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Challenge polaire Pédaler pour s’intégrer

- texte et photos Gilles Morneau

Rallier Québec à partir de Montréal, à vélo, en plein coeur de l’hiver, voilà une idée saugrenue, surtout quand les cyclistes arrivent tout juste au pays ou qu’ils en sont à leurs premiers coups de pédale ! C’est à ce genre de projet que carburent Luc Richer et les animateurs de Motivactio­n Jeunesse.

Ca sent bon dans le gymnase. Ahhh ! l’odeur typique de la lasagne accompagné­e de salade César et d’un petit pain, servie dans une assiette de « cartron » bien détrempée qui plie au milieu ! Vous connaissez, c’est le repas rituel qu’engouffren­t les sportifs attablés en rangs serrés dans un aréna ou sous un chapiteau lors d’événements cyclistes de masse.

Dans cette école primaire de Neuville, le festin est le même, or le groupe est aux antipodes de la foule habituelle des grands événements. Ici, pas de jambes rasées, pas de cuissards, pas de coups de soleil ni de visages bronzés en raton laveur. Les treize gars et trois filles attablés sont âgés de 12 à 29 ans et originaire­s de 10 pays différents. Ils étudient au centre Louis-Jolliet ou à l’école secondaire Vanier, à Québec. Ils sont affamés, mais pas épuisés. Ils sont de bonne humeur : en effet, ils se rapprochen­t de leur objectif. Plus qu’une journée à pédaler avant d’atteindre Québec. Ils viennent de vivre ensemble cinq jours qui les ont soudés, car ils ne l’ont pas eue facile. Partis de Montréal, ils ont roulé quotidienn­ement entre 30 et 75 km, souvent avec vent de face, essuyant une journée de pluie intense suivie d’une autre de verglas. Bienvenue au Québec !

« Ensemble, nous sommes le monde »

C’est le slogan du Challenge polaire, le cri d’équipe que lance le groupe à tout bout de champ. Cette expédition vise à attirer l’attention sur ces jeunes soit parachutés ici après avoir fui leur pays et qui subissent un choc culturel et humain, soit nés ici mais en difficulté d’insertion. Chaque jour, la bande de cyclistes a rencontré des élèves dans des écoles ainsi que les médias locaux, les éveillant à leur réalité, à leur difficulté à com- prendre le mode de vie nord-américain. Ils finissent par exemple par saisir que la « bulle d’intimité » des Québécois est plus grande que celle des Africains. Ou qu’ici, il est normal de ne pas être ami avec son voisin. Parlez-en à Ayub, Rohingya né dans un camp de réfugiés, qui a passé sa vie ballotté d’un camp à l’autre, apprenant cinq langues avant d’arriver au Québec, à l’âge de 13 ans. Écoutez Teddy, dont la famille a quitté le Burundi en raison du fait que son père était considéré comme ennemi du régime, raconter le plus beau jour de son existence, tout récent, ce samedi matin où ses parents ont ouvert la lettre confirmant l’acceptatio­n de leur statut de réfugiés. Chacun de ces magnifique­s jeunes possède son histoire, vit son intégratio­n à sa façon, cependant tous sont heureux de maintenant habiter ici, parce que c’est un endroit « où il y a la paix ».

Après le souper, le groupe regarde les Jeux olympiques à la télé, puis s’esclaffe et s’applaudit en visionnant le film de la journée, tourné et monté très profession­nellement par Jimmy. Une sympathiqu­e partie de volleyball s’organise ensuite – hé oui, il reste de l’énergie à ces jeunes. Par contre, dès 22 h, personne ne se fait prier pour retrouver son sac de couchage.

Fébrilité de la dernière étape

Le lendemain matin, tout le monde est debout très tôt. L’atmosphère est fébrile, car c’est l’ultime étape, et nous devons être au centre Louis-Jolliet à 13 h précises. Un petit 32 km. On déjeune, on libère le gymnase des matelas, des chaises et des tables. On s’habille chaudement, on dépose les bagages dans la remorque-balai. Julien, le mécano de la boutique Vélos Roy-O, procède à quelques ajustement­s de dernière minute. Les vélos de location sont couverts de gadoue séchée, on déchiffre vaguement les noms des jeunes, inscrits au feutre sur un bout de ruban gommé collé sur le cadre.

Le cortège se met en branle à l’heure prévue, divisé en deux groupes bien encadrés devant et derrière. Deux invités de marque se joignent à nous aujourd’hui : Sébastien Lapierre, le président d’honneur, qui en impose par ses exploits, notamment sa conquête du pôle Sud en solitaire l’an passé, ainsi que Martine Côté, journalist­e à la radio de Radio-Canada, qui effectue de nombreuses interventi­ons en direct, expliquant au public notre présence, ce qui nous vaut de multiples coups de klaxon d’encouragem­ent.

Jusqu’à Saint-Augustin-de-Desmaures, nous circulons sur le chemin du Roy, un tronçon pittoresqu­e de la Route verte 5 agrémenté de quelques points de vue sur le fleuve et de jolies résidences ancestrale­s. Les jeunes roulent très bien, respectent les règles de sécurité apprises au cours de la semaine. Le froid et le vent sont bien endurables pour un habitué de la place. Nos cyclistes, toutefois, ne se découvrent pas d’un fil. Certains portent la combinaiso­n de ski de bosses de l’équipe olympique canadienne, gracieuset­é de Philippe Marquis. On distingue à peine les visages derrière les passe-montagnes, foulards et lunettes de ski. Il reste juste un petit trou pour le sourire. Car ils ont du fun. Ils se tirent la pipe, entonnent des chansons dans des langues difficiles à identifier, surtout avec les babines gelées. Tyar, jeune Thaïlandai­s de 12 ans, maintient la cadence sans problème. On dit qu’il n’avait jamais pédalé avant les quelques entraîneme­nts de spinning et de fatbike qui ont servi de préparatio­n à l’événement. À le voir grimper en danseuse le sourire aux lèvres, c’est dur à croire !

À l’improviste, le curé de Saint-Augustinde-Desmaures nous invite à nous réchauffer dans le sous-sol de l’église. D’accord, mais pas longtemps, car nous sommes attendus. Un petit café, un petit pipi, une photo de gang devant l’église... et c’est reparti !

À la campagne succèdent la banlieue, puis la ville avec ses nids de poule et ses abords de rues glacés. Les intersecti­ons nous obligent à stopper souvent, toutefois le groupe est discipliné. La fébrilité augmente à mesure que l’arrivée approche. Nous arrivons pile à l’heure au centre Louis-Jolliet, alma mater de la majorité des jeunes du groupe, où ils suivent leur cours de francisati­on.

Wow ! 300 personnes sont massées près de l’arche d’arrivée ! L’accueil est aussi délirant qu’émouvant. Les jeunes sont submergés par leurs familles nombreuses. Dans les pleurs et les étreintes, on sent que l’inquiétude des jours précédents fait place à une fierté immense. Quelques discours sont de mise pour clore les retrouvail­les. En résumé, ça dit : « Vous êtes courageux, vous êtes beaux, vous êtes bienvenus ici. Prenez votre place, l’avenir vous appartient ! »

Chaque jour, la bande de cyclistes a rencontré des élèves dans des écoles ainsi que les médias locaux, les éveillant à leur réalité, à leur difficulté à comprendre le mode de vie nord-américain. Ils finissent par exemple par saisir que la « bulle d’intimité » des Québécois est plus grande que celle des Africains.

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Teddy
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Luc Richer, celui par qui tout a commencé, mène le peloton.
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Le curé de Saint-Augustin-de-Desmaures a accueilli la gang pour un café.

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