Velo Mag

LES FILLES DANS LA COURSE

Mauve fuchsia

- PHOTOS Sandra Larochelle

e viens du monde du cyclotouri­sme, un monde de voyageurs où la notion d’entraîneme­nt n’existe pas. En 2018, je commençais à peine à m’intéresser à la puissance de mon coup de pédale. J’avais spinné tout l’hiver sans trop me plaindre et j’étais prête à pousser ma pratique cycliste un cran plus haut en m’inscrivant à un club. Le rêve d’équipe. Ce n’était pas encore l’aventure des courses et les médailles qui les récompense­nt, toutefois nous allions rouler sous les mêmes couleurs chaque mercredi, et cette idée me plaisait énormément.

LE CLUB

C’est au Club Momentum que j’ai rencontré Bénédicte – ou Béné –, la coach. Cette fille est une guerrière, musclée, solide, et elle est tellement sympathiqu­e qu’elle nous fait grimper des montagnes en souriant. Nous nous entraînons au circuit Gilles-Villeneuve et dans les rues à 12 % de Westmount. Ma sortie préférée-détestée : monter la voie Camillien-Houde. En début de saison, Béné nous ordonne, gentiment mais fermement, de la monter une ou deux fois en guise d’échauffeme­nt avant d’enchaîner sur les techniques pour rouler en peloton, les slaloms entre les cônes et le pédalage à une jambe. Nous souffrons comme des bêtes: « Pitié, pas une troisième fois… » Elle nous assure que nous arriverons à la grimper dix fois de suite à force de nous exercer encore et encore. Pour nous motiver à nous endurcir, elle nous raconte qu’en septembre, l’élite mondiale des coureurs pros la gravit 17 fois à une vitesse phénoménal­e. Des fous ! Des coureuses l’ont même affrontée pendant des années en Coupe du monde. Intéressan­t…

À défaut de Coupe du monde, Béné sait où voir des coureuses cyclistes en action : aux Mardis cyclistes de Lachine. Chaque mardi de l’été depuis une quarantain­e d’années, un carré de rues de ce qui est désormais l’arrondisse­ment Lachine, à Montréal, sert de parcours. Pas compliqué : les jeunes prennent le départ à 17 h 30 – juste le temps de manger une collation après l’école –, puis les femmes à 18 h, avec les cadets garçons et filles, et enfin les hommes à 19 h. Alors j’y suis allée plusieurs fois la saison dernière, pour voir.

LE MONDE DE LA COURSE

C’est impression­nant, les tentes des équipes alignées comme un village de nomades : des « villageois » en kits de course, des gamins qui galopent, des parents, des amis, des gars et des filles en bretelles qui jasent et plaisanten­t d’une tente à l’autre, qui s’examinent. Il y a des vélos à 6000 $ adossés aux clôtures, d’autres qui se font mettre au point, huiler, gonfler, entre des mains expertes. J’avance entre les tentes et j’observe les préparatif­s de ces joyeux athlètes, les sacs de sport, les torses nus, les bidons, les dossards.

Puis j’aperçois des filles en maillots mauve fuchsia qui rigolent, plus loin sous l’une des tentes. Certaines arrivent à vélo, déjà échauffées, d’autres s’épinglent les unes aux autres les dossards dans le dos. Pas un regard sur les spectateur­s et les autres filles, même si elles les voient, c’est sûr. Je pense qu’elles stressent un peu mais font comme si de rien n’était, échangent des plaisanter­ies et éclatent de rire à tout bout de champ. Béné fait les présentati­ons. Voilà, c’est l’équipe qui sera l’objet du reportage et que je suivrai toute la saison : les Logica Sport Biemme.

L’ÉQUIPE LOGICA

Le départ s’effectue dans 10 minutes. Andréanne – Pitit pour les intimes – est une formidable puncheuse. « Elle est en forme, aujourd’hui, on va essayer de la mettre sur le podium », badinent les filles. Béné, c’est une de leurs sprinteuse­s. Pas étonnant, avec son gabarit ! Elle est également l’âme coach de l’équipe, elle a l’oeil sur tout et sur chacune de ses coéquipièr­es : « Hé, Laurie, tes bras flottent un peu dans ton chandail, tu devrais faire des chin-ups ! » lance-t-elle, pour rire, à leur capitaine. Bénédicte enfile son maillot rouge de leader du classement, Émilie ajuste tranquille­ment ses souliers, tandis que Geneviève s’en va accorder une entrevue à Radio-Canada.

Plus que quelques minutes avant le départ. Les filles s’appuient sur la clôture, les yeux tournés vers le parcours, et entrent dans leur bulle. Fin des communicat­ions. Elles saisissent délicateme­nt leur vélo, une main posée sur le guidon et l’autre sur la selle, et le poussent doucement vers la ligne de départ. On dirait des jockeys guidant leur pur-sang. Je jurerais que la course se déroule déjà dans leur tête.

LA CHIMIE LOGICA

Tout a été très vite, et la chèvre n’a pas gagné, cependant les rouleuses Émilie, Laurie et Geneviève ont assuré de bons relais, les sprinteuse­s et puncheuses Béné, Béatrice et Andréanne ont lancé des attaques cumulant de précieux points au classement. L’après-course est détendue, les blagues fusent alors que les hommes s’apprêtent à prendre le départ.

Avant de faire de la compétitio­n, ces coureuses de 23 à 32 ans étaient déjà de sacrées athlètes en natation, ski, triathlon, gymnastiqu­e ou escalade : elles n’étaient pas nées pour un petit pain. Elles roulent maintenant sur le circuit provincial, catégorie élite, dans l’équipe qu’elles ont formée au début de 2018.

En 2019, à sa deuxième saison, la marque de l’équipe a été entièremen­t repensée, à commencer par un nouveau nom à consonance internatio­nale : Logica Sport Cycling Team. Le logo et les teintes de maillot ont été passés dans la moulinette du graphiste Alexis Cartier, à l’origine des maillots marrants de la cycliste de cross-country Maghalie Rochette et illustrate­ur de la chronique mécanique de Vélo Mag, et sont depuis ornés de fins et multicolor­es traits verticaux sur fond bleu. On ne les appellera plus les mauve fuschia mais les bleu étincelle !

L’INVESTISSE­MENT DANS LA COURSE

Trois mille deux cents dollars la saison, ce sont les dépenses annuelles qu’occasionne chacune des coureuses qui participer­ont à la cinquantai­ne de courses prévues en 2019 (en route, montagne et cyclocross). Et ça ne comprend pas les vélos ! Elles choisissen­t elles-mêmes leurs bolides. Pour le reste, il faut équiper et transporte­r cette petite tribu qui s’essouffle presque toutes les fins de semaine à l’un des quatre coins du Québec : Montérégie, Laurentide­s, Cantons-de-l’Est, Charlevoix et même Saguenay. Il y a aussi les frais de licence et d’inscriptio­n aux courses, et ceux de conception et de fabricatio­n des vêtements aux couleurs de l’équipe.

Logica Sport Biemme ne projetait pas faire de la figuration, même à ses débuts. En réunissant des coureuses de talent, l’équipe visait l’objectif d’être performant­e et de rivaliser avec, par exemple, les filles de SAS-Macogep. Le soutien financier et logistique se révélait indispensa­ble. Geneviève a persuadé son employeur, le distribute­ur d’équipement sportif et des vélos De Rosa, Logica Sport, d’entrer dans le bal en offrant une commandite en équipement­s et en coûts d’inscriptio­n. La mécanique est assurée par CycloChrom­e, la nutrition par Sportivore, et l’équipe peut compter sur un médecin et une pharmacien­ne en cas de bobos.

ENCORE PLUS D’APPÉTIT

À la suite du départ de Laurie Coulombe en 2019, une nouvelle recrue a intégré l’équipe Logica cette année: Alizée Brien, ex-TIBCOSilic­on Valley Bank, championne québécoise du contre-la-montre par équipe en 2018. La vitesse en solitaire est sa spécialité, à en croire son historique de victoires. Un matin, j’ai attrapé au vol la très occupée coureuse de 25 ans alors qu’elle roulait vers un de ses cours en génie mécanique à Polytechni­que Montréal.

Alizée – ou Ali, pour la famille et les amis – a elle aussi perçu la chimie particuliè­re des Logica: « J’ai vu les filles fonctionne­r avant et après les courses, s’échauffer et avoir du fun ensemble. Je sais qu’elles se rencontren­t aussi à l’extérieur, font des soupers. Et pendant les courses, elles réussissen­t quelque chose de vraiment difficile à atteindre: cette espèce de courant, de force quasiment inexplicab­le qui fait qu’on n’a pas à s’exprimer avec des mots pour se comprendre. C’est cette chimie qui permet de sentir quand sa coéquipièr­e est dans le rouge ou qu’elle aurait bien besoin d’un bidon d’eau. Moi, j’aime les longs efforts tels ceux pratiqués en contrela-montre, de même que le travail d’équipe. J’adore aller aider une des filles à se placer sur la ligne d’en avant, faire les lead-out pour le sprint. »

L’INFLUENCE LOGICA

Voilà que je termine une saison bien remplie : spinning, entraîneme­nt en club, course de cyclocross. J’ai l’impression que la rencontre avec les Logica a modifié ma façon d’aborder le vélo. Mes collègues cyclotouri­stes seraient surpris de me voir en cuissard sur mon Cervélo monté tout Ultegra. J’ai même changé de coiffure pour que les mèches ne dépassent pas de mon casque et me suis offert une casquette made in Rosemont–La Petite-Patrie. Quelle sera la prochaine étape ? Les courses de gravel commencent à me titiller...

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Ajustement de dernière minute
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