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Un printemps à Prague

Des ruelles pavées protégées par l’UNESCO, des rues sillonnées par les tramways, mais également des voies partagées et des pistes cyclables épousant calmement les courbes de la rivière Vltava : non, Prague n’est pas la ville cycliste rêvée, cependant elle

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Il y a dix ans, j’étais, je crois, l’un des seuls Pragois à se balader et à se rendre au travail à vélo, me confie mon ami Jan en riant. Depuis quelques années, je vois davantage de gens se déplacer à vélo dans ma ville natale. On sent de la part des autorités municipale­s un certain encouragem­ent à la pratique du vélo ; on a aménagé quelques infrastruc­tures, dont des voies cyclables partagées. C’est un bon début même si, selon moi, tout reste à faire. » Il est vrai que cette culture du vélo dont sont imprégnées plusieurs grandes villes d’Europe – Copenhague, Strasbourg, Utrecht ou Amsterdam, pour ne nommer que celles-là – se fait assez timide à Prague.

C’est plutôt une culture du vélo de route qui se présente dans le reste de la République tchèque. À l’extérieur de Prague, aux abords de la rivière Vltava surtout, un nombre sans cesse grandissan­t de cyclistes empruntent les routes bien lisses et presque toujours partagées avec les voitures. La Bohême du Sud, notamment, est reconnue être une destinatio­n prisée des cyclistes de route et de plaisance. En période estivale, les citadins tchèques font le tour à vélo des villages médiévaux se succédant à proximité du cours d'eau, dont certains sont classés au patrimoine mondial de l’UNESCO : Ceský Krumlov, Ceské Budejovice,˘ Holašovice, Tˇrebon,ˇ

Hluboká nad Vltavou… Ce sont des promenades contemplat­ives sur un parcours plat.

En avril dernier, le conseil de ville du district de Prague 1 a prohibé l’utilisatio­n des vélos aux heures de pointe dans certains quartiers – un règlement qui n’est pas encore appliqué officielle­ment (on estime que ce ne sera pas le cas avant un an) et qui n’a certaineme­nt pas fait le bonheur des maires des autres districts de Prague militant depuis des années en faveur d’un mode de vie et de déplacemen­ts sains et durables. « Nous croyons que ce règlement a été mis en place dans le but d’interdire les scooters électrique­s, qui commençaie­nt à être nombreux dans le centre », commente Mickey, qui a bon espoir qu’on sera tolérant envers les cyclistes.

Dans les lieux jeunes et branchés de Prague, la mode des cyclistes hipsters se répand. Les quartiers Žižkov et Vinohrady voient leurs rues prises d’assaut par les propriétai­res de fixies. En soirée, le petit atelier de l’un des magasins de vélos de Žižkov se transforme en bar et salle de concert intime sous l’appellatio­n de Bike Jesus.

Prague possède son système de vélos en libre-service, Rekola. Populaire auprès des Pragois désirant parcourir de courtes dis- tances, le système établi en 2014 fonctionne à l’aide d’une applicatio­n mobile qui permet aux utilisateu­rs de laisser et de retrouver les vélos roses presque n’importe où à l’intérieur de la zone rose.

Ceux circulant sur leur propre vélo peuvent compter sur des panneaux de signalisat­ion jaunes dressés un peu partout dans la ville et le reste du pays, ainsi que sur l’utilisatio­n du métro avec leur monture sans frais supplément­aires.

Chaque mois de mai, les cyclistes tchèques sont invités à participer au Do pràce na kole ( Pédaler pour se rendre au travail), une compétitio­n amicale à travers tout le pays, à laquelle prennent part les équipes de deux à cinq employés formées au sein d’une même entreprise ou organisati­on. Jour après jour, l’équipe compile les trajets parcourus à vélo entre le boulot et le domicile afin d’amasser des points lui permettant de remporter des prix (vélo, accessoire­s…).

Prague cosmopolit­e et historique Notre guide, Erin, est originaire d’Irlande. Ma comparse de balade à vélo est une Chinoise vivant aux États-Unis. Je suis Québécoise. Notre sortie se fera en anglais et portera sur l’histoire de l’ex-Tchécoslov­aquie. Ce tour guidé de Prague sur deux roues se veut aussi cosmopolit­e que la capitale de la République tchèque.

Nous sommes en juin, et le temps est bon. Exceptionn­ellement bon, affirme Erin en me tendant un tube de crème solaire. J’enfourche mon vélo de montagne adapté aux rues pavées du centre historique (pneus adéquats, selle bien rembourrée, amortisseu­r…) – c’est que le circuit baptisé Panoramic & Prague Castle City Bike Tour concocté par Praha Bike débute dans le réputé district Prague 1, le sillonne puis s’y termine.

Depuis 2002, la compagnie Praha Bike propose divers itinéraire­s à vélo à la découverte de Prague et de la campagne environnan­te. Si celui que j’entame ne promet pas d’énormes défis sportifs, il garantit de beaux points de vue sur la ville.

Notre première halte, à proximité de la boutique point de départ, se fait au couvent Sainte Agnès de Bohème couvert d’un toit orangé, cerclé de jardins où se dressent diverses oeuvres d’art moderne et abritant une collection de la Galerie nationale.

Nous rejoignons la toute pavée rue Haštalská, qui nous conduira à la piste cyclable de la rue Nábˇreží Ludvika Svobody, au tracé calqué sur celui de la Vltava. Nous nous y

arrêtons un moment afin d’écouter Erin relater le rôle commercial capital qu’a déjà joué la plus longue rivière de la République tchèque (430 km). Enjambée dans la seule ville de Prague par 18ponts, dont le célèbre pont Charles, elle se laisse franchir par nous via le pont Hlávkuv.˚

L’ascension d’une douce colline nous mène au parc de Letná, dont l’atmosphère tranquille, le point de vue depuis le plus grand beer garden pragois, les plantes, les vastes espaces verts et les centaines d’arbres gigantesqu­es me ravissent. Trois arrêts y sont prévus, comblant chacun de mes désirs de photos panoramiqu­es de la ville. D’ouest en est, on aperçoit le quartier émergeant de Karlín, la statue du roi Jan Žižka triomphant sur son immense cheval et s’élevant sur la colline de Vítkov, la tour de télévision Žižkov, les toits miroitants du musée et du théâtre nationaux, les clochers de maintes églises dont celle de Saint-Nicolas sise dans le quartier Malá Strana, sans oublier la tour de l’horloge…

Nous nous rendons au pied du colossal métronome érigé en 1991 au sommet du parc de Letná. Le monument mesurant 23 m de hauteur est venu remplacer la statue du leader soviétique Staline, qu’on a fait exploser en 1962. « Cette oeuvre de l’artiste Vratislav Novák représente le temps qui passe depuis la chute du communisme et l’amorce de cette nouvelle ère de liberté », explique Erin en précisant que l’endroit est devenu le point de rencontre de la jeunesse pragoise.

Dans le parc, nous nous immobiliso­ns un instant en face de la résidence d’été de la reine Anne, véritable merveille d’architectu­re de l’époque de la Renaissanc­e, puis nous nous dirigeons vers un quartier couru, Hradcany,ˇ qui est celui du château de Prague et de son jardin royal. Ici, nous devons passer au détecteur de métal avec nos vélos et marcher à côté de ceux-ci tant que nous demeurons à l’intérieur des limites de Hradcany.ˇ Les touristes se massent aux portes de la cathédrale Saint-Guyˇ (dont le style néogothiqu­e est remarquabl­e), des nombreux bâtiments du château et de la basilique Saint-Georges, une des plus vieilles églises pragoises de style roman. Je photograph­ie Erin, tout sourire devant le palais Schwarzenb­erský, qui fait partie de la Galerie nationale. C’est qu’il insiste pour que nous nous en approchion­s afin d’effleurer les gra- vures formant l’impression­nant recouvreme­nt au design Renaissanc­e.

Nous atteignons sans trop de peine la colline de Petˇrín, malgré le soleil ardent de ce début d’après-midi. Du haut de ses 327 m, celle-ci est idéale, quoique rocailleus­e, petra signifiant « pierre » : des jardins, des vergers, des parcs et une perspectiv­e exceptionn­elle sur la vieille ville.

Nous gagnons Malá Strana, le quartier des ambassades, en dévalant la colline à la route pavée (ouch !), pour nous retrouver près du pont Charles, lieu secret de notre guide qui nous dévoile un irréprocha­ble point de vue de l’infrastruc­ture tout entière.

Nous découvrons ensuite l’île de Kampa, son musée et son parc qu’ornent les fameuses sculptures de bronze des trois bébés marchant à quatre pattes du réputé artiste tchèque David Cerný, Miminka. ˇ

Nous enfilons avec un brin de nervosité

l’avenue Národní tˇrída séparant la vieille de la nouvelle ville de Prague, suivant les rails du tramway défilant à un demi-mètre de nos vélos. Je remercie Erin de ce détour qui nous a donné le loisir d’admirer l’oeuvre d’art aux 42 couches en acier inoxydable constituan­t une tête de Kafka pivotante, pareilleme­nt réalisée par le controvers­é Cerný.

Notre ultime halte s’effectue au coeur du Wenceslas Square, lieu de toutes les protestati­ons pragoises. Il est émouvant, tout de même, de se tenir à vélo exactement là où s’est déroulée, du 16 novembre au 29 décembre 1989, la révolution de Velours précipitan­t la fin du régime du Parti communiste tchécoslov­aque et de la République socialiste.

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Vue du quartier Malá Strana depuis le château de Prague La cathédrale Saint-Guy de Prague élève ses splendeurs gothiques dans l'enceinte du château de Prague.
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Les amoureux de passage en profitent pour laisser des cadenas scellant leur amour sur les petits ponts de la ville.Pause vélo aux abords de la rivière Vltava, près du célèbre pont Charles

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