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CYCLOCROSS La fièvre de l’automne

- par David Desjardins PHOTOS Sébastien Bouchard

Fin octobre. Il fait un froid épouvantab­le. Le peu de verdure épargné par l’automne semble avoir été délavé : l’oeuvre du gel nocturne. Sur la ligne de départ des Championna­ts québécois de cyclocross, les 47 autres partants de la course des maîtres 40-49 ans ne parviennen­t pas à agir comme rempart pour me protéger du vent. Je tremble. On annonce le départ imminent. Je retire mon manteau d’hiver, sors le métaphoriq­ue couteau que j’avais rangé dans mon skin suit, le place entre mes dents, et c’est parti. Pleins gaz !

Devant, le terrain de jeu contient tout ce qu’il faut: des descentes endiablées, des virages qui se négocient à pleine vitesse et d’autres qui nécessiten­t un certain génie du pilotage. Il y a des dévers vaseux, des escaliers, des barrières, des montées glissantes et abruptes. Quant à l’ambiance, elle est aussi en règle : camion-bouffe, bière de micro, amis qui vous crient par la tête « Oublie pas que c’t’une course! », « Enwoye, l’gros moteur! ».

M’attendent six tours de cet exigeant parcours. Cinquante minutes de poumons qui brûlent, de jambes qui hurlent, de regard halluciné, de mains cramponnée­s au guidon, de goût du sang dans la bouche.

J’adore ça. J’ai vraiment attrapé la fièvre du cyclocross.

UNE ÉDUCATION

D’abord, revenons en arrière. Ayant mis fin à ma « carrière » de coureur sur route, j’avais envie de retrouver l’excitation de la compétitio­n. J’avais aussi le goût de m’essayer à autre chose. J’avais déjà participé à deux courses de cyclocross, il y a quelques années, parmi les moins difficiles du circuit sur le plan technique, et j’avais assez aimé.

Le but, dans ce cas-ci, était d’y aller à fond. Je me suis donc procuré un vélo (mon vieux était désuet, et reconverti en engin urbain). Puis une collection de pneumatiqu­es. Mais avant tout, j’ai contacté un mentor en la personne de mon ami et coéquipier de longue date sur la route : Charles Ostiguy.

Parce que vous avez beau posséder le plus imposant moteur du lot, la connaissan­ce et la technique changent la donne dans ce sport qui n’épargne pas les pilotes malhabiles.

Suivant les conseils de mes profs, je me suis donc mis à la pratique de différente­s habiletés techniques (voir « Conseils de pros »), j’en ai profité pour mettre l’équipement à l’épreuve et, finalement, j’ai adopté le circuit régional de Lévis pour y faire mon éducation à la dure.

Toutes les semaines de septembre et du début octobre, le mercredi, nous étions quelques dizaines à prendre le départ de groupe à 18 h, tous genres et âges confondus, nous élançant sur un parcours impitoyabl­e qui forçait à la fois l’humilité et l’acquisitio­n de compétence­s sur le tas. Comme d’apprendre à bien rouler un dévers de gazon humide, ou à mesurer l’apex d’un virage parfaiteme­nt réussi. Sans parler des pépins techniques qui m’ont permis de mieux comprendre que le mariage entre certains pneus tubeless et des jantes n’est pas toujours heureux à 24 lb de pression. Car, oui, le cyclocross se roule comme le vélo de montagne: bien mou. Question d’adhérence.

Dans le désordre, j’ai glissé, je suis tombé, j’ai déjanté mes pneus (avant et arrière), je me suis encastré dans une barrière, j’ai pris une quantité ahurissant­e de mauvaises lignes, ragé en essayant de refixer mes pieds aux pédales, dérapé dans la garnotte, mais petit à petit, j’ai apprivoisé la bête.

UNE COMMUNAUTÉ

L’équipe d’Éric Blais qui organise ces compétitio­ns incarne parfaiteme­nt le dévouement et la passion de celles et ceux qui vont me permettre, tout l’automne, de développer mon amour pour ce sport.

Tandis que le soleil disparaiss­ait, au terme de nos intenses efforts, les gars nous rejoignaie­nt dans le stationnem­ent, prenaient une bière avec nous, nous demandaien­t notre avis sur les changement­s apportés au parcours d’une semaine à l’autre. Je retrouvais là la collégiali­té qui me manquait des critériums estivaux, la crainte de me fracasser la gueule à 50 km/h en moins, et le plaisir d’écluser une bière en gang en plus.

À ma première course provincial­e, je serais jeté dans le bain du cyclocross. Une communauté qui se retrouve toutes les fins de semaine d’automne, partant des quatre coins du Québec pour converger vers le lieu de compétitio­n. Des visages nouveaux deviendrai­ent familiers. La voix de Tino Rossi, infatigabl­e maître de cérémonie : la bande son de mes week-ends.

Mais surtout, c’est l’esprit qui se dégage de ces événements qui me séduira au premier abord. Une conviviali­té qu’on ne retrouve ni tout à fait à la montagne ni sur route. Une sorte d’improbable et parfaite combinaiso­n entre la compétitiv­ité et le désir d’appartenan­ce au groupe. Ensemble dans la misère, sans que cela n’éteigne, chez ceux qui le souhaitent, le désir de vaincre.

UNE SAISON (À S’AMUSER) EN ENFER

Première course du circuit provincial: Terrebonne. La série panquébéco­ise Maglia Rosa se joue désormais en groupes, répartis selon les forces et les compétence­s des coureurs. Dans la catégorie 1, vous êtes avec les élites. Dans la 2, les experts. Et ainsi de suite, pour tous les 15 ans et plus. La première nouveauté est donc de prendre le départ avec des kids qui pourraient être mes fils, ce qui est plutôt amusant. Et rafraîchis­sant. Je course dans la 2, avec mon pote Charles. Le calibre est fort, je m’en rends compte assez rapidement.

Dans la chaleur caniculair­e du début de l’automne, je découvre la difficulté d’un départ de masse aussi important. J’ai omis de me pointer tôt près de la ligne, je me retrouve donc tout à l’arrière. Nous sommes une cinquantai­ne. Si bien que, lorsque les premiers coureurs franchisse­nt la butte à une cinquantai­ne de mètres devant, je n’ai pas encore bougé. Je ne m’en sors pas trop mal, malgré ce faux pas et une tête de tige de selle défectueus­e qui m’oblige à faire presque toute la course debout et à m’arrêter pour tenter de régler le problème, en vain.

En route pour Chelsea, la voiture de Charles a bien failli être emportée par le vent de la tornade qui a frappé l’Outaouais. Je suis quant à moi touché par la grâce: j’effectue un départ canon, parvenant à demeurer à l’avant malgré la confusion qui m’habite dans les premiers instants de chaos que constitue chaque début de course. Le parcours est dur, à flanc de montagne, et il comprend des sections de boue épaisse qui obligent à choisir: courir ou peser très fort sur les pédales et y laisser des forces. Je suis un coureur rapide, je gagne du temps dans ce secteur. J’ai l’impression d’avoir compris quelque chose. La technique se place. J’identifie les bonnes lignes, je dépasse bien et gère mon effort correcteme­nt. Si bien que je termine au pied du podium. Le lendemain, sur le même parcours, un mauvais départ me handicape. Dur pour le moral. Excellent pour l’humilité.

À Bromont, ça rocke. Les premiers virages après le départ creusent les écarts. C’est souvent à ce moment que se forme le trou entre les cinq premiers et ceux qui suivent : dans les premières difficulté­s techniques. Tu veux arriver là en premier et ne pas subir les autres, mais plutôt imposer ton rythme. Je m’en sors moyennemen­t, mais je regagne des places par la suite. Plus la course avance,

C’est l’esprit qui se dégage de ces événements qui me séduira au premier abord. Une conviviali­té qu’on ne retrouve ni tout à fait à la montagne ni sur route. Une sorte d’improbable et parfaite combinaiso­n entre la compétitiv­ité et le désir d’appartenan­ce au groupe. Ensemble dans la misère, sans que cela n’éteigne, chez ceux qui le souhaitent, le désir de vaincre.

mieux je me sens, et mes habiletés à franchir les difficulté­s s’aiguisent. Je termine isolé, entre deux groupes. Je gère, tente de reprendre du temps sur l’avant sans exploser ni me faire rattraper non plus derrière. Le métier rentre. Surtout, je m’amuse ferme.

Course à Rigaud, sur un circuit semblable à celui de Chelsea, quoiqu’un peu moins exigeant. C’est mon très mauvais bunny hop qui me coûte cher ici, et je manque de laisser ma roue arrière sur le parcours en la massacrant deux fois sur un billot placé en travers du tracé. Mais plus encore, j’ai dormi au gaz et raté l’appel du départ: mon classement dans la série m’aurait permis de commencer à l’avant, mais j’étais parti aux toilettes… Je débute à l’arrière, dans le zoo. Ce qui m’oblige à chasser tout du long.

Le lendemain, direction Bouchervil­le. Des lignes rapides, avec pour principale difficulté une grande trappe de sable où l’on fait un aller-retour. Chaque fois que j’en ressors, j’ai l’impression de mourir un peu. La volée d’escaliers qui suit finit de me faire exploser les jambes. Mais je ne m’en sors pas trop mal, je reste un bon moment avec le groupe de tête, mais me fais plus tard larguer… pour mieux revenir en tête, contre toute attente, et je termine pas très loin derrière, après qu’une chute dans un dévers m'eut coûté de précieuses secondes. Et une place, au final.

Je termine ma saison en enfer à Drummondvi­lle. Il reste une autre course du circuit provincial le lendemain, puis deux autres à Laval en novembre (qui se dérouleron­t dans la neige). Les championna­ts canadiens, aussi. Plus d’autres compétitio­ns à gauche et à droite, en Ontario, au Vermont, dans le Maine. La fatigue se fait sentir. J’ai beau me reposer en semaine, et tourner les pattes en ne gardant qu’une séance d’intervalle­s, l’intensité des efforts du week-end me rattrape. Les coûts aussi. Essence, chalets, motels, hôtels, restos, équipement: tout cela s’accumule… sur ma carte de crédit.

LE SPORT PARFAIT

Malgré cela, si je n’avais pas un long voyage prévu à l’automne, je referais la même chose cette année. Sans doute vais-je renouveler l’expérience l’an prochain. Parce qu’il y a dans cette communauté de coureurs et de coureuses un esprit qui m’attire et m’élève. Je m’y sens bien. Au-delà de l’épreuve sur la forme, on s’amuse à déconner avec les autres, à améliorer sa technique, à progresser, à se découvrir des limites, à déguster des bières de micros, à retrouver ses vieux amis le temps d’un week-end dans un chalet, à parler d’équipement, de pression de pneus... J’aime l’idée de ce sport où l’on fait les choses sérieuseme­nt, mais sans trop se prendre au sérieux. Une sorte d’éthique du jeu qui me parle et m’habite.

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