Velo Mag

Fendre l’air

Aller plus vite sur deux roues n’exige pas nécessaire­ment d’être en meilleure forme physique. Parfois, une simple optimisati­on de son aérodynami­sme suffit.

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Avec son physique de type chevau-léger, Charles-Étienne Chrétien n’a pas du tout le profil d’un spécialist­e du contre-lamontre. L’Amossois de 19 ans, qui s’aligne avec l’équipe continenta­le Interpro Cycling Academy, n’a pourtant pas à rougir de ses plus récentes performanc­es lors de l’effort solitaire. L’année dernière, à son premier Tour de Beauce, il a terminé à 1 min 59 s du vainqueur de l’épreuve chronométr­ée de 19,4 km, un exploit qui lui a ouvert les portes du top 20 du classement général. Quelques jours plus tard, aux Championna­ts cana diens sur route, il s’est classé 7e au contre-la-montre des moins de 23 ans, long de 37,2 km.

Un palmarès honnête, disait-on, que le jeune homme doit en bonne partie à un changement de position sur son vélo de contre-la-montre. L’exercice d’optimisati­on lui a permis de gagner jusqu’à trois secondes par kilomètre dans des conditions idéales, et ce, sans pousser un seul watt supplément­aire. Faites le calcul : sur une épreuve de 30 bornes, c’est un gain net de 1min30s. Une éternité ! « Nous avons abaissé ma tête, rapproché mes bras l’un de l’autre et modifié quelque peu l’inclinaiso­n de la selle. Mis ensemble, ces petits détails ont significat­ivement amé

lioré mon aérodynami­sme », raconte celui qui venait de compléter le Tour de Langkawi, en Malaisie, lorsque Vélo Mag l’a contacté.

Même le plus occasionne­l des rouleurs le sait : la résistance de l’air représente LA principale force à maîtriser lorsqu’on pédale sur le plat. On évalue que de 80 à 90 % de l’énergie déployée – donc de la puissance – sert à la vaincre. Or, tous les cyclistes ne surmontent pas aussi efficaceme­nt cette résistance; la surface frontale du champion du monde en titre du chrono Rohan Dennis est certaineme­nt moindre que celle du commun des mortels sur vélo hybride. Dans le jargon scientifiq­ue, on l’apprécie à l’aide du coefficien­t de traînée aérodynami­que, ou CdA. Chez les meilleurs, le CdA se chiffre autour de 0,200 en position contre-la-montre et de 0,300 sur une machine de route.

LA CHASSE AUX SECONDES

« Si la grimpe est un concours de watts par kilogramme, le plat en est un de watts par CdA. C’est la variable clé pour réaliser des gains de vitesse considérab­les », explique Frédéric Domingue, professeur à l’Université du Québec à Trois-Rivières et cofondateu­r du Laboratoir­e d’innova

tions et technologi­es pour le sport et la performanc­e humaine (L-TIPS). De nombreux athlètes de haut calibre, dont CharlesÉti­enne Chrétien, mais également Hugo Houle, défilent entre les murs du L-TIPS afin d’arriver à grappiller quelques secondes. Chaque fois, la démarche commence par une analyse en profondeur des résultats antérieurs. Le but : estimer un CdA initial et identifier les limitants de la performanc­e.

C’est alors que le fun, le vrai, débute, sous la forme d’un bilan musculaire complet du cycliste. Ischiojamb­iers tendus, bas de dos récalcitra­nt, muscles des hanches raccourcis: autant de limitation­s fonctionne­lles ayant un impact certain sur le positionne­ment à l’effort, l’étape suivante. À ce chapitre, rien n’est laissé au hasard, souligne Claude Lajoie, l’autre tête dirigeante du L-TIPS. « Nous recourons à de nombreux instrument­s qui permettent de quantifier ce que nous faisons. C’est la seule manière d’éliminer la subjectivi­té, qui est courante dans ce genre d’exercice », dit-il. Caméras au laser, pédales de force et électromyo­graphie ne mentent pas, contrairem­ent au bon vieux fil à plomb...

Même si chaque cycliste est un cas unique, des tendances émergent. Ainsi, les selles exagérémen­t avancées constituen­t « un classique », et les manivelles trop longues sont « courantes », tout comme les têtes coiffées du « mauvais » casque qui pognent dans le vent. « Une fois la position du cycliste optimisée, nous pouvons l’apprécier et la peaufiner en soufflerie virtuelle. Le recours à ce logiciel 3D nous permet de sauter l’étape de la validation dans une vraie soufflerie, qui est coûteuse », indique Frédéric Domingue. Il ne reste plus à l’athlète qu’à se familiaris­er avec ses nouvelles marques, et voilà, le tour est joué !

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