Les Québécois s’impliquent dans l’horreur
PAR JEAN-CHRISTOPHE – L’HORREUR PREND SA PLACE DE PLUS EN PLUS DANS LE CINÉMA QUÉBÉCOIS ET, NON, JE NE FAIS PAS RÉFÉRENCE À DES FILMS TELS QUE NITRO OU HOT DOG. CE GENRE RECOUVRE UN BASSIN D’ADEPTES ÉTABLI ET LE SUCCÈS DES FESTIVALS FANTASIA ET SPASM TÉMOIGNE QUE CELA N’EST PAS QU’UN SIMPLE MOUVEMENT D’ILLUMINÉS ISOLÉS, MAIS BIEN UNE PASSION IMPLANTÉE DONT SE DÉLECTE UN AUDITOIRE FIDÈLE ET POPULEUX.
DES TALENTS D’ICI ONT BÂTI LEUR NICHE DANS CE MONDE D’HÉMOGLOBINE. C’EST LE CAS DE FRANÇOIS SIMARD, MEMBRE DU ROADKILL SUPERSTAR, UN THREESOME CRÉATIF GÉNITEUR DU FILM TURBO KID SORTI EN 2015, QUI A DONNÉ NAISSANCE À SON SECOND LONG MÉTRAGE, SUMMER OF 84. SOF84 A EXPULSÉ SES PREMIERS VAGISSEMENTS AU GRAND ÉCRAN LE 3 AOÛT DERNIER. NERVEUX À L’APPROCHE DE LA SORTIE OFFICIELLE DU FILM TOURNÉ EN SOL VANCOUVÉROIS, LE RKSS S’EST DIT « CONFIANT FACE À LA RÉPONSE POSITIVE DU PUBLIC À SUNDANCE ET AUTRES FESTIVALS » ET « SOUHAITE DÉMONTRER, AVEC SOF84, L’ÉTENDUE DE SON TALENT ET AVOIR ACCÈS À DE PLUS GROS BUDGETS POUR SON PROCHAIN LONG MÉTRAGE ».
« Nostalgique des films de Paul Verhoeven ayant bercé leur enfance », le RKSS plonge dans le vintage en trame de fond dans son Sof84, période où le fixatif à cheveux dominait le monde. « Les années 80 étaient la fin du rêve américain, quand le danger et la paranoïa se sont installés dans les banlieues paisibles et que les gens ont commencé à barrer leurs portes se méfiant de leurs voisins. C’était donc vraiment le meilleur ‘‘setting’’ pour le thème de l’histoire. »
Si trouver du financement demeure un obstacle récurrent quand on veut réaliser/produire de l’horreur au Québec, la principale embûche se situe sur le plan « de la compréhension d’une histoire et de son ‘‘mood’’. C’est une autre approche et c’est plus facile de tomber sur des analystes qui aiment le genre. Ce n’est pas toujours le cas », souligne pour sa part Robin Aubert, l’antithèse de la langue de bois et père de l’encore tout frais Les Affamés. Dans cette période d’austérité gouvernementale généralisée, demander des sous dans le but de mettre sur pieds et sur os de l’horreur n’est pas chose naturelle ici. « C’est en train de changer,
même si le film d’horreur sera toujours marginalisé. Ce n’est pas pour tout le monde, c’est ce qui fait son charme. L’art abstrait, ce n’est pas accessible à tous », signale l’intense réalisateur que beaucoup d’entre nous ont connu dans le personnage de Léo, dans Radio enfer.
Afin de rendre cette belle folie crédible à l’écran, les make-up artists jouent un rôle capital au sein de la production. Ayant oeuvré notamment sur The Lord of the Rings et sur Bride of Chucky, Franca Perrotto est une ma-
quilleuse et photographe s’étant expatriée afin de peaufiner son art. « À 25 ans, je suis partie en Californie, à l’école de maquillage Joe Blasco, où j’ai étudié pendant un an. Les lacérations, les monstres, les zombies sont vite devenus ma force. » Gagnante du concours mondial de photo d’horreur à Las Vegas, Franca parle de l’évolution d’une plaie dans le temps comme représentant un des plus grands défis. « La chronologie d’une plaie est importante, de quelle façon une lacération ou une ecchymose progresse ou régresse-t-elle avec le temps. La bonne continuité d’un make-up fait souvent la différence. »
Rémy Couture, maquilleur autodidacte d’une précision chirurgicale, est un maître des effets spéciaux. Selon lui, « le plus complexe est tout maquillage qui nécessite une rig de sang. Par exemple, pour une gorge tranchée, on doit appliquer une prothèse d’un faux cou sur le comédien avec un tuyau à l’intérieur connecté à une pompe. Parfois, il arrive que le jet ne sorte pas comme on veut et la prise n’est pas bonne ». D’une réalité déconcertante, son oeuvre ne fait toutefois pas l’unanimité. Celle-ci dérange, trouble, rend inconfortable… et lui a valu plusieurs contrats lucratifs sur de gros tournages américains, tels que The Mummy 3, Death Race et The Punisher. Son talent lui a également valu une accusation au criminel de Corruption des moeurs, accusation dont il est sorti « indemne ». « L’effet positif de cette histoire est la visibilité qui a sans doute joué en ma faveur. » Le projet sur lequel il planche actuellement, dont la thématique est l’état islamique, risque d’écorcher quelques sensibilités. « Je ne serai pas doux avec eux (Rires) », de conclure Rémy Couture.
Quoi qu’il en soit, bien qu’étant underground comme le death metal ou le BDSM, l’horreur a ses disciples, bien ancrés, bien fourmillants. Que l’on aime ou non, il faut dire que les Québécois sont créatifs et ingénieux. Il serait important que nous reconnaissions leur talent à leur juste valeur et que nous leur donnions les outils nécessaires quand vient le temps pour eux de lancer leurs projets. Car si nous ne le faisons pas, qui le fera?
« DES TALENTS D’ICI ONT BÂTI LEUR NICHE DANS CE MONDE D’HÉMOGLOBINE »