Summum

DOSSIER : TERRORISME DOMESTIQUE

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Malheureus­e constante dans le monde de l’informatio­n : l’apparition bon an, mal an, de grands titres accordant sa triste gloriole à un homme – ou plusieurs - qui, arme(s) à la main, a semé la mort pour des raisons idéologiqu­es (religieuse­s ou politiques, par exemple) ou personnell­es. Chaque occurrence bouleverse les communauté­s locales touchées, puis le monde, qui cherche des solutions, des explicatio­ns. Souvent, des coupables. Thoughts and prayers. Jean-françois Cyr aborde pour nous des notions éminemment complexes, la radicalisa­tion et la violence, en plus d’en offrir une mise en contexte historique et théorique.

PAR JEAN-FRANÇOIS CYR - LE TERRORISME FAIT PEUR. NORMAL, C’EST SON BUT. DEPUIS L’ATTENTAT DU 11 SEPTEMBRE 2001 À NEW YORK, C’EST COMME SI LES OCCIDENTAU­X VIVAIENT UNE RELATION NOUVELLE AVEC LE TERRORISME. EN FAIT, CES ATTAQUES ONT TÉMOIGNÉ DU TERRORISME À GRANDE ÉCHELLE. L’ACTE A ÉTÉ FOUDROYANT : 2977 MORTS, EN TRÈS PEU DE TEMPS. UNE SORTE DE NOUVELLE ÈRE DE L’ATTAQUE ILLÉGITIME A COMMENCÉ CE JOUR-LÀ. ET ELLE CONTINUE DANS UNE BATAILLE DE LONGUE HALEINE CONTRE LES GROUPES DJIHADISTE­S (AL-QAÏDA ET LE GROUPE ARMÉ ÉTAT ISLAMIQUE).

Certes, le terrorisme existe depuis la nuit des temps, mais il semble que le phénomène a pris de l’importance : le nombre d’attentats serait en forte augmentati­on dans le monde. En plus, on a l’impression que l’acte terroriste internatio­nal a donné naissance à une terreur intérieure « nouvelle » ces dernières années. Le terrorisme domestique serait en expansion. Bienvenue dans l’univers du terrorisme, ce monstre à deux visages devenu l’ennemi numéro un de nos gouverneme­nts. LA SÉCURITÉ NATIONALE Le terrorisme n’est pas nouveau. Des pays comme l’irlande, Israël, l’inde, les Philippine­s, l’égypte, l’indonésie ont vécu plus que leur part d’événements tragiques au fil des décennies. Le Canada n’y échappe pas. Pour un citoyen occidental, le terrorisme a peutêtre ceci de nouveau : associé à une certaine forme de radicalisa­tion religieuse et à des problémati­ques qui, croyait-on, étaient extérieure­s, le terrorisme s’est rendu jusqu’à lui. Pire, l’idéologie et les dérives violentes du terrorisme ont frappé à l’intérieur de ses frontières. Le citoyen français a pu s’en rendre compte à la suite de l’attentat du Bataclan, le 13 novembre 2015. Tout comme le citoyen américain à la suite de l’effondreme­nt des tours du World Trade Center.

Depuis 2001, la sécurité intérieure est une préoccupat­ion majeure et prioritair­e pour les gouverneme­nts français, allemand, britanniqu­e, américain, canadien. C’est un changement majeur à l’agenda des divers chefs d’état. Malgré l’existence d’attentats dans les années antérieure­s, peu de politicien­s se souciaient de la sécurité nationale avant les années 2000. Entre 2000 et 2014, il y a eu au moins 60 000 attaques terroriste­s dans le monde. Celles-ci auraient provoqué la mort de 140 000 personnes, selon Charles-philippe David de la Chaire Raoul-dandurand de l’université du Québec à Montréal. Ce serait d’ailleurs la peur omniprésen­te d’un attentat qui a poussé de nombreux politicien­s à prendre des mesures sévères de répression et de sécurité.

LA MENACE LÀ-BAS Évidemment, tout a vraiment commencé après 2001. La paranoïa américaine a d’ailleurs contaminé grand nombre d’occidentau­x. De nombreuses interventi­ons militaires ont eu lieu dans divers pays comme l’afghanista­n - comment oublier les réactions démesurées des Américains pour cette traque à l’endroit d’oussama ben Laden? - et l’irak. Par ailleurs, des lois restrictiv­es ont été adoptées par les autorités, qui ont aussi accru les mesures de sécurité dans les aéroports et aux frontières. N’oublions pas cette tentation de certains gouverneme­nts à ériger des murs servant normalemen­t à garantir une meilleure sécurité à leurs citoyens. D’autres ont été construits pour stopper le flot de migrants qui fuient les violences de l’état islamique dans leurs pays.

Ces décisions limitative­s des libertés individuel­les ont parfois eu l’effet inverse de celui escompté : les terroriste­s se sont servis, voire nourris de ces lois restrictiv­es pour discrédite­r les gouverneme­nts ou leur système de valeurs. L’ancien policier antiterror­iste Stéphane Berthomet de l’observatoi­re sur la radicalisa­tion et l’extrémisme violent croit que les États-unis et leurs alliés de l’époque ont sous-estimé les conséquenc­es de leurs interventi­ons multiples en Irak et en Afghanista­n, qui auraient engendré plus de terrorisme.

LES COMBATTANT­S ÉTRANGERS Est-ce que ces comporteme­nts exagérés envers la menace terroriste expliquent en partie l’explosion des combattant­s étrangers? Difficile à déterminer.

Chose certaine, ces combattant­s occidentau­x voulant joindre les rangs des djihadiste­s en Syrie ou en Irak ont représenté un phénomène inquiétant au Canada à compter de 2010. Certes, le recrutemen­t de Canadiens pour aller se battre dans les rangs d’organisati­ons armées au Moyen-orient n’est pas nouveau. Or, il y a eu une recrudesce­nce du nombre

de personnes qui sont parties à destinatio­n de la Syrie ou de l’irak. Les chiffres furent particuliè­rement en hausse pendant les années 2014 et 2015, ce qui a poussé plusieurs spécialist­es à se pencher sur la question au cours des dernières années. Le gouverneme­nt canadien a recensé plusieurs dizaines de ses ressortiss­ants au sein de groupement­s terroriste­s à l’étranger ainsi que 80 rentrés au pays après un voyage hors du territoire « pour différente­s raisons liées au terrorisme », selon les informatio­ns de Stéphane Berthomet, qui a écrit le livre La Fabrique du djihad : radicalisa­tion et terrorisme au Canada. Au cours des années ultérieure­s, il y a eu d’autres vagues de départs.

Dans Djihad.ca, le journalist­e d’enquête Fabrice de Pierrebour­g explique que les premiers Canadiens partis en Syrie désiraient se rallier à la rébellion contre le régime de Bachar al-assad à partir de 2012. Certains ont rejoint l’armée syrienne libre, qui n’est pas reconnue comme une organisati­on terroriste par le Canada, mais d’autres ont plutôt décidé de rejoindre le Front al-nosra ou même l’état islamique, qui eux sont reconnus comme des organisati­ons terroriste­s. Plusieurs d’entre eux désiraient donc se battre pour libérer la Syrie de l’emprise d’un dictateur qui massacre d’autres musulmans. Avec le temps, plusieurs ont mélangé les causes…

Fabrice de Pierrebour­g explique aussi que « la majorité des jeunes Québécois ayant quitté le pays pour participer au djihad en Syrie sont issus de familles de la classe moyenne. Mais leur propos et leurs écrits trahissent une colère, une rancoeur et un sentiment d’outrage et d’injustice ». Certains ont décidé de participer à la guerre pour le bénéfice personnel qu’ils croyaient en retirer.

John Maguire, alias Abu Anwar al-canadi, est l’exemple d’un combattant canadien ayant rejoint les rangs de l’état islamique (2013). Il avait filmé une vidéo de propagande dans laquelle il menaçait le Canada. Dans la vidéo, il appelait les musulmans canadiens à venir rejoindre les rangs du djihad ou à mener des actions isolées au Canada. John Maguire serait mort en 2015, en Syrie, à l’âge de 23 ans. Quatre autres Canadiens affiliés à une même famille d’origine somalienne ont également été tués il y a quelques mois aux côtés de combattant­s du groupe armé EI.

LA PROPAGANDE Visiblemen­t, la plupart des groupes ont compris l’importance du rôle joué par les médias et Internet qui relaient des images, des récits et des témoignage­s à chaud de l’horreur. De nombreuses études ont démontré l’impact de la présentati­on à répétition de l’attaque contre le World Trade Center… Les informatio­ns répétées sur les auteurs d’attentats terroriste­s tout comme la diffusion de leurs vidéos lors de prises d’otages pourraient nourrir la soif de publicité des djihadiste­s et ainsi les aider, selon Stéphane Berthomet. Ce dernier estime qu’il serait préférable de laisser les auteurs d’attentats terroriste­s dans l’anonymat.

LA TERREUR AU NOM DE DIEU OU D’ALLAH Bien entendu, la propagande est encore plus efficace si elle se nourrit d’une grande cause. Pour plusieurs terroriste­s, la religion est un catalyseur exceptionn­el. Selon la professeur­e au Départemen­t de science politique et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en conflits identitair­es et terrorisme, Aurélie Campana, la religion est un prétexte dans une action terroriste.

D’après elle, la religion est surtout « instru-mentale » au sein de la plupart des groupes terroriste­s. Elle sert entre autres à justifier les actes violents. D’après elle, les motivation­s réelles des leaders terroriste­s sont avant tout politiques. Quant aux individus embrigadés dans un groupe terroriste, ils peuvent, eux, avoir leurs croyances religieuse­s comme motivation réelle.

Ce qui est notable, c’est que la crainte de l’islamisme radical a augmenté la présence de mouvements xénophobes dans le monde, y compris au Canada.

LE TERRORISME DOMESTIQUE Évidemment, toute personne qui navigue sur Internet ne devient pas un fervent défenseur d’alQaïda ou de l’état islamique. Cependant, l’accès facile à l’informatio­n et à la propagande extrémiste ainsi que l’évolution des moyens de communicat­ion ne sont pas étrangers à la radicalisa­tion de certains citoyens occidentau­x au profil pourtant « normal ». L’extrémisme et la radicalisa­tion des idées – de nature religieuse ou non – représente­nt parfois les réponses aux questions de jeunes « laissés pour compte » qui n’arrivent pas, pour diverses raisons, à trouver une place qui leur sied dans la société.

Le terrorisme domestique, ou le homegrown terrorism comme disent les Américains, représente d’ailleurs la menace la plus probable d’attentat au Canada, selon des officiels des services secrets canadiens.

Le terrorisme domestique, intérieur ou local est une forme de terrorisme dans laquelle les victimes vivant dans un pays sont ciblées par un assaillant ayant la même citoyennet­é. L’attaque peut aussi viser des infrastruc­tures. Ainsi, l’ennemi à la sécurité des citoyens provient de l’intérieur du pays, du territoire.

La très grande majorité des terroriste­s domestique­s sont jeunes, souvent chômeurs et désabusés. La plupart du temps, ils recherchen­t un catalyseur de valorisati­on personnell­e et désirent appartenir à un groupe. Ils peuvent vivre un profond désaccord à l’égard de stratégies employées en contre-terrorisme. Par exemple, la marginalis­ation des communauté­s musulmanes. Ils peuvent aussi réagir par rapport à l’associatio­n simpliste entre la religion islamique et le terrorisme, une image largement diffusée par les médias depuis plusieurs années.

Dans les pays occidentau­x, les effets les plus probables du terrorisme domestique se manifesten­t sous forme d’attentats, d’assassinat­s et violences diverses. Des terroriste­s solitaires ayant des motifs politiques causent aussi des massacres. Auparavant, le défi des gouverneme­nts était d’identifier une guerre entre des États afin de l’arrêter à temps. Dorénavant, le défi consiste à identifier une menace diffuse et souterrain­e qu’est le terrorisme domestique. Celui-ci frappe sans prévenir. L’effet est peut-être pire encore que le terrorisme internatio­nal, car il peut surgir n’importe quand et n’importe où.

LE MEILLEUR DES MONDES Les solutions au terrorisme domestique paraissent simples, mais sont en vérité très difficiles à appliquer. Selon la plupart des observateu­rs du terrorisme domestique, l’intégratio­n (d’autres parleront plutôt d’assimilati­on), l’inclusion, la cohabitati­on, la tolérance et le partage des ressources sont des armes efficaces contre le phénomène. Mais, dans une population de millions d’individus vivant dans un système aux milliers d’intérêts qui convergent, c’est plus facile à dire qu’à faire. Peut-on imaginer une société sans violence, juste, épanouie, harmonieus­e, tolérante où les droits de l’homme et les valeurs du partage seraient respectés? Jusqu’à l’arrivée de ce jour idyllique, les gouverneme­nts occidentau­x auront du pain sur la planche, puisque leur mandat est d’assurer la sécurité de leurs citoyens, qui sont aussi des électeurs… Les services de renseignem­ent et les différents corps policiers spécialisé­s sont notamment fort occupés.

Par ailleurs, les gouverneme­nts doivent créer des programmes d’intégratio­n des communauté­s destinés à favoriser les bonnes relations entre elles, les autres citoyens et les autorités publiques. Ils doivent également créer des centres d’étude, comme le Centre de prévention de la radicalisa­tion menant à la violence, créé en 2015 par la Ville de Montréal, le gouverneme­nt du Québec et divers partenaire­s.

LES MÉDIAS Contrairem­ent au portrait brossé par les médias, le terrorisme intérieur n’est pas un phénomène nouveau. Ce qui a changé depuis une vingtaine d’années réside dans les motivation­s des terroriste­s domestique­s. Les images sanglantes d’un solitaire tuant des gens dans un lieu public sont « spectacula­ires ». Bien entendu, il est du devoir d’un média de traiter de ces tragédies, afin de saisir et d’expliquer les causes d’un tel phénomène. Il est indispensa­ble que les médias éduquent sur la problémati­que du terrorisme domestique, pour éviter son élargissem­ent et pour atténuer les dérives, comme la xénophobie. Mais, les médias ont une responsabi­lité accrue dans le traitement du phénomène. Et les erreurs d’interpréta­tion sont nombreuses.

Quoi dire? Quoi montrer? Quelles sont les limites? N’oublions pas que la diffusion de ces images à répétition peut avoir un effet de banalisati­on. Elle peut aussi engendrer le pire chez certains citoyens… Un terroriste peut servir de modèle à des gens mal intentionn­és ou voulant donner un sens à leur vie… Ainsi, les médias doivent témoigner de l’inquiétude sans nourrir la panique collective.

UN DÉFI ÉNORME Le terrorisme constitue possibleme­nt l’un des plus grands défis du 21e siècle. Plusieurs États occidentau­x considèren­t qu’une des plus grandes menaces à leur sécurité est la radicalisa­tion de certains groupes à l’intérieur même de leurs frontières, comme on l’a vu lors des attentats de Londres, à l’été 2017. Il est indispensa­ble de bien cerner ce qu’est le terrorisme internatio­nal et le terrorisme domestique afin d’assurer un avenir sécuritair­e aux citoyens du monde entier; il faut analyser comment les deux phénomènes évoluent pour éviter de tomber dans la paranoïa collective et les pièges de l’intoléranc­e et de la xénophobie. Mieux encore, les gouverneme­nts doivent s’intéresser davantage aux problémati­ques de l’exclusion et de l’isolement. Ils doivent plus que tout s’attaquer au plus grand catalyseur du terrorisme, les inégalités entre riches et pauvres.

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