Summum

Alex Roof vit de l’humour

- PAR ALEX ROOF PHOTOGRAPH­E : FRANCA PERROTTO - WWW.FRANCAPERR­OTTO.COM REMERCIEME­NTS : BAR LE JOCKEY - WWW.BARLEJOCKE­Y.COM

Aujourd’hui, je peux dire que je vis de l’humour. Bon, ma maison va être payée dans 30 ans comme la plupart des gens : je vis de l’humour, je n’ai pas volé une banque. Comme tout le monde, c’est la banque qui me vole. Mais comme ce n’est pas une chronique de Louis T, ne nous attardons pas sur ce sujet. Si vous ne connaissez pas Louis T, c’est normal : vous n’êtes pas en train de lire une chronique dans Le Devoir, vous êtes en train de lire un magazine bas de gamme de pitounes.

À mes débuts, comme la plupart des artistes, j’ai vécu des moments financiers plutôt difficiles. Il m’est arrivé maintes fois où mon compte de banque frôlait le zéro, ou comme Michael Jackson dans ses relations sexuelles : il touchait le fond. À l’époque, je conduisais une vieille Hyundai Accent. Pour vous donner une idée, le char ne valait tellement rien que lorsque j’ai eu un accident et qu’il était perte totale, ça m’a fait mal au coeur que la tank à gaz soit pleine.

Parlant d’essence, j’ai déjà mis pour 20 $ de gaz dans ma voiture et, au moment de payer à la caisse, je me suis rendu compte que je n’avais même pas ce montant : ni en argent, ni sur mes cartes. Mon compte de banque était comme le cerveau d’une influenceu­se Instagram : vide.

Si t’arrives dans un magasin de vêtements et que t’as pas assez d’argent pour payer un chandail, ils peuvent le remettre sur le rack. Pour du gaz, du moment qu’il est dans ta tank de char, c’est plus difficile. Je ne viens pas de Montréal-nord alors je ne connais personne qui siphonne du gaz.

J’ai donc dû appeler ma mère avec mon cellulaire à la carte (la vie des gens riches et célèbres) pour qu’elle paie mon essence à distance avec son numéro de carte de crédit. Il y avait une file d’attente interminab­le de gens qui étaient témoins de mon appel. Pour certains, cette situation aurait été la honte. Pour moi, je voyais le tout de façon positive. Je m’étais dit à l’époque : « Vous riez peut-être de moi maintenant, mais un jour je serai humoriste et j’écrirai ceci dans une chronique. » Boum! C’est fait. Et ce magazine est présenteme­nt en vente dans ce même dépanneur. Bon, le magazine ne se vend pas, mais au moins il est là.

Le groupe de musique Rammstein est venu au Centre Bell en 2012 et les billets étaient 200 $. Manquer un de mes bands préférés ou être positif et contourner le système? Deuxième option. J’ai fait une collecte de fonds sur mon Facebook pour amasser 200 $ en précisant bien sûr aux gens de donner à des organismes avant de donner à un gars qui veut simplement satisfaire ses désirs musicaux. Croyez-le ou non, un gars que je ne connaissai­s pas du nom de Karl m’a transféré 200 $ Paypal, soit le prix total du billet. Maintenant, je suis rendu ami avec Karl. À 200 $, t’achètes mon amitié! À 1000 $, je reconsidèr­e peut-être mon orientatio­n sexuelle pour toi. Penses-y, Karl!

Depuis ce jour, chaque fois que je croise quelqu’un en chaise roulante, je me sens un peu mal. Je me dis qu’il serait peut-être en fauteuil électrique si je n’avais pas vu Du Hast dans la section V.I.P.

Pour vous montrer à quel point je suis un gars positif (ou naïf, c’est selon votre perception), j’ai déjà payé de l’argent de ma propre poche pour faire un spectacle d’humour. C’était un de mes premiers spectacles à vie. Il y avait un concours de musique amateur où il fallait payer 50 $ pour participer et faire un spectacle devant public. J’ai appelé en demandant s’ils acceptaien­t des gens dans le volet humour et l’organisate­ur a été bien clair avec moi : « Tu peux payer pour faire le show, mais c’est juste de la musique. Si tu fais de l’humour, tu seras éliminé du concours après ta performanc­e. » En d’autres mots, je n’avais aucune chance de gagner : c’est comme si je m’inscrivais à La Voix et que ma famille était vivante et en santé, que j’avais eu une enfance facile et heureuse et que je ne souffrais d’aucune maladie non répertorié­e.

Puisque je payais pour faire le spectacle, dans ma tête j’allais jouer le show de ma vie. Je me suis un peu trompé. J’arrive au bar qui avait l’air d’un HLM dans lequel un itinérant n’oserait même pas entrer et la fille qui faisait payer les gens (je crois que c’était une fille…) me dit que ça coûtait 10 $ pour entrer. Je lui ai dit : « Non, je suis sur le spectacle, regarde l’affiche. » Et c’est là que je me suis rendu compte qu’ils avaient oublié de me mettre sur l’affiche…

J’avais hâte de voir ma loge, alors j’ai donc demandé à « l’organisate­ur » (j’ai mis le mot « organisate­ur » entre guillemets, car il avait plus l’air de gérer un kiosque de faux linge Fubu le dimanche au marché aux puces) où je pouvais m’installer, et il me pointa une porte du doigt. J’aimerais vous mentir pour vous faire rire, mais c’était bel et bien la porte de la toilette des handicapés. Mais j’t’un gars positif, autant dans mes tests de MTS que dans ma vie, alors j’me suis dit : « Yes, j’ai la loge la plus grande. » Jusqu’à tant que je voie que les musiciens avaient une vraie loge…

Il y avait maximum 30 personnes dans le public. Je suis monté sur scène et personne ne m’écoutait. Les gens buvaient, parlaient, et il y avait des gens de dos. Il y avait même des gens qui ignoraient que quelqu’un parlait en avant, je me sentais comme un prof d’économie familiale. Après trois ou quatre minutes sans aucun rire à parler presque dans le vide, j’ai entendu un bruit très fort et ce n’était pas les gens qui riaient. C’était le drummer d’un des groupes de musique qui était sur scène juste derrière moi en train de faire ses tests de son pendant mon numéro. Il y a des éléments clés à la réussite d’un projet, et un solo de drum pendant un numéro d’humour c’est une pas pire embûche je vous dirais. J’avais l’impression de poser des tablettes pas de marteau, pas de tablettes et pas de mur, avec des gens qui me lançaient des scies rondes.

Positif comme un guerrier, j’ai continué mon numéro comme si rien n’était. C’est alors que l’un des guitariste­s est monté sur scène pour tester sa guitare pendant que je parlais. J’ai terminé mon numéro en bas de la scène.

Chaque humoriste a une anecdote de son pire show à vie, moi c’est lorsque j’ai terminé mon numéro d’humour en bas de la scène pendant qu’il y avait des tests de son sur une trame de Highway to Hell.

Avec du recul, c’est le 50 $ le mieux investi, pas mal plus que le 20 $ d’essence que je dois encore à ma mère. Car je suis positif et maintenant je peux me dire : chaque spectacle que je ferai ne pourra pas être pire!

EH OUI, J’AI AUSSI PAYÉ L’ENTRÉE POUR MON PROPRE SHOW

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