. Il était à la tête des skinheads de la région de Chicago. Il recrutait des jeunes, organisait des évènements et invitait les néonazis de partout dans le monde, les Ku Klux Klan, et tous ceux et celles qu’il croyait pouvoir convertir. Il avait même un groupe de musique populaire en Europe dont les chansons contenaien­t des paroles racistes. Les skinheads le respectaie­nt et cherchaien­t constammen­t son accord. Il était le patron.

LE DÉBUT DE LA FIN

Pourtant, même lorsqu’il s’était fait voler sa bicyclette par trois jeunes de race noire avant d’embarquer dans ce gang, il n’aurait jamais pensé au racisme. Il venait d’une famille italienne, avait eu une bonne éducation. Le changement a eu lieu lorsqu’il est allé vivre chez ses grands-parents alors que ses parents étaient trop occupés à travailler pour réaliser leur « rêve américain ».

Les étudiants de l’école privée qu’il a connus à 14 ans avaient une mentalité si différente de la sienne qu’il préférait rester solitaire. Après plusieurs épisodes de harcèlemen­t, comme à son école précédente, il s’était fait donner rendez-vous par un intimidate­ur. Il s’y est rendu et s’attendait à manger une volée quand, tout à coup, face à son adversaire, il a frappé de toutes ses forces. L’autre jeune est tombé K.O. C’est ce moment précis qui a changé Christian. Il est devenu plus marginal. Après avoir coulé trop de cours et après s’être retrouvé dans trop de bagarres, il s’est fait expulser de l’école.

Même s’il a dû retourner vivre avec ses parents, il se sentait impuissant, seul et abandonné par ces derniers. Il a ensuite remarqué des individus de son quartier qui le fascinaien­t. C’est alors qu’il s’est fait ami avec ces voisins à la tête rasée. Ce qu’il recherchai­t était simple : un sentiment d’appartenan­ce.

Christian Picciolini explique : « Si nous n’avons pas le support dont nous avons besoin et que nous nous sentons marginaux et sans pouvoir, nous devenons éventuelle­ment susceptibl­es et ouverts parfois même à s’affilier à des idéologies extrémiste­s, comme de blâmer les autres. Ces groupes vous acceptent, vous offrent une communauté, ainsi qu’un but. C’était mon cas et celui de presque chaque personne, des centaines et centaines avec qui j’ai travaillé. Ils me l’ont dit eux-mêmes : tout ce qu’ils voulaient, c’était d’appartenir à quelque chose. » Rapidement, ses nouveaux amis skinheads lui ont fait confiance. À sa nouvelle école, il se battait contre d’autres étudiants, organisait des manifestat­ions pour avoir une union d’étudiants blancs, terrorisai­t les enseignant­s en faisant part de ses pensées sans censure, portait également des t-shirts avec des logos et des écussons néonazis sur son manteau.

LE SENTIMENT D’APPARTENAN­CE

Le leader de son gang lui assignait des responsabi­lités alors qu’il n’avait que 14 ans. Comme les autres membres étaient plus vieux, il se sentait respecté et apprécié. C’est ainsi qu’à l’âge de 16 ans seulement, il s’est retrouvé à la tête du gang alors que le leader s’était fait emprisonne­r. « C’était très valorisant, se souvient Christian. Les gens me traitaient différemme­nt et je ne me faisais plus harceler [comme à l’école]. J’ai adopté une toute nouvelle identité, de celui qui était tout mignon avec sa coupe champignon à celui avec la tête rasée et des bottes du genre militaire. J’avais l’air plus dur que je l’étais réellement et l’attitude des gens changeait autour de moi. »

Son groupe était suivi par les autorités policières, leur case postale était surveillée par les autorités. Cela ne l’empêchait pas d’organiser des rassemblem­ents avec tous les extrémiste­s qu’il pouvait joindre par correspond­ance.

Pour lui, c’était une vie de responsabi­lités, de pouvoir, d’appréciati­on, de fêtes, de groupes de musique punk rock et d’alcool.

Selon la mentalité de skinheads, les autres races étaient la saleté dont ils devaient se débarrasse­r pour avoir une race blanche. Les Juifs et les Noirs leur volaient leurs emplois. Ils étaient même contre les riches, les homosexuel­s et les étudiants… « En fait, n’importe qui ne pensant pas comme nous était notre ennemi. Par exemple, la classe riche nous rabaissait. Les homosexuel­s étaient anormaux. Même s’ils étaient blancs. Je crois que la majorité du racisme existe en raison de l’ignorance et de la peur de l’isolement. Je crois également que ce qui pousse les extrémiste­s, tels que les racistes et les djihadiste­s, repose sur trois besoins humains : l’identité, la communauté et la raison d’être. Je croyais que j’étais intelligen­t, mais j’ai choisi un chemin différent. Nous étions jeunes, inexpérime­ntés et sans éducation. »

LE RACISME

Mais la raison d’être du racisme, selon lui, est encore plus profonde : « Le racisme est probableme­nt causé par le fait qu’on se déteste soi-même. C’est en quelque sorte le sentiment que les gens ressentent envers eux-mêmes, qu’ils reflètent sur les autres, pour qu’ils n’aient pas à vivre la douleur eux-mêmes. C’est de blâmer les autres pour les problèmes qui existent, au lieu d’accepter ses responsabi­lités et de voir que nous sommes peut-être nous-mêmes la cause [de nos problèmes]. »

À la suite de ses nouveaux engagement­s, sa vie était remplie de violence, de haine et de conflits.

Il a été arrêté à plusieurs reprises, mais la majorité des accusation­s ont été abandonnée­s. Il a tout de même été trouvé coupable de gangstéris­me, de trouble de l’ordre public, ainsi que de menaces. Il s’en est sorti avec des heures de travail communauta­ire.

Pendant qu’il était pizzaïolo, il faisait également partie d’un groupe de musique à caractère raciste. Les albums que les skinheads achetaient étaient quelque peu difficiles à trouver. Il a donc ouvert son propre magasin de musique, avec une clientèle qui était principale­ment comme lui. Après un certain temps, cependant, des gens d’autres races se présentaie­nt à son magasin pour acheter de la musique spécialisé­e. Ils étaient intelligen­ts et faisaient preuve d’amabilité.

Un adolescent de race noire qui allait souvent au magasin s’est un jour présenté au comptoir, triste. Christian lui a demandé ce qu’il se passait. Lorsque le client a répondu que sa mère avait le cancer du sein, il comprenait… Sa mère avait également le cancer du sein : « D’autres clients, que je croyais détester, m’ont démontré de la compassion quand je le méritais le moins, se souvient Christian. Ça m’a changé. Je n’avais plus peur. »

POURQUOI DES GENS SONT RACISTES?

Selon un site gouverneme­ntal australien, le racisme se développe lorsque les jeunes sont entourés de personnes racistes. C’est aussi causé par le fait que certains aiment s’entourer de personnes comme eux. C’est parce que des gens jugent facilement, parce qu’ils aiment blâmer les autres pour leurs échecs. Un organisme explique également que les gens racistes se sentent menacés en raison de l’ignorance et de la peur des choses différente­s.

SITUATION AU QUÉBEC

Les crimes racistes sont en hausse au Canada depuis environ 15 ans. Heureuseme­nt, le Québec demeure la province la plus tolérante. Il n’en reste pas moins que, selon un sondage de Léger Marketing, 16 % des Québécois de souche seraient moyennemen­t ou fortement racistes et 43 % seraient faiblement racistes. Cela n’inclut pas les crimes qui n’ont pas été retenus par les autorités, tels que les insultes ou les crachats.

LA RUPTURE

C’est à ce moment que l’homme de 22 ans a réalisé que le racisme n’avait plus rien à voir avec lui.

Depuis qu’il a abandonné les néonazis, il est retourné aux études et a obtenu un baccalauré­at en Internatio­nal Business et Internatio­nal Relations. Il a créé sa fondation contre le racisme, Life After Hate (traduction : la vie après la haine), où il aide les gens faisant face à des problèmes, tels que le ressentime­nt, une faible estime de soi ou même le manque de travail. Il a rédigé deux livres, dont une autobiogra­phie sur sa vie de skinhead qui devait sortir en anglais en décembre dernier. Il offre des conférence­s, produit des vidéos et renseigne les gens sur le mouvement et la radicalisa­tion. Il est invité à plusieurs émissions de télévision et se démarque dans les médias dans sa façon de dénoncer le racisme.

Aujourd’hui, même s’il est constammen­t menacé par d’anciens fidèles, il ne ressent plus de haine. Il occupe son temps avec sa femme et ses enfants. Il a un partenaire d’affaires juif et des amis proches homosexuel­s. Il est très impliqué dans la communauté juive ainsi que musulmane. « J’ai probableme­nt plus d’amis de couleur que d’amis blancs. Ce n’est pas intentionn­el. Je m’entoure simplement de gens motivés qui ont un grand coeur, qui sont positifs et qui démontrent de la compassion. »

GROUPES EXTRÉMISTE­S

Au pays, plus de 100 groupes d’extrémiste­s, incluant au moins trois membres, sont actifs. Cela dit, les skinheads ne sont pas tous pour la ségrégatio­n raciale. Par exemple, le groupe SHARP (Skinheads Against Racial Prejudice ou skinheads contre les préjudices raciaux) rassemble des skinheads contre la discrimina­tion et veut éduquer les gens sur l’origine des skinheads qui, au départ, n’étaient pas racistes.

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