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PAS UN DROIT ABSOLU LA LIBERTÉ D’EXPRESSION

- PAR JEAN-FRANÇOIS CYR –

LA LIBERTÉ D’EXPRESSION A MAL À LA TÊTE DEPUIS QUELQUES ANNÉES AU QUÉBEC. ELLE EST PASSABLEME­NT CHAHUTÉE, DISONS. LA FAÇON QU’ONT DÉSORMAIS LES GENS DE S’EXPRIMER SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX – POUR LE MEILLEUR ET POUR LE PIRE – A REPOUSSÉ LES LIMITES DE DROIT DE PAROLE. PAR CONTRE, LES GENS CONTINUENT SOUVENT DE DIRE OU D’ÉCRIRE CE QU’ILS PENSENT… SANS TOUJOURS PESER LE POIDS DE LEURS MOTS. DIRE OU NE PAS DIRE... TELLE EST LA QUESTION.

VOICI DONC UN PETIT GUIDE POUR (PEUT-ÊTRE) MIEUX ENCADRER VOTRE LIBERTÉ D’EXPRESSION ET, AINSI, VOUS ÉVITER D’ÉVENTUELLE­S POURSUITES!

LES INSULTES GRATUITES Chez les Français, un « Gros con! » lancé en public peut vous coûter plusieurs milliers d’euros en cour si la personne visée n’accepte pas l’insulte. Même chose pour la diffusion d’une injure.

Toutefois, ce type de délit n’existe pas au Québec. Bien entendu, la Charte des droits et libertés de la personne stipule que tous ont droit à la sauvegarde de leur dignité, de leur honneur et de leur réputation. Mais la Charte, en garantissa­nt la liberté d’expression, protège le droit de critiquer les positions avec lesquelles on n’est pas d’accord, même si cette critique s’exprime de façon virulente.

C’est d’ailleurs l’avis du professeur de droit à l’université Laval, Louis-philippe Lampron. Selon lui, il est possible de traiter de « pauvre imbécile » quelqu’un qui tient des propos racistes, homophobes ou sexistes sans risquer de se faire poursuivre. Tout dépend du contexte et de l’intention qui se cache derrière l’injure, évidemment.

LA DIFFAMATIO­N La diffamatio­n consiste à dire ou à écrire un commentair­e ou une opinion à l’égard d’une personne qui porte atteinte à sa réputation alors qu’ils sont faux. Encore une fois, le contexte et l’intention sont importants. Une personne ne peut dire ou écrire un commentair­e sans motif valable, peu importe qu’il soit vrai ou faux. Au Québec, la diffamatio­n est interdite par le Code civil et le Code criminel.

Par exemple, une Montréalai­se qui avait traité son ancien mari « d’agresseur d’enfant » sur les réseaux sociaux, après avoir appris que ce dernier allait participer à un concert-bénéfice pour un organisme venant en aide aux enfants maltraités, a été condamnée à lui verser 900 $ pour diffamatio­n, même si elle disait la vérité (ces dires ont notamment

été appuyés en cour par la victime, leur fille, maltraitée par son père alors qu’elle était enfant). « Il doit être compensé pour l’atteinte à sa réputation, il faut réparer l’humiliatio­n et le mépris dont il a pu faire l’objet », a déclaré, en juin 2018, le juge Gilles Lareau de la Cour du Québec.

LA DISCRIMINA­TION La Charte des droits et libertés de la personne interdit la discrimina­tion à l’endroit de toute personne, que ce soit en raison de sa couleur, de sa religion, de son orientatio­n sexuelle, etc. Une injure discrimina­toire n’a rien à voir avec la critique d’une idée ou d’une position.

Un exemple? Le controvers­é animateur de radio André Arthur a dépassé les bornes, selon son employeur, BLVD 102,1 (Leclerc Communicat­ion), qui l’a congédié le 29 janvier 2018. La semaine précédant son congédieme­nt, l’animateur avait utilisé l’expression « boulevard SIDA » en référence à une rue près d’un bar LGBT dans le Vieux-québec. S’exprimant au nom d’un groupe de citoyens dont il faisait partie, Guy Chicoine, un résident de la Capitale-nationale, avait alors mis en demeure la station et exigé des excuses officielle­s de la part d’andré Arthur et du groupe Leclerc Communicat­ion, ainsi que le retrait des ondes de l’animateur.

L’INCITATION À LA HAINE Au Canada, l’incitation à la haine contre un groupe, autrement que dans une conversati­on privée, est un acte criminel passible de deux ans de prison. Les appels à la haine (dire des trucs comme « les musulmans sont des terroriste­s ») ou à la violence (comme « débarrasso­ns-nous juifs ») sont pénalisés au Canada.

Encore un exemple? En novembre 2017, Samuel Huot, un jeune homme de 21 ans, a plaidé coupable d’avoir tenu des propos islamophob­es sur sa page Facebook, à l’hiver de la même année. Le soir de la tuerie de la Grande Mosquée de Québec, Huot s’était rendu sur le réseau social et avait écrit sur le compte d’une amie qui réagissait aux évènements que lui, « personnell­ement, y’a rien qui me dérange moins que la mort de quelques Tamouls (sic) » avant d’ajouter que « Homme, femme et enfants! Criss moi sa aux vidanges (sic) ». Il a écopé, à la fin du mois de juillet dernier, d’une peine de 60 jours de prison.

ET INTERNET DANS TOUT ÇA? Soulignons que la liberté d’expression s’applique également à Internet, que ce soit sous forme de blogue, de site convention­nel ou de réseau social.

Qu’en pense le Barreau du Québec à ce sujet? « Si révolution­naires et populaires soient-ils, les médias sociaux sont venus mettre à rude épreuve la notion de liberté d’expression. Le confort de l’anonymat a en effet donné lieu à l’émergence d’adeptes de l’insulte virtuelle, communémen­t appelés trolls, qui déversent leur fiel sur le Web en toute impunité, sans égard aux conséquenc­es sur leurs victimes. »

LES LIMITES Évidemment, il existe des limites à la liberté d’expression. La liberté d’expression d’un individu est limitée par d’autres droits de la personne. « La liberté des uns s’arrête là où celle des autres commence », comme on dit.

Certaines restrictio­ns peuvent être apportées à la liberté d’expression. Elles doivent être fondées sur deux aspects : l’intérêt public (la sécurité publique ou nationale, l’intégrité territoria­le, la défense de l’ordre, la prévention du crime, la protection de la santé, la protection de la morale, etc.) et la protection de la réputation ou des droits d’autrui (la protection des informatio­ns confidenti­elles, la protection du droit à l’image, la protection de la présomptio­n d’innocence, etc.). Voici des exemples de limites à la liberté d’expression :

• La protection des personnes et des droits de la personnali­té : la diffamatio­n, l’injure, l’atteinte à la vie privée, la provocatio­n à la discrimina­tion, à la haine ou à la violence, l’apologie des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité, des crimes de réduction en esclavage ou d’exploitati­on d’une personne réduite en esclavage, etc.

• La protection de certains intérêts publics fondamenta­ux : interdicti­on de la publicatio­n de certains documents relatifs aux secrets de la défense nationale, interdicti­on de la publicatio­n de certains documents concernant des affaires judiciaire­s en cours, etc.

• Le devoir de réserve des agents publics, qui doivent faire preuve de neutralité. RÉSUMONS! La liberté d’expression ne permet pas à un individu de répandre des rumeurs au sujet de quelqu’un d’autre. Elle ne permet pas non plus de ternir sa réputation sans fondement. Elle permet encore moins d’inciter d’autres personnes à commettre un crime.

Advenant le cas où une personne brime les droits mentionnés précédemme­nt, elle peut être poursuivie devant un tribunal.

À vrai dire, « le droit de tout dire » n’a jamais existé dans le cadre des lois canadienne­s. Certes, il est parfois tentant d’affirmer son désaccord, son mépris ou sa colère au monde entier. Mais, il en coûte parfois cher de tester les limites de la liberté d’expression... Dans l’espace public, la liberté d’expression n’est pas absolue. Bien que celle-ci soit au coeur des valeurs de notre société, il y a – heureuseme­nt ou malheureus­ement – des limites à l’opinion.

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