HUGO HOULE
À table avec un pro
La vie d’un cycliste professionnel attise la curiosité de l’athlète amateur. L’assiduité, l’entraînement et le talent y sont pour beaucoup dans la performance, mais comme « on est ce qu’on mange », l’alimentation fait également partie des préoccupations quotidiennes du cycliste.
Depuis plusieurs années, on sait que les glucides jouent un rôle important dans les performances de l’athlète. On le répète sans cesse: ils constituent la principale source d’énergie durant l’effort. Toutefois, s’ils sont consommés en trop grande quantité, les glucides sont transformés sous forme de matières grasses et entreposés dans notre corps. Pour le cycliste d’élite, il ne s’agit pas seulement de « bouger pour être en forme », encore faut-il ajuster tous ses paramètres physiques et mentaux de manière à trouver l’équilibre idéal entre un faible poids et une puissance maximale. Cet objectif représente un grand défi pour les coureurs professionnels.
Malheureusement, le besoin de contrôler son poids entraîne souvent des troubles alimentaires, et ces derniers sont davantage prévalents chez les athlètes que dans la population générale. Chez les cyclistes de haut niveau, on observe même une culture de la minceur qui s’impose sournoisement dans le but de déjouer la gravité tout en améliorant l’aérodynamisme.
Pour d’autres athlètes, l’alimentation est davantage perçue comme un outil de travail qui aide à mieux performer. C’est d’ailleurs le cas de Hugo Houle, coureur professionnel dans l’équipe Astana. Il a accepté de répondre aux questions de Vélo Mag au sujet de son alimentation.
Le ratio entre la puissance déployée et le poids de l’athlète est sans contredit un paramètre de référence dans cette quête de la performance. As-tu eu à faire quelques changements dans ton alimentation pour atteindre le ratio parfait pour toi ?
Il est certain que mon alimentation a évolué au fil des années. J’ai vite compris l’importance du poids, surtout dans les cols. Il faut essayer de trouver le meilleur rapport poids-puissance. En matière d’alimentation, j’ai fait plusieurs changements, mais le plus important concerne la gestion de mes apports en glucides. Actuellement, dans mon équipe de course, nous avons un nutritionniste qui a créé un chiffrier Excel avec lequel je peux savoir exactement quelle quantité et quels types de glucides je peux manger selon mon entraînement du jour, celui du lendemain, et en fonction de mon métabolisme basal. Par exemple, si j’ai un entraînement plus facile et moins long prévu le lendemain, ma portion de glucides en soirée sera réduite, mais l’inverse sera envisagé si je compte rouler longtemps à plus haute intensité. C’est un peu le principe de la périodisation des glucides, qui me permet de toujours avoir le bon taux de sucre dans le sang, au bon moment. Ces changements sont devenus ma façon de m’alimenter, comme une seconde nature.
Avant une grosse épreuve comme le Tour de France, par exemple, dois-tu faire une surcompensation en glycogène ? Et à quoi peut ressembler ton alimentation, sur le plan de la variété et de la quantité, pour une course de plus de cinq heures qui se répétera jour après jour ?
Depuis l’année dernière, j’ai un plan nutritionnel pour faire face à toutes les étapes d’un Tour ou simplement à une course d’un jour. Ce plan contribue à adapter mon alimentation en fonction des données recueillies sur mon capteur de puissance et à déterminer la bonne quantité d’aliments à manger selon l’intensité générée.
Lorsque je suis en compétition, mon assiette se compose à 80 % de carbohydrates et de très peu de légumes. Par exemple, lors du Tour de France, mon souper était composé de 450 g de pâtes cuites avec 200 g de poulet et 150 g de légumes grillés. Dans une journée standard (5 h de course), je consomme dix gels, deux boissons de maltodextrine et fructose ainsi que deux bidons d’eau. En combinant plusieurs types de glucides, comme la maltodextrine, je peux mieux tolérer cette grande quantité ingérée à chaque heure et avoir constamment de l’énergie, sans nécessairement ressentir d’inconforts digestifs. Par contre, dans une étape en montagne, je peux consommer jusqu’à 80 g de glucides à l’heure, ce qui peut représenter trois gels réguliers.
Pour les grandes courses (plus de 7 h), où je brûle près de 6000 calories, je vais faire une surcompensation en glycogène. Durant les 48 heures précédant l’événement, j’augmente considérablement ma quantité de glucides tout en diminuant ma dépense énergétique. J’arrive donc sur la ligne de départ avec une bonne dose d’énergie et moins de risques de faiblesse.
Il semble y avoir une culture associée à la minceur absolue qui empêche certains cyclistes de reconnaître qu’ils se trouvent dans une situation de désordre alimentaire. Est-ce un phénomène qui prend beaucoup d’ampleur autour de toi ? Où te situes-tu par rapport à cette question ?
Les Européens focalisent beaucoup leur attention sur leur poids. Dans le milieu, si tu es un maigre « sec », on croit que tu vas rouler vite. Pour ma part, je suis assez rigoureux dans la gestion de mes apports nutritionnels parce que je sais toute l’importance d’une alimentation optimale sur ma propre performance. J’ai appris avec les années également ce qui fonctionnait le mieux pour moi. Bien sûr, il existe différentes écoles de pensée, et beaucoup d’athlètes s’entraînent à jeun ou bien font une fixation sur leur poids. Mais, au fond, nous n’avons aucun interdit alimentaire ni restrictions. Par ailleurs, nous savons que si les bons résultats ne sont pas au rendez-vous, nous ne signerons possiblement pas un autre contrat. C’est surtout cette pression qui, je crois, peut entraîner des comportements moins sains envers les aliments. En ce qui me concerne, je choisis à 100 % ce que j’ai envie de manger, et le nutritionniste m’aide à cibler quelle quantité de glucides je dois ingérer en fonction de la dépense énergétique.
Je sais exactement ce que je dois manger si je veux avoir suffisamment d’énergie pour m’entraîner et avoir un poids optimal pour ma course. Finalement, pendant 80% de l’année, je ne contrôle pas nécessairement mon alimentation, mais je sais que je dois avoir un certain poids en février, au début du calendrier de courses. C’est devenu naturel avec les années.
Dans ce contexte où la performance passe aussi dans l’assiette et sur la balance, as-tu par moments l’impression que certains aliments sont devenus des interdits ?
Non, je ne me suis jamais senti en privation ou en manque d’aliments ; je mange toujours à ma faim. Même chose pour l’alcool. C’est la décision de chacun, et on ne s’empêche pas de vivre. Par contre, comme ce sport est mon travail et ma passion, je sais très bien que mes sensations sont meilleures lorsque j’ai bien mangé et que je suis reposé, et c’est toujours ce qui me vient d’abord en tête quand vient le temps de faire mes choix alimentaires.
Au début de ma carrière, je trouvais cela plus difficile et j’étais moins rigoureux, mais mes performances n’étaient pas totalement à mon goût. Avec l’expérience et la maturité, je vois mon alimentation comme un gage de performance, et c’est ce qui me fait avancer au quotidien.
Et puis, ce n’est pas vrai que de manger sainement n’est pas plaisant ! Tout est une question d’équilibre et d’habitudes. J’ai toujours aimé bien manger et, surtout, cuisiner des repas goûteux avec des produits de qualité.
Au début de ma carrière, je trouvais cela plus difficile et j’étais moins rigoureux, mais mes performances n’étaient pas totalement à mon goût. Avec nd l’expérience et la maturité, je vois mon alimentation comme un gage de performance, et c’est ce qui me fait avancer au quotidien.