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Lart de faire manger ses bas aux vingtenair­es

Vieillir, personne n’y échappe. Ce phénomène physiologi­que normal ne devrait cependant pas être une excuse pour relâcher ses efforts à l’entraîneme­nt. Au contraire, il faut plutôt redoubler d’ardeur. Et de finesse.

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Si vieillir est une condamnati­on à ralentir, il faudrait en avertir Miguel Indurain; le quintuple vainqueur du Tour de France n’a vraisembla­blement pas reçu la note à cet effet. En 2016, le Roi Miguel, alors âgé de 52 ans, a par exemple avalé les vingt bornes d’un contre-la-montre individuel en 26 min 19 s, ce qui représente une impression­nante moyenne de 45,6 km/h. Son plus proche concurrent lors du volet sur deux roues de ce sprint par équipe du triathlon de Barcelone a quant à lui parcouru la distance en trois minutes de plus.

Le secret Indurain? Certes, la génétique y est sûrement pour quelque chose – le bruit court que sa consommati­on maximale d’oxygène à l’effort (VO2max), un indicateur fiable des performanc­es à vélo, flirtait avec les 95 ml d’O2/kg/min au pinacle de sa carrière. En réalité, toutefois, Miguel Indurain a tout simplement continué à pédaler depuis le début de sa « retraite » sportive en 1997. Encore aujourd’hui, il prend régulièrem­ent part à des cyclosport­ives comme la Marcha Cicloturis­ta Quebrantah­uesos, longue de 200 km et totalisant près de 3500 m de dénivelé .

Le cas de Miguel Indurain mais pareilleme­nt celui de Svein Tuft (41 ans), de Kristin Armstrong (44 ans) et de tant d’autres sportifs le prouvent: il est possible de préserver un bon niveau de performanc­e quand on avance en âge. Assez en tout cas pour faire manger ses bas à de fringants vingtenair­es (tel l’auteur de ces lignes). « Le déclin inévitable des performanc­es qu’on attribue généraleme­nt au vieillisse­ment est également dû à une baisse du niveau d’activité physique lorsqu’on se fait vieux. Ce sont deux facteurs qui se confondent, mais qui sont bel et bien distincts », souligne Martin Lussier, coauteur du livre Mythes et réalités sur le vélo, paru cette année aux Éditions de l’Homme.

En somme, il semble que l’entraîneme­nt soit la clé d’un vieillisse­ment réussi, tout au moins sur le vélo. Or encore doit-on adapter son contenu à cette réalité afin d’en maximiser l’efficacité.

Faire des intervalle­s

Entre un routier et un pistard, c’est le second qui subit davantage les contrecoup­s du vieil-

lissement. « La puissance est la qualité musculaire qui est la plus touchée lors de l’avancée en âge. Cela s’explique par une fonte progressiv­e de la masse musculaire, ellemême due à la perte de fibres musculaire­s [surtout à contractio­n rapide] ainsi qu’à la réduction de leur volume », souligne le chargé de cours au Départemen­t de kinésiolog­ie de l’Université de Montréal. Pour atténuer le

déficit en explosivit­é, l’entraîneme­nt par intervalle­s est tout indiqué.

Soulever de la fonte

Bien que moins marquée, une réduction de la capacité des muscles des membres inférieurs à se contracter itérativem­ent est tout de même constatée avec l’âge. Ce déficit en endurance musculaire, comme on nomme cette qualité, est ce qui fait dire à certains vénérables cyclistes qu’ils peinent à tirer et à pousser sur les pédales pendant de longues périodes. La solution : renforcer les muscles impliqués dans le pédalage. « On peut monter et descendre des côtes à répétition ou, encore mieux, pratiquer la musculatio­n. Le cas échéant, on parle de deux ou trois séances hebdomadai­res de 30 minutes », indique le kinésiolog­ue de 45 ans.

Réviser le plan

Non, ce n’est pas une légende urbaine : la récupérati­on est plus longue et rude lorsqu’on vieillit – la faute, entre autres, à une diminution de la production endogène de certaines hormones anabolisan­tes comme la testostéro­ne. Même si cela est variable selon les individus, on affirmera néanmoins sans se tromper que la capacité à répéter des efforts jour après jour s’en trouve généraleme­nt limitée. La clé du succès : une meilleure planificat­ion de l’entraîneme­nt. « Il faut s’assurer que les journées difficiles sont suivies de journées faciles, ajuster à la baisse la densité des semaines d’entraîneme­nt, bref, accorder plus de place au repos », dit Martin Lussier.

Accroître la flexibilit­é

Pédaler n’exige pas une grande amplitude de mouvement, ce qui est une fort bonne nouvelle pour les bouffeurs de bitume âgés, voire centenaire­s. Là où le déficit en flexibilit­é se fait particuliè­rement ressentir, c’est dans la capacité (moindre) à maintenir une position aérodynami­que pendant une longue période. Quand on sait qu’à au-delà de 40 km/h, environ 90 % de l’énergie déployée sert à vaincre la résistance de l’air, on saisit toute l’ampleur du problème ! Pour ne pas devenir trop raide, s’étirer reste l’interventi­on la plus simple. « On peut étirer de manière statique les quadriceps, les ischiojamb­iers ainsi que les muscles du dos. Quoique moins spécifique­s, les séances de yoga, avec leurs contre-postures, sont aussi excellente­s pour le cycliste », fait valoir l’expert.

Laisser parler l’expérience

Les cyclistes âgés ont l’avantage de la sagesse et de l’expérience – du moins en théorie ! « Dans leur sport comme dans la vie en général, ils sont plus respectueu­x des règles, plus discipliné­s, moins éparpillés. C’est un avantage certain lorsque vient le temps de s’entraîner sérieuseme­nt », estime Martin Lussier. Les motivation­s diffèrent en outre de celles de leurs jeunes vis-à-vis assoiffés de reconnaiss­ance. « Quand on vieillit, les motivation­s sont davantage intrinsèqu­es qu’extrinsèqu­es. On pédale pour le plaisir, l’accompliss­ement et le bien-être, moins pour les médailles et les podiums », observe-t-il. C’est peut-être là, dans ce formidable réservoir de sens, que se trouve l’énergie nécessaire au dépassemen­t perpétuel de soi.

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