Martin Léon veut vous faire pédaler
Le compositeur Martin Léon n’avait jamais écrit une chanson d’entraînement avant Wall Street. On le connaît plus pour ses albums trip-hop, comme Le facteur vent et Les atomes, ainsi que pour ses musiques de films, tels Monsieur Lazhar et The Good Lie. Après une dizaine d’années de spinning, il est sorti de sa zone de confort en créant une chanson lui permettant de relever un défi sportif. Il a troqué ses orchestrations contre les samples propres aux succès techno qui résonnent dans les gyms.
Tout commence en 2019 alors que Martin Léon parvient au plus haut niveau du Tabata, un entraînement à haute intensité (aussi connu sous le nom de HIIT). Ce type de pratique ne lui suffit plus, diagnostique son entraîneur, Jean-Luke Côté.
Histoire de pimenter leur programme, l’entraîneur et l’entraîné se mettent en tête de doubler la durée d’un Tabata habituel. Huit répétitions de 40 secondes d’effort sur un vélo plutôt que les 20 secondes classiques, avec 20 secondes de repos entre chaque répétition, pour un total de 8 minutes. Seul problème: Jean-Luke, qui accompagne tous ses entraînements de musique, ne trouve aucune piste qui corresponde à la durée de l’exercice, au grand désespoir de Martin. «Ça n’existait pas! C’est là que je me suis dit : mon métier, c’est d’être compositeur, je vais la composer ! se rappelle-t-il. Je suis devenu cobaye sur ma propre musique. »
Le projet musical est d’abord lancé à la blague, mais devient de plus en plus sérieux au fil des improvisations en studio. Jean-Luke Côté, instructeur de spinning certifié, danseur professionnel et chanteur dans des comédies musicales à ses heures, se prête au jeu avec enthousiasme.
UNE PREMIÈRE
Guidés par la conviction qu’entraînement et musique vont de pair, les complices optent pour un style warrior et volcanique qui inclut beaucoup de percussions et les rythmes électro propres au genre. Martin annonce les décomptes, Jean-Luke se charge des encouragements. En l’espace de quelques soirées, Wall Street est créée.
Composer pour une séance d’entraînement plutôt que pour des films a obligé Martin Léon à délaisser l’aspect plus émotionnel pour se concentrer sur le physique. «Il y a vraiment une énorme différence. Là, il faut que le coeur batte. Il faut qu’on sue, il faut qu’on se dépasse.» Il ne compte cependant pas en faire profiter ses spectateurs, puisque cette nouvelle composition ne suscite pas les mêmes émotions que son répertoire habituel.
L’instructeur fait pour sa part remarquer qu’il ne connaît aucun artiste ayant réellement composé de la musique respectant les contraintes d’un Tabata. En temps normal, les entraînements se font sur des remixages de grands succès, comme Beat It de Michael Jackson ou encore Back in Black d’AC/DC. A contrario, la pièce Wall Street est 100 % originale, ce qui rend la démarche de ces deux sportifs d’autant plus intéressante.
«La première fois que nous l’avons essayée, je suis mort d’un coup sec», se souvient l’artiste, rieur. L’entraîneur surenchérit : « Les 30 premières secondes, c’est tough, mais les 10 dernières secondes…» «C’est l’enfer», complète Martin. Mais pourquoi l’intituler Wall Street ? «C’est la tension cardiaque qui monte, qui descend, qui monte, qui descend», explique Jean-Luke. «Aussi parce que c’est de la folie!» ajoute Martin. Aujourd’hui, leur chanson est disponible sur iTunes et YouTube pour quiconque souhaite une chanson d’entraînement chronométrée à la seconde près.
JUSQU’AU BOUT
Dans la salle d’entraînement obscure, les miroirs commencent à s’embuer, signe que la fin de la séance approche. Sur leurs vélos d’exercice, une trentaine de personnes suent à grosses gouttes au son d’un rythme entraînant. « Et on finit avec Wall Street. C’est parti ! » annonce Jean-Luke Côté, qui en profite pour étrenner la chanson pendant l’un de ses cours.
À 122 battements par minute, Wall Street est structurée pour correspondre exactement aux temps d’effort et de récupération prévus dans ce Tabata poussé à l’extrême. « Ça te dit quoi faire, quand pédaler, quand t’arrêter, quand repartir », note Jean-Luke. En selle, une fois la chanson commencée, on se sent presque obligé de donner un coup de pédale pour ne pas perdre le rythme, quitte à rapidement s’essouffler. Atteindre son maximum, au moment où la respiration ne comble plus les besoins en oxygène des muscles, permet de s’améliorer autant en force qu’en endurance ou en cardio, explique Jean-Luke. Ce sont les 10 dernières secondes de chaque répétition – les plus longues, d’un point de vue tout à fait subjectif – qui ont un effet décisif. Pour les cyclistes, le gain musculaire se fera dans les jambes, mais Wall Street pourrait être utilisée dans le cadre d’autres entraînements.
L’enregistrement prévoit tout de même quelques encouragements en cours de route, comme pour convaincre ceux qui pédalent de se rendre jusqu’au bout de leurs forces. Come on, you can do it, here we go, et surtout, le last one de Jean-Luke à la marque de 7 min 20 s, qui provoque un soulagement intense.
JOINDRE L’UTILE À L’AGRÉABLE
L’instructeur voit dans Wall Street une occasion de se rendre utile dans la communauté sportive. «J’aime l’idée de contribuer à l’entraînement des athlètes de partout. On leur donne un outil de travail pour aller au-delà de leurs performances », dit-il.
Mais les bénéfices ne sont pas que physiques, soutient Martin Léon, qui enfourche sa bicyclette été comme hiver, à Montréal comme à Sainte-Adèle. La grande majorité de ses déplacements se fait à vélo, sauf quand il doit transporter des instruments de musique. « Pour moi, le vélo, c’est une pulsation. Le rythme et la régularité m’aident à composer de la musique. On pourrait dire que l’entraînement, ça nourrit la présence», affirme-t-il. Le musicien à l’âme de sportif admet préférer de loin le vélo au spinning. « J’aime mieux monter des côtes pour vrai ! » conclut-il.
Les deux compères espèrent que les entraîneurs de différents gyms du Québec – et pourquoi pas, du monde entier – adopteront Wall Street pour leurs séances de spinning. Ils planchent d’ailleurs sur une version de 16minutes, qui ferait le quadruple d’un Tabata. De quoi varier le plaisir… ou la souffrance.