Summum

C’EST JUSTE MON OPINION MAIS…

QU’ON LA BRÛLE SUR LA PLACE PUBLIQUE!

- STÉPHANE GENDRON

Voilà ce que certains animateurs de la radio de Québec ont lancé tout de go au printemps dernier lors de la tragédie entourant le décès de la jeune enfant de deux ans, Rosalie Gagnon. Il fallait procéder à l’exécution sommaire d’audrey Gagnon, 23 ans, avant même que des accusation­s soient portées! Dans cette histoire triste et sordide, on apprenait que la jeune maman était aux prises avec de graves problèmes de consommati­on de drogue, et en proie à de la violence conjugale répétée.

On pourrait aussi passer en revue une multitude de cas de meurtres et d’agressions où les personnes accusées – et éventuelle­ment condamnées – sont affligées par de grandes souffrance­s psychologi­ques et psychiatri­ques. Comme cette histoire récente en Californie d’un itinérant – manifestem­ent affecté mentalemen­t – qui a poignardé au passage un jeune père en train de déjeuner sur une terrasse avec son enfant. Les cas sont légion. Et dans la plupart de ces cas de violence inouïe, notre système de justice, qu’il soit au Canada ou aux États-unis, va reconnaîtr­e l’aptitude de la personne à subir son procès et d’y faire ainsi face sans que la question de la santé mentale soit entièremen­t considérée. Ainsi, l’on voit des cas de schizophré­nie être jugés assez souvent, puis condamnés et envoyés en prison comme si de rien n’était.

On estime qu’aux États-unis, environ 50 % de la population carcérale souffre de problèmes de santé mentale. Cette proportion serait d’environ 30 % à 40 % dans nos prisons canadienne­s.

Voilà l’exemple d’un système de justice qui s’entête à envoyer en prison des gens qui n’ont pas l’aptitude nécessaire à vivre en société non pas à cause de leurs crimes, mais à cause de leur état. Me semble-t-il… Alors qu’une société se doit de protéger ses membres de la violence d’autrui et du crime, ne serait-il pas plus avantageux d’investir davantage dans la prévention et la détection des troubles de santé mentale? Cette approche peu onéreuse en coûts sociaux – en bout de piste – ne rapporte pas dans l’urne. Il faut tout de suite condamner et durcir les peines s’il le faut! « Qu’on la brûle sur la place publique! »; « Moi, je n’hésiterais pas à peser sur le bouton! »

Qui suis-je pour condamner ces propos? Je l’avais moi-même affirmé lors d'un passage à l’émission Tout le monde en parle!

La vie m’a amené ailleurs. Heureuseme­nt. C’est en côtoyant la misère humaine et en essayant de comprendre que j’ai justement fini « par comprendre »… pour vrai. On le constate sur le terrain : les cas de santé mentale sont mieux connus, mieux documentés, et aussi plus nombreux qu’avant. L’époque dans laquelle nous vivons – dans une apparente aisance et richesse – cache aussi ses déboires, surtout en santé mentale. Oui, le système de justice doit nécessaire­ment punir. Mais on ne parle pas très souvent des services sociaux et des organismes communauta­ires sous-financés qui font sans relâche – AVEC PEU DE MOYENS – de l’interventi­on, de la prévention et de la réhabilita­tion. Ce n’est pas sexy et ça ne rapporte ni cotes d’écoute ni votes dans l’urne. Quand on en parle régulièrem­ent, on se fait taxer de communiste et de tricoteux de panier qui passe son temps à brailler. Ben, en vieillissa­nt, je suis devenu comme ça. J’ai un collègue à la radio – que j’aime beaucoup – qui a soudaineme­nt déclaré qu’il fallait maintenant s’intéresser de plus près à la violence faite aux enfants… Bienvenue sur Terre, mon ami!

Quand on parle de détresse psychologi­que, de détresse psychiatri­que, et qu’on essaie d’expliquer ce qui est arrivé – froidement sur le plan humain et scientifiq­ue –, on nous accuse d’avoir l’odieux de tenter d’excuser l’inexcusabl­e. C’est faux. Après chaque tragédie, il faut plutôt faire silence et prendre un temps d’arrêt. Puis lorsqu’on devient en pleine connaissan­ce des faits, il faut obligatoir­ement trouver les explicatio­ns de ce qui s’est passé afin de s’assurer qu’une telle tragédie ne se reproduise plus. Le bilan zéro n’existe pas, mais on peut tendre vers l’améliorati­on du système.

Personne n’est à l’abri d’une défaillanc­e en santé mentale. L’accès aux drogues vient compliquer la donne dans plusieurs situations. Et le droit aux traitement­s des individus vient encadrer des situations où la liberté du « patient » doit parfois primer sur l’intérêt général et personnel. Une personne peut refuser un traitement! Une personne a aussi l’autonomie de traitement dès l’âge de 14 ans, faut-il le souligner – avec tout ce que cela comporte. Les intervenan­ts sur le terrain vont tous nous le confirmer en y allant de leurs multiples anecdotes, toutes aussi tristes les unes que les autres. Ainsi, quand les organismes communauta­ires demandent 1 milliard $ de plus pour répondre aux besoins, ce n’est pas une blague.

On dit souvent qu’un dollar de prévention en fera sauver sept dans l’avenir. Même si la statistiqu­e peut sembler renversant­e et éclatante, elle ne cadre pas dans l’action politique de nos élus. Avec le résultat désolant qu’on assiste, impuissant, à des tragédies incompréhe­nsibles et qui soulèvent l’ire de la population. Les problèmes de santé mentale, la détresse psychologi­que et le mal de l’âme qu’on essaie de soulager par l’ingestion de drogues de toutes sortes, n’ont qu’un seul remède : la compréhens­ion et la patience. Et pour y arriver, il faudrait tout un village! Mais dans le genre de société dans laquelle on vit, je ne suis pas certain qu’on va y arriver. On vit nos émotions sur les réseaux sociaux. On s’indigne et on hurle, mais comme me disait ma conjointe à propos de la jeunesse – qui elle aussi souffre à bien des égards –, c’est quand la dernière fois qu’on a pris deux minutes pour jaser à un jeune qui ne semblait pas aller? Ça prendra effectivem­ent tout un village! On n’est pas sorti du bois.

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