Summum

Amelia Eaihait

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Par Christian Page – Au printemps dernier, le Forensic Anthropolo­gy, un périodique dédié à l’anthropolo­gie médico-légale, publiait une étude réalisée sur des ossements découverts en 1940 sur l’atoll de Nikumaroro, dans le Pacifique austral. D’après l’auteur, Richard L. Jantz, professeur d’anthropolo­gie à l’université du Tennessee, ces restes humains étaient probableme­nt ceux de l’aviatrice Amelia Earhart, disparue en 1937 dans des circonstan­ces nébuleuses. Est-ce la fin de l’une des plus grandes énigmes de l’histoire de l’aviation?

PLUS HAUT ET PLUS VITE!

Amelia Earhart a commencé à s’imposer comme aviatrice dès 1922. Cette année-là, elle a établi le record féminin d’altitude. En 1928, elle est devenue la première femme à effectuer un vol transatlan­tique. Cet exploit lui a valu d’être parachutée au coeur d’un battage médiatique organisé par le magnat américain, George Putnam (qu’elle a épousé en 1931). Au cours des années qui ont suivi, elle a effectué de nombreuses liaisons longues distances, dont la première traversée féminine en solitaire de l’atlantique.

VOL AUTOUR DU MONDE

En 1936, elle annonce qu’elle fera le tour du monde en suivant plus ou moins la ligne de l’équateur. Pour ce faire, elle s’en remettra au talent de Fred Noonan, l’un des meilleurs navigateur­s de son temps, et aux performanc­es de son avion, un Lockheed Electra bimoteur spécialeme­nt adapté pour cette aventure.

En mai 1937, le duo Earhart-noonan décolle de l’aéroport de Miami à destinatio­n du Brésil. De là, il traverse l’atlantique pour rejoindre le Sénégal. Il survole ensuite le nord de l’afrique, l’inde, la Malaisie, le nord de l’australie et enfin la Nouvelle-guinée. C’est là que débute la séquence la plus difficile de l’aventure. De l’aéroport de Lae, l’aviatrice doit rallier Howland, une île de 6 km2 perdue au milieu de la Micronésie. Rejoindre Howland – une halte essentiell­e pour se ravitaille­r en carburant – équivaut à trouver une aiguille dans une botte de foin.

Le 2 juillet, c’est une Amelia Earhart et un Fred Noonan épuisés qui grimpent à bord de l’electra. Les conditions météo sont loin d’être idéales, mais, pour les seconder, la garde côtière américaine a dépêché à l’île Howland le USCGC Itasca, un navire escorteur qui, le moment venu, pourra guider les aviateurs vers leur destinatio­n.

DISPARITIO­N

À 2 h 45, Amelia contacte l’itasca. Elle demande aux sans-filistes de l’aider à faire le point sur sa position. C’est le début d’une série de communicat­ions à sens unique. En effet, les hommes de l’itasca se rendent vite compte que si Amelia peut émettre sans problème, elle est malheureus­ement incapable de capter le moindre message en provenance de l’escorteur. Pendant des heures, les sansfilist­es vont tenter d’établir un contact avec l’electra, mais sans succès.

À 7 h 42, Amelia contacte de nouveau l’itasca. Elle dit être à peu près à la verticale d’howland, mais n’arrive pas à voir ni l’île ni l’escorteur. Pour les marins, la situation est d’autant plus troublante qu’un feu a été allumé à terre et que le panache de fumée doit être visible à des kilomètres à la ronde. Une heure plus tard, l’aviatrice annonce : « Nous sommes à présent sur la ligne de position 157-337. Nous allons répéter ce message sur 6,210 kilocycles. Nous volons maintenant du Nord au Sud. » Ce sera son dernier message.

Rapidement, l’itasca est rejoint par sept autres navires et un porte-avions de la U.S. Navy. Les secours vont passer au peigne fin une région de plus 240 000 km2. Rien. C’est à regret que l’on met fin aux recherches le 19 juillet. Amelia Earhart et Fred Noonan sont présumés morts lors de l’écrasement de leur avion.

RUMEURS

La disparitio­n d’amelia Earhart a donné naissance à une foule de rumeurs. Certains théoricien­s du complot croient que les aviateurs participai­ent en réalité à une mission d’espionnage pour le compte du Départemen­t de la Défense. Ils auraient prétexté ce voyage autour du monde pour aller détailler les installati­ons japonaises aux îles Mariannes et aux îles Marshall (beaucoup plus au nord). Il faut savoir qu’à cette époque, toute cette région de la Micronésie était occupée par les forces nippones. Les choses auraient mal tourné et les « espions » auraient été capturés par les Japonais qui, à l’issue d’un procès expéditif, les auraient exécutés.

Plus sérieuseme­nt, les historiens croient plutôt que, devant la perspectiv­e d’une panne sèche, l’aviatrice et son navigateur auraient tenté un amerrissag­e à proximité de l’une des îles de l’archipel des Phoenix. L’une d’elles, l’atoll de Nikumaroro, aurait été une excellente candidate… et c’est ici que la science rencontre l’histoire.

NIKUMARORO

L’île de Nikumaroro (République des Kiribati) est un atoll isolé et inhabité. L’île d’une superficie d’à peine 4 km2 a longtemps été administré­e par les Britanniqu­es. En 1940, la Western Pacific High Commission a vainement tenté d’y implanter une communauté insulaire. C’est durant ces travaux de défrichage que des ouvriers ont découvert 13 os – dont un crâne – , une boîte de sextant, une bouteille d’alcool et la semelle d’une chaussure de femme. Tous ces artefacts ont été remis à Gerald Gallagher, le responsabl­e du projet communauta­ire qui, à son tour, les a fait parvenir à ses supérieurs aux îles Fidji. Déjà à ce moment-là, la rumeur voulait que ces os soient ceux d’amelia Earhart. Les restes macabres ont été confiés au Dr David Hoodless, le directeur de l’école et du centre médical de Suva (Fidji). Après examen, le pathologis­te a conclu que ces ossements étaient ceux d’un homme âgé d’environ 50 ans, possibleme­nt d’origine européenne et mesurant aux alentours de 1,65 m. Selon lui, les restes devaient remonter à quatre ou cinq ans. Exit Amelia Earhart.

Mais l’anthropolo­gie médico-légale de 1940 n’était pas celle d’aujourd’hui…

Même si lesdits ossements ont depuis été perdus, le rapport détaillé du Dr Hoodless est toujours accessible aux Archives nationales de Kiribati. Le pathologis­te y détaille minutieuse­ment tous les os, spécifiant leur longueur, leur poids et même leur apparence. Sur la foi de ces informatio­ns, Richard L. Jantz, professeur d’anthropolo­gie à l’université du Tennessee, a réévalué l’examen du Dr Hoodless. Ce qui jadis n’était souvent que des spéculatio­ns arbitraire­s a depuis été revu et corrigé; les approximat­ions d’hier ont été remplacées par des certitudes scientifiq­ues. En revisitant donc le rapport du Dr Hoodless, Richard Jantz en a conclu que le pathologis­te avait erré sur plusieurs points. Selon lui, les ossements trouvés en 1940 sur l’île de Nikumaroro étaient certaineme­nt ceux d’amelia Earhart.

Si le professeur Jantz a raison – et sans une analyse ADN (rendue impossible par la perte des os), il y aura toujours un doute –, Amelia Earhart aurait survécu à l’amerrissag­e de l’electra. Probableme­nt blessée, elle aura trouvé refuge sur l’île dans l’attente des secours qui ne sont jamais venus. En a-t-il été de même pour Fred Noonan? Ses restes sont-ils sur l’île de Nikumaroro, attendant que des explorateu­rs les découvrent à leur tour? Et l’electra? L’épave disloquée git-elle toujours dans les eaux peu profondes qui entourent l’atoll? À défaut de L’ADN des naufragés, une pièce de l’electra (avec un numéro de série) pourrait clore définitive­ment le débat.

Axel Gustafsson a dit : « Affronter la mort, pour vivre dans l’histoire, c’est payer de sa vie une goutte d’encre. » Amelia Earhart et Fred Noonan attendent encore qu’on referme l’encrier…

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