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Svein Tuft : il danse avec les loups

Svein Tuft avait annoncé qu’il mettait fin à sa carrière au terme de la présente saison. Mais il n’en est plus si sûr. Portrait de l’atypique rouleur au parcours aussi improbable que spectacula­ire.

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Avant de débarquer chez les profession­nels, Svein Tuft n’a jamais rêvé d’aller au Tour de France. Ni au Giro, au Tour des Flandres ou au Paris-Roubaix. Il n’était pas même intéressé par la course cycliste avant d’en faire et n’a donc pas grandi en se voyant faire partie du grand cirque de la petite reine. Tandis que ses contempora­ins du circuit World Tour évoluaient dans les rangs juniors, se rasaient les jambes, comptaient leurs calories et s’imaginaien­t au volant des voitures sport qu’ils s’offriraien­t une fois remportée leur première classique, le natif de la ColombieBr­itannique menait une vie de ski bum. « Je squattais des cabanes perdues au fin fond de la forêt pendant l’hiver, se rappelle-t-il, je me chauffais avec le bois que je coupais et je faisais du camping en forêt seulement muni d’une bâche de plastique. » Autrement, il se déplaçait sur les routes au guidon d’un vélo de montagne aussi lourd que déglingué et trimbalait une remorque dans laquelle paressait son immense chien de 45 kilos. Arrive le jour où on lui prête un vélo de route, et Svein s’aperçoit alors qu’il peut aller vite. Très vite. C’est là que s’amorce sa véritable légende. Celle d’un marchand de watts obtenant une place prisée au sein du peloton en empruntant la porte la plus improbable qui soit, celle des anomalies de ce monde policé, pétri de traditions : la porte du hasard, à laquelle cognent parfois les talents hors-norme comme le sien, au détour de l’existence. Sa carrière sera couronnée de succès divers. Personnels, puisqu’il remportera le Tour de Beauce en 2008, sera plusieurs fois champion canadien au contre-la-montre, portera le maillot rose au Giro d’Italia. Mais c’est surtout dans l’acte d’abnégation de l’équipier de grand luxe qu’il tiendra le rôle prépondéra­nt de sa carrière, au service de ceux qui cherchent la lumière. Le sourire placide, la voix douce et la fierté paisible le confinantà l’ombre des grands. Au Tour de France, il sera lanterne rouge : tout dernier au classement général, signe de nombreux sacrifices au profit de l’équipe. « Un des plus beaux moments de ma carrière, c’est sûrement quand, à mon premier Tour de France, j’ai réussi à faire gagner mon équipe au contrela-montre. Je m’étais mis beaucoup de pression pour y arriver, et ce jour-là, les astres se sont alignés, mon corps a répondu à l’appel : j’étais extrêmemen­t fier d’aider mon équipe de la sorte. » Au cours de ce qu’il avait annoncé comme son dernier grand tour, en mai dernier, Svein Tuft a encore pu mettre à profitson talent de locomotive. Cette fois dans le but de protéger le maillot rose qu’arborait son leader, Simon Yates. S’installant à l’avant du peloton afin d’imposer un rythme d’enfer ou chassant les échappées, Svein Tuft n’a jamais failli à la tâche. Jusqu’à ce que Simon Yates, lui, craque dans la 19e étape, lors de laquelle Chris Froome lui ravissait la maglia rosa du meneur au classement général, avant d’aller gagner le Giro. Est-ce ce qui fait désormais douter Svein Tuft et le pousse à reconsidér­er sa décision de prendre sa retraite à la finde l’année ? Est-il taraudé par le devoir de revenir sur les lieux et de réussir là où son équipe a échoué cette année ? « Il ne faut pas prendre de décision hâtive, particuliè­rement après un effort comme un grand tour », dit-il en marge du Tour de Beauce, auquel il participe sous les couleurs de l’équipe nationale canadienne (aidant James Piccoli à devenir le premier Québécois en 24 ans à remporter l’épreuve). Énigmatiqu­e, discret, il n’en révèle pas davantage. Svein Tuft est un superbe phénomène. Un homme qui n’est pas la somme des légendes qui le rendent aussi mythique qu’irrésistib­le. Il n’est pas celui qui a roulé de ColombieBr­itannique à la Californie à seule finde rattraper le retard sur son kilométrag­e hivernal avant le camp d’entraîneme­nt de son équipe. Il n’est pas celui qui a affronté un loup malade afinde défendre son chien. Il est ce type simple, timide mais jovial, d’un calme absolu. Il n’a rien d’ordinaire, et pourtant tout dans ses manières effacées hurle en silence pour qu’on le considère comme tel.

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Svein Tuft vainqueur du Tour de Beauce en 2008
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