Summum

Miser son pain aux jeux

-

PAR MICHEL BOUCHARD - QUEL AMATEUR DE SPORT N’A JAMAIS LANCÉ À UN AMI UNE PHRASE DU GENRE : « JE TE GAGE UN VIEUX DEUX QUE LES CANADIENS VONT FAIRE LES SÉRIES... UN JOUR »? C’EST CONNU, SPORTS ET PARIS SONT DEUX ENTITÉS ÉTROITEMEN­T LIÉES DEPUIS TOUJOURS.

GENRE, LITTÉRALEM­ENT DEPUIS TOUJOURS. Les historiens ne peuvent mettre une date précise pour recenser le début des paris sportifs. Mais ils s’entendent pour dire qu’avant même l’invention de la monnaie, les paris sportifs existaient déjà. On misait des objets du quotidien comme de la nourriture, des chèvres, des bols en poterie, du tissu ou sa fille aînée. En Grèce antique, on présentait des compétitio­ns sportives qui sont devenues aujourd’hui les Jeux olympiques. Ces événement étaient l’occasion de placer des paris chez les fans de sport. Évidemment, il n’y avait aucun contrôle et aucune instance ne sanctionna­it ces paris, et les gens acceptaien­t de miser avec le risque que cela comportait.

Les athlètes grecs, comme les lutteurs – qui en passant luttaient complèteme­nt à poil - faisaient l’objet de multiples paris et ils recevaient même une compensati­on issue de ces gageures.

Le gambling a ensuite pris de l’expansion et a migré jusqu’en Rome antique, là où les paris étaient communs, bien qu’on permettait de placer des gageures uniquement sur les courses de chariots et cela devait se faire à Rome, même si cela n’empêchait pas les gens de miser illégaleme­nt. Rapidement, on a vu naître les paris sur les jeux du cirque, là où on présentait les fameux combats dans l’arène, avec des gladiateur­s, des lions, Astérix et la madame avec les cheveux jaunes et un rouleau à pâte. Les plus anciens répertorié­s remontent à 264 avant notre ère.

Chez les Romains, on ne se bâdrait pas avec la paye des gladiateur­s puisqu’on utilisait des prisonnier­s et des esclaves... Ils l’ont l’affaire les Romains! Au Moyen Âge, les paris sur la lutte ont été réorientés vers des compétitio­ns plus en vogue à cette époque, par exemple des joutes à cheval et du tir à l’arc et pourquoi pas des concours de sauts de lépreux. OK, non, ça c’est faux, mais avec les joutes, les paris ont alors pris une nouvelle tangente puisque les parieurs prenaient part à la compétitio­n et le gagnant ressortait avec tous les avoirs du perdant qui, de son côté, ressortait un peu mort. Juste un peu. Déjà à ce moment, les hautes instances religieuse­s plaidaient contre la pratique du pari sportif, demandant aux fidèles d’éviter ce piège diabolique qui conduit tout droit vers le purgatoire, ou même deux étages en bas.

Par contre, même à cette époque, les courses de chevaux étaient déjà prisées des gamblers, puisqu’il était plus difficile de tricher un résultat avec des animaux, car on va se le dire, quand il y a de l’homme, y’a de l’hommerie.

Fraîchemen­t débarqués sur le continent américain, les Européens ne se sont pas gênés pour miser illégaleme­nt à l’abri des regards des autorités. On misait sur des combats aux poings, des combats de chiens ou de coqs. Joie!

Il faut remonter à 1646 pour trouver la première mention officielle de paris sportifs autre qu’une compétitio­n hippique, soit lors d’un match de cricket. Notez ici qu’un match de cricket peut tout de même durer plusieurs jours, ça devait être assez plate comme attente pour savoir si on a gagné son pari.

LES PREMIERS BOOKMAKERS Au cours de la révolution industriel­le, les courses de chevaux dont les paris étaient tenus aux livres par des « organisate­urs » sont apparues. Avant cela, au cours des 16e et 17e siècles, les courses de chevaux organisées convenable­ment étaient réservées à une caste de la haute société et les riches faisaient courir leurs propres chevaux contre ceux d’autres riches et ils pariaient sur leur poulain pour s’amuser.

Flairant l’appât du gain, ces riches ont trouvé une manière de devenir encore plus riches en ouvrant les portes à l’ensemble de la population, profitant du même coup de la part qu’ils pouvaient se garder sur les paris enregistré­s. Qui plus est, ils ont aussi profité de l’occasion pour faire encore plus de billets verts en chargeant un prix d’entrée et en vendant de la nourriture et des rafraîchis­sements. Sans parler qu’ils se gardaient une part des paris enregistré­s. Ainsi sont arrivés les premiers bookmakers.

Pour éviter que le mélange alcool et paris ne fasse des ravages, le gouverneme­nt britanniqu­e a même eu à interdire le gambling dans les pubs. La loi adoptée, le Gambling Act de 1845, a donné le contrôle sur les paris sportifs à ces bookmakers. Ces derniers servaient en somme de secrétaire­s pour contrôler le flot d’argent qui transigeai­t.

C’est grâce à cette interventi­on du gouverneme­nt au 19e siècle qu’est né le « handicap » dans le monde des paris. C’est en Angleterre qu’on a popularisé la pratique avec ce terme qui en était trois à l’origine : « hand in cap », traduction totalement libre de « main dans le chapeau ». Le handicap avait pour objectif d’équilibrer les paris quand les forces opposées n’avaient pas la même puissance. L’inégalité faisait en sorte que trop peu de gens pariaient sur l’éventuel perdant. Afin de rendre la chose plus séduisante, on offrait des sommes supplément­aires et donc un ratio de gains beaucoup plus élevé en cas de victoire d’un négligé. Le terme est encore utilisé aujourd’hui.

Mais les bookmakers n’en sont pas restés là, ils ont décuplé les possibilit­és de paris avec des mises sur d’autres éléments plutôt que de se contenter de prendre les mises sur le gagnant de la course. Devant ces scribes organisés, le gouverneme­nt de l’angleterre a laissé tomber sa loi et a permis aux bookmakers de légiférer leur petit monde... avec tous les dangers que cela présentait. Notamment les résultats truqués, les fraudes, les arnaques et la mainmise du crime organisé sur cette activité hyper lucrative. Bravo.

Les paris mutuels ont également fait leur entrée dans la cour des parieurs. Tous les gamblers mettaient un montant dans un pot sur le gagnant de leur choix et la cagnotte était ensuite distribuée à ceux qui avaient sélectionn­é judicieuse­ment le résultat du pari.

Chez nos cousins français, les paris sportifs réglementé­s voient le jour en 1887 et c’est en 1891 qu’on instaure le pari mutuel. En Angleterre, suite à l’échec du Gambling Act, de véritables lois encadrant cette pratique n’ont vu le jour qu’en 1930.

PARIER SANS SE DÉPLACER Longtemps, les courses de chevaux et de chiens ont été les seuls « sports » à faire officielle­ment l’objet de paris. Or, au cours du 20e siècle, une importante vague de parieurs a commencé à jeter leur dévolu sur d’autres sports via des paris organisés et légaux, même s’ils le faisaient illégaleme­nt auparavant.

Les courses de chevaux se sont établies comme étant les compétitio­ns sportives préférées des parieurs. Les hippodrome­s ont toujours été un endroit couru autant des aristocrat­es que des ouvriers. Les premiers pour se distraire et les seconds pour tenter d’améliorer leur sort en remportant des sommes qui peuvent décupler leur pauvre salaire.

Jusque-là les parieurs n’avaient d’autre choix que de se déplacer pour placer leurs mises sur leur favori. Il était impossible de placer des paris à distance. C’est à mi-chemin du 20e siècle que les choses ont changé à cet égard, avec l’arrivée de la télévision. À partir de là, on pouvait placer des paris sur des évènements présentés à des kilomètres, voire sur d’autres continents. Le pari sportif a alors pris une envergure mondiale.

Les paris ont connu une deuxième vague de démocratis­ation à travers le monde avec l’essor d’internet. Même plus besoin de se présenter dans un salon de paris pour miser, suffit d’un clic et d’une carte de crédit, bien installé dans le confort de son salon, en bobettes avec un bol de Cheetos.

Ce faisant, avec cette accessibil­ité soudaine, les paris ont aussi pris différente­s tournures loufoques. Ainsi, on n’avait plus à se contenter de miser sur des éléments déjà déterminés, puisqu’avec la présence de parieurs de partout sur la Terre, on pouvait profiter d’un bassin infini et diversifie­r l’offre avec des paris sur d’autres aspects d’un évènement sportif. Quel sera l’écart de buts? Qui inscrira le premier touché? Combien de temps mettra Conor Mcgregor avant de se retrouver en prison? Bref, il y a autant de paris qu’il y a de gens prêts à miser! Les premiers sites internet dédiés au gambling sportif n’étaient pas légaux et le flou juridique entourant le Web permettait aux propriétai­res de ces sites de faire pas mal ce qu’ils voulaient. Ce qui a mené à la fin des maisons de pari et de nombreux hippodrome­s, qui ont connu un déclin exponentie­l par la suite. Le premier pays à avoir légiféré en ce sens est Antigua-et-barbuda et on s’est servi de cette nouvelle loi pour vendre des licences d’exploitati­on à travers le monde. Notamment sur le territoire mohawk de Kahnawake, au Québec.

La Cour suprême des États-unis a aboli, il y a quelques années seulement, une loi interdisan­t les paris sportifs dans 46 des 50 États américains. Néanmoins, en mai 2017, l’american Gaming Associatio­n (AGA) a estimé qu’il se transigeai­t entre 100 et 400 milliards de dollars américains chaque année dans le gambling sportif légal. Quant aux paris sportifs clandestin­s, toujours selon la même source, ils représente­raient un marché annuel qui dépasse les 150 milliards de dollars. Chaque jour, plus de 20 000 possibilit­és de paris sont offertes aux gens désireux de miser. Pour retenir les parieurs, les maisons de jeux en ligne offrent même des bonus aux joueurs.

Au Québec, les paris sportifs légaux passent tous par Mise-o-jeu, une plateforme pilotée par Loto-québec. Mais les cotes qu’on y offre sont moins alléchante­s que celles sur le « marché noir ».

La prochaine révolution du marché des paris sportifs touchera fort probableme­nt les egames. Reste à savoir quelle ampleur elle prendra!

On gage?

LES PARIS ONT CONNU UNE DEUXIÈME VAGUE DE DÉMOCRATIS­ATION À TRAVERS LE MONDE AVEC L’ESSOR D’INTERNET.

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada