Tribune Express

GRENVILLE-SUR-LA-ROUGE: PAS DE VEINE POUR LA MINE!

- ANDRÉ FARHAT andre.farhat@eap.on.ca

La municipali­té de Grenville-surla-Rouge à de quoi être soulagée: la minière Canada Carbon abandonne sa poursuite de 96 millions de dollars contre elle dans une entente hors cour. Mais est-ce fini?

«Un chapitre vient de se terminer», a affirmé le maire de Grenville-sur-la-Rouge (GSLR), Tom Arnold. Ce chapitre, c’est principale­ment la poursuite de 96 millions de dollars intentée contre la municipali­té par la compagnie minière Canada Carbon. Au coeur de la saga juridique: la mine Miller, sa carrière de marbre et des veines de précieux graphite.

En plus de laisser tomber sa poursuite, Canada Carbon s’engage – volontaire­ment, disons-le– à respecter plusieurs conditions et à assumer des responsabi­lités élargies, dont l’atténuatio­n du bruit, l’améliorati­on et l’entretien des routes du secteur, dont le chemin Scotch, et la mise en place d’un horaire d’exploitati­on. Toutefois, rien n’est coulé dans le roc.

Et tout n’est pas si simple. À commencer par le fait que Canada Carbon ait d’abord déposé une demande pour ressuscite­r l’ancienne carrière de marbre, avant la mine de graphite. «C’est complexe, rien n’est noir ou blanc», a soupiré Tom Arnold. En effet, les carrières sont soumises à la règlementa­tion municipale, mais les mines, elles, jouissent de la protection de la toute-puissante Loi sur les mines qui, selon Normand Éthier, cofondateu­r et porte-parole du mouvement SOS GSLR, n’a pas lieu d’être. «En 2020, on a encore une loi qui date de l’époque coloniale et qui permet aux promoteurs de faire la loi sur le territoire. C’est absurde!»

Plusieurs personnes croient que la carrière de marbre était pour Canada Carbon une façon de mettre le pied dans la porte en douce, pour ensuite exploiter la mine sans créer de remous. Or, les choses ne se sont pas passées comme ça.

En bloc contre la minière

Dès l’arrivée, en 2016, de Canada Carbon, une société minière relativeme­nt modeste, des voix dans la collectivi­té de GSLR se sont élevées en protestati­on contre la décision du conseil municipal alors en place de lui octroyer un permis d’exploitati­on de la carrière.

Le groupe SOS GSLR s’est créé, et rapidement, il est devenu clair comme de l’eau de roche, pour les membres du mouvement, que l’entreprise et ses pelles n’étaient pas les bienvenues. «Les élections de 2017 ont vu un record de participat­ion. Il n’y avait qu’un enjeu sur la table et l’acceptabil­ité sociale n’y était pas», a expliqué M. Éthier.

Le résultat fut sans équivoque. «Le nouveau conseil municipal était à l’unanimité contre le projet, a observé Daniel Séguin, résident de GSLR et vice-président de l’Associatio­n du lac McGillivra­y. Il n’y avait pas d’acceptabil­ité.

Il faut savoir que la réelle importance du gisement est encore débattue. D’un côté, les études déposées par Carbon Canada sont beaucoup plus optimistes que celles des opposants à la mine. «On parle ici d’un taux (de présence du graphite) 10 fois moins élevé que les autres mines de graphite du Québec!», a fait remarquer Normand Éthier.

Un habitat bouleversé

«La mine est située juste au-dessus d’une nappe phréatique importante pour les résidents», a indiqué Natalia Czarnecka, militante de SOS GLSR, élue au conseil municipal de GSLR dans la foulée des dernières élections. «Cette source approvisio­nne leurs puits, mais aussi le village, et même qu’elle est embouteill­ée», a-t-elle ajouté. Elle précise que les processus de séparation du graphite requièrent des bains chimiques, ce qui présentent des risques d’infiltrati­on dans le sol, et donc de contaminat­ion de la source.

D’autres facteurs de pollution s’ajoutent à cela: pollution aérienne par la poussière, pollution sonore par le dynamitage, la machinerie et la circulatio­n de véhicules lourds et une dénaturati­on de la vocation agroforest­ière et récréotour­istique de l’endroit, notamment avec le camp d’été Amy Molson pour les enfants défavorisé­s. «C’est un camp très connu, qui gagne des prix année après année», a indiqué Daniel Séguin. «Et n’oublions pas que les résidents ont le droit à la quiétude.»

Une pression indue

Et c’est là que les choses se sont compliquée­s pour les résidents de Grenvilles­ur-la-Rouge comme pour Canada Carbon. Sans attendre, le nouveau conseil de GSLR a annulé la décision d’octroyer un permis d’exploitati­on de la carrière de marbre. Devant ce retourneme­nt, Canada Carbon a intenté une poursuite de 96 millions de dollars contre la municipali­té. «C’est la poursuite la plus élevée jamais intentée en la matière au Québec», a affirmé Normand Éthier.

«Ce sont des revenus potentiels que la compagnie pourrait ‘peut-être’ faire, a indiqué Natalia Czarnecka, incrédule. Pour nous, il s’agissait plus d’une poursuite-bâillon», selon elle. C’est pourquoi la municipali­té a demandé aux tribunaux de rejeter la poursuite qui, selon GSLR, était abusive.

Une poursuite-bâillon, ou poursuite stratégiqu­e contre la mobilisati­on publique, est généraleme­nt déposée par une grande société ou multinatio­nale pour soit dissuader les opposants à son projet, ou encore les ruiner en les entrainant dans des procédures juridiques sans fin, extrêmemen­t couteuses.

Or, cette action en justice a eu comme effet de tourner les regards vers Grenvilles­ur-la-Rouge et la cause de ses résidents, créant une situation de David contre Goliath dans l’opinion publique.

Pour la suite des choses

Canada Carbon doit maintenant reprendre le processus de demande d’exploitati­on depuis le début. «Elle doit faire une nouvelle demande à la CPTAQ (Commission de protection du territoire agricole du Québec), puis il y aura le BAPE, a résumé Normand Éthier, et nous les attendons de pied ferme. La bataille a commencé.» Cette bataille pourrait toutefois être longue, et il faudra des années, et beaucoup de moyens à Canada Carbon avant de sortir d’éventuelle­s pelletées de graphite de la mine Miller.

« Pour nous, c’est une bonne nouvelle, cette entente, a dit Tom Arnold, parce qu’on n’a plus cette pression.» Jusqu’ici, la Ville a dépensé plus de 300 000$ en frais de toutes sortes pour se défendre. Et si pour Natalia Czarnecka, Normand Éthier et tous les autres opposants au projet, ce chapitre est terminé, Tom Arnold prévient : «Un autre chapitre s’ouvre, et plusieurs autres ensuite.»

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—photo André Farhat The administra­tion and many residents of Grenville-sur-la-Rouge can breathe a sigh of relief, as the Canada Carbon mining company has dropped its $96 million lawsuit against the Municipali­ty. The company also commits to mitigation and improvemen­t actions if it ever starts to operate the mine, which could be years from now.
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—photo André Farhat Les mouvements comme le groupe SOS GSLR sont très solidaires, et c’est la mobilisati­on citoyenne qui a permis l’interrupti­on du projet de la mine Miller.
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André Farhat Le maire Tom Arnold voit l’entente hors cour comme une bonne nouvelle. «Ce sera sûrement le plus gros dossier de ma carrière politique!»—photo

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