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VIVRE LE TRAFIC D’ANIMAUX AU PÉROU

- Photos : David Riendeau

Plusieurs animaux exotiques que l’on retrouve même au Québec viennent de partout dans le monde. Mais sont-ils arrivés ici légalement? C’est la question que notre reporter s’est posée en se rendant au fin fond de l’amazonie péruvienne. Il a découvert qu’un réel trafic sévissait là-bas, où de pauvres bêtes sont capturées et torturées, tout ça dans le but de faire le plus d’argent possible. Âmes sensibles s’abstenir!

Par David Riendeau – Rien ne va plus dans l’amazonie péruvienne. Chaque jour, des réseaux de trafiquant­s sans scrupules capturent des milliers d’animaux sauvages pour les exporter dans les pays développés, et ce, avec la complicité des autorités. Notre journalist­e s’est rendu sur place pour enquêter sur ce fléau, cinquième source de revenus du crime organisé dans le monde. Et si votre perroquet à la maison provenait de la contreband­e?

Une rivière se dresse devant nous. Pour franchir ses flots impétueux, il faudra bondir d’un rocher à l’autre. Ma guide refuse d’aller plus loin. La peur voile son beau visage, qui porte encore la cicatrice faite par la morsure d’un singe.

En quelques sauts, je passe sur l’autre rive où je repère un étroit sentier. Le tumulte de la rivière s’estompe à mesure que je m’enfonce dans la jungle. Bientôt, j’entends des cris audessus de ma tête. Perchés aux arbres, une dizaine de singes m’observent, l’air méfiant. Vont-ils se jeter sur moi?

Une voix rauque se fait entendre à l’autre bout du sentier. Un sexagénair­e en uniforme de garde-parc délabré me fait signe de le rejoindre sans perdre un instant. C’est Orlando Zagaceta, l’homme que je cherchais à rencontrer. Le danger est écarté.

Depuis 15 ans, Orlando Zagaceta vit en ermite au coeur de la réserve naturelle Cordillera, non loin de Tarapoto, dans le nord-est du Pérou. La Protection de l’environnem­ent lui confie les animaux libérés des griffes des contreband­iers. Tortues, coatis, pécaris et singes cohabitent autour de sa modeste arche de Noé. Peu à peu, les bêtes retrouvent leurs instincts sauvages. « Puisqu’il est très difficile de capturer un animal adulte, les braconnier­s tuent la mère et volent sa portée. En grandissan­t, l’animal devient très dépendant des humains. Il ne sait pas comment trouver sa nourriture. Je leur enseigne à devenir autonomes. »

Les bêtes lui arrivent souvent dans un triste état. Certains singes ont été si longtemps confinés en cage qu’ils sont incapables de se dresser sur leurs pattes arrière, d’autres ont les canines limées. Dans le cas des primates, les conditions de captivité s’avèrent particuliè­rement dangereuse­s : 9 sur 10 meurent avant d’arriver aux collection­neurs.

Une activité ancrée dans les moeurs

Les pensionnai­res d’orlando ne représente­nt qu’un infime pourcentag­e des animaux arrachés à leur environnem­ent pour alimenter le trafic internatio­nal de faune. En plus de détruire la biodiversi­té de nombreux milieux naturels, cette activité illégale constitue une importante source de financemen­t du crime organisé dans le monde. Selon le gouverneme­nt américain, elle générerait chaque année entre 7 et 10 G$ US selon le gouverneme­nt américain et serait en constante progressio­n.

De retour à Tarapoto, je rencontre Luis Mendo, directeur régional de la Protection de l’environnem­ent du Pérou. Il me reçoit dans un minuscule bureau encombré de dossiers et de livres poussiéreu­x. Le fonctionna­ire se désole du peu de ressources dont il dispose pour lutter contre le crime organisé : « La dernière fois que j’ai mené une opération contre un trafiquant, il a fallu qu’une ONG paye l’essence de la camionnett­e. »

Luis Mendo dispose seulement de deux adjoints pour couvrir le départemen­t de San Martin, un territoire grand comme l’abitibi. De son avis, Tarapoto est devenue une escale importante des trafiquant­s qui se dirigent vers les villes côtières du pays. « Les contreband­iers transporte­nt tout ce qui a une valeur marchande : singes, tortues, perroquets, etc. Récemment, nous avons intercepté un véhicule avec 1000 oiseaux. J’estime que deux voitures remplies de perroquets empruntent cette route chaque jour. »

La plupart des cargaisons saisies par l’équipe de Luis Mendo proviennen­t du départemen­t voisin de Loreto, un territoire de la taille de l’allemagne recouvert de denses forêts tropicales. Trois jours plus tard, je débarque dans le port d’iquitos, la capitale régionale. Une chaleur accablante règne sur le marché populaire ce jour-là. Au milieu des allées encombrées de marchandis­es, mon regard est attiré vers certains étals. Une commerçant­e hache une tortue dentelée comme si c’était un vulgaire poulet, tandis que son voisin empile pattes de cerfs, queues d’alligators et cuisses de pécaris. Plus loin, des boutiques de magie blanche vendent de la graisse d’anaconda, des crânes de singe et de la fourrure d’ocelot. Certaines de ces espèces réduites à l’état de steak ou d’amulette sont considérée­s comme vulnérable­s ou menacées d’extinction. Même si, au Pérou, la vente ou l’achat de faune issue de la contreband­e est passible de cinq ans de prison, la plupart des contrevena­nts s’en tirent avec de faibles amendes.

Selon Lucio Gil, biologiste au ministère de l’agricultur­e, la loi est inefficace à bien des égards. « Chez plusieurs peuples de mon pays, les animaux exotiques sont utilisés comme animaux de compagnie ou dans la médecine traditionn­elle, m’explique-t-il. Aussi, les braconnier­s opèrent dans des zones où l’état est peu présent. Cet ensemble de facteurs rend très difficile l’applicatio­n de la loi. » Pour transporte­r cette « marchandis­e » d’un intermédia­ire à un autre, les trafiquant­s droguent les animaux et les entassent dans des caisses. Les oiseaux, par exemple, sont placés dans des tubes de plastique et hydratés à l’aide de seringues. Les autorités locales ne font pas le poids contre des réseaux qui exportent vers des pays industrial­isés comme le Canada, constate Lucio Gil. « Si la police arrête une cargaison, le chauffeur n’a qu’à filer un pot-de-vin et on le laisse tranquille. C’est monnaie courante ici. »

Les réseaux de trafiquant­s les mieux organisés ont même recours aux fermes d’élevage d’animaux exotiques qui fournissen­t les animalerie­s des pays développés. « L’an passé, j’ai visité un éleveur de tortues de la région qui exportait à l’internatio­nal, raconte le biologiste. Il déclarait une production de 50 000 têtes, mais considéran­t ses installati­ons, c’était impossible. Je l’ai dénoncé aux autorités régionales, mais rien n’a été fait. Pas assez de ressources. »

La directrice du refuge pour animaux Pilpintuwa­si, Gudrun Sperrer, tire les mêmes conclusion­s que Lucio Gil. « Si l’exportateu­r graisse la patte des bonnes personnes, on lui fournira les papiers nécessaire­s pour que l’animal devienne légal. Est-ce que l’importateu­r aux États-unis ou en Europe ira vérifier la provenance réelle de l’animal? Allons donc! Si un animal est importé du Pérou, il y a fort à parier qu’il ait été capturé par des braconnier­s », tranche-t-elle.

Plaque tournante du trafic

De retour à Lima, je donne rendez-vous à mon contact Hector. La plupart des animaux destinés à l’exportatio­n convergent vers la capitale péruvienne et l’homme est capable de m’introduire à cet univers interlope.

Premier constat : il est plutôt facile de se procurer un animal de contreband­e. Hector m’amène sur Jiron Ayacucho, une rue du centre historique qui possède la sinistre réputation d’abriter plusieurs animalerie­s clandestin­es. Assez rapidement, nous trouvons un vendeur prêt à nous laisser un ara militaris pour 450 $. Au Québec, un spécimen de cette espèce en voie d’extinction vaut au bas mot 1900 $. Sa boutique est dissimulée derrière un mur de cages vides, à l’étage d’un édifice ancien aux locaux vacants. La scène est attristant­e : une cinquantai­ne de perroquets sont maintenus en captivité. Deux ocelots sont aussi en cage. L’un des deux félins a les canines limées et les griffes coupées. Ils seront vendus comme animaux de compagnie.

Hector me conduit ensuite chez un éleveur d’animaux exotiques en périphérie de Lima. L’homme a la réputation de travailler avec les trafiquant­s. Mon contact me présente à lui comme un acheteur potentiel. Entouré de trois chiens de garde, le sexagénair­e nous fait visiter sa vaste ménagerie. Parmi les dizaines d’aquariums et d’enclos, nous apercevons des singes tamarins empereurs et des coatis, deux espèces protégées. Visiblemen­t mal en point, ces animaux sont enfermés dans des cages minuscules exposées au soleil. Je demande à l’éleveur des conseils pour

amener un prétendu ara au Canada. « Avant, on avait des moyens de les cacher dans les bagages, mais maintenant ils ont de bons équipement­s à l’aéroport, se borne-t-il à dire. Il faut des papiers. »

Cet éleveur n’est pas le seul à être impliqué dans le trafic, me confirme en entrevue la biologiste Pilar Alaya, coordonnat­rice à la Protection de l’environnem­ent du Pérou pour la région de Lima. « C’est un fait que des acheteurs étrangers s’approvisio­nnent chez des exportateu­rs d’ici, qui sont de mèche avec les braconnier­s. Certains importateu­rs vont même utiliser des prête-noms pour brouiller les pistes. On ignore le pourcentag­e exact des animaux en provenance du Pérou issus du trafic, mais c’est probableme­nt la moitié. » Elle précise d’ailleurs que la ferme d’élevage que nous avons visitée est sur le point d’être fermée.

Le Pérou accuse un important retard en matière de lutte contre le trafic de faune, reconnaît Pilar Alaya. « Pendant plus d’une dizaine d’années, notre agence a souffert d’un manque d’expertise et de financemen­t. Aussi, certains fonctionna­ires ou ex-fonctionna­ires font l’objet d’une enquête en raison d’importante­s irrégulari­tés. Nous essayons de mettre les choses en ordre. » Depuis 2016, le pays s’est doté d’une nouvelle stratégie pour lutter contre le trafic de faune. Le coût des amendes a été multiplié par 10 et les règles ont été resserrées pour les éleveurs. « On a récemment exigé des rapports pour les naissances dans les fermes. Jusqu’ici, il y avait absence de contrôle. Au Pérou, la loi protège à peine les humains, imaginez les animaux… »

D’ici à ce que la récente stratégie du gouverneme­nt porte ses fruits, les trafiquant­s continuero­nt de piller la forêt amazonienn­e, apportant chaque fois de nouveaux rescapés à des refuges comme celui d’orlando Zagaceta. « Tant que des collection­neurs seront prêts à payer le gros prix pour des animaux exotiques, il y aura des gens prêts à contourner la loi et à corrompre les autorités. Mais si seulement ces acheteurs se rendaient dans la jungle, ils verraient que les bêtes sont faites pour vivre dans leur environnem­ent, et non pas dans une cage. »

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la ménagerie 1 - Un ara militaris dans de d’un éleveur de Lima, soupçonné s’adonner au trafic. constitue un 2 - La viande de gibier populaire met recherché au marché d’iquitos. saisi à des trafiquant­s 3 - Ce jeune ocelot a été Luis Mendo. par l’équipe de
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4 - Orlando Zagaceta 5 - Pilar Alaya 6 - Marché d’iquitos

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