La lassitude du pédaleur de fond
Les années à pédaler sur les routes du monde s’entassent dans ma tête et dans mes jambes. Si la première année était celle de l’adaptation et de l’apprentissage, les suivantes sont progressivement devenues une routine s’apparentant presque à un travail normal. J’ai dû à quelques reprises retrouver les raisons pour lesquelles je poursuivais ce chemin.
Il y a déjà quatre ans que j’ai quitté le confort d’un emploi de bureau pour dormir dans ma tente et aller à la rencontre des habitants de ce bon monde. Durant six mois, j’ai pédalé du Royaume-Uni au Kirghizistan, en Asie centrale, puis ma route a continué en Asie du Sud-Est pour la même durée. Quelque 15 000 km après mon départ, j’ai commencé à me demander pourquoi je roulais d’un endroit à l’autre.
L’humain s’habitue à tout, des bruits du bétail curieux venant se frotter à la tente jusqu’à la pauvreté et la pollution présentes aux quatre coins du monde. Tout ce qui surprend ou saute aux yeux au début devient progressivement normal. Un peu comme on ne remarque plus les murs et particula particularités d’une maison dans laquelle on habite depuis un certain temps.
Dans un premier long voyage à vélo, tout est nouveau au commencement, de la même façon que la première année dans un nouvel emploi est la plus exigeante : il faut tout apprendre, puis les tâches deviennent routinières. En cyclotourisme, cette routine prend la forme de ranger son campement ou son équipement, rouler, manger, discuter, répondre aux mêmes questions – D’où viens-tu? Où vas -tu? –, pédaler et se nourrir de nouveau, et enfin se poser pour la nuit.
Après un an, donc, j’avais davantage de difficulté à saisir le plaisir présent, et la question me revenait souvent : où allais-je avec cette aventure? Les nombreuses difficultés étaient quotidiennement renouvelées, toutefois j’avais moins envie et moins la force mentale de les surmonter.
Par un heureux hasard, j’ai alors reçu et accepté une offre d’emploi en Malaisie. Je me suis posé un an dans ce pays et y ai compris que j’aimais toujours autant voyager à vélo et découvrir les paysages, mais que je n’avais tout simplement pas pris suffisamment le temps de m’arrêter.
Je suis donc reparti. Et dorénavant, je reviens deux fois par année au Canada. Je fais également halte quelques jours ici et là, le temps de reprendre mon souffle et de retrouver mon émerveillement quotidien.
Et apparemment, je ne suis pas le seul à penser ainsi.