Le plaisir des raids
Bien que j’aie cessé la compétition, je me fixe tout de même des objectifs de saison pour me motiver à m’entraîner. L’an dernier, c’était de prendre part à des raids de vélo de montagne, ce que je n’avais pas fait depuis au moins dix ans. En attendant de pouvoir enfin renouveler l’expérience, en 2021, je m’en remémore les meilleurs moments, carte de crédit en main, prêt à m’inscrire à nouveau.
Petit matin d’été. Le soleil est levé depuis longtemps et nous aussi. C’est l’excitation qui nous a prématurément tirés du sommeil. Ma blonde s’en va faire le Raid Bras du Nord pour la seconde fois. Moi, pour la toute première. Je l’y avais accompagnée l’an dernier afin d’assurer le soutien moral et technique au départ. En partant, pour revenir à la maison à vélo, je m’étais dit que j’y participerais l’année suivante.
À la base du mont Laura-Plamondon, lieu de départ et d’arrivée, il règne la douce et enivrante effervescence des matins de compétition.
Je croise des amis. Nous nous saluons et nous tapons dans la main (je l’écris en éprouvant le pincement nostalgique que provoque l’évocation des habitudes précovidiennes).
Un gars que je ne reconnais pas dans le stationnement m’interpelle et me permet de le replacer en me racontant que j’avais écrit sur lui et son Balfa Belair d’avant la guerre dans mon blogue, l’année précédente. Il est heureux de me voir y participer cette fois.
L’air frais me paraît électrique, capable de transporter le frémissement des attentes de toutes et tous. Il y a ici des gens de tous les calibres. Ils sont venus s’amuser, se dépasser, relever un défi. On ne peut pas être insensible à cette ruée de sentiments (plaisir expectatif, anxiété, joie débordante, envie d’en finir…) qui se bousculent au moment de se lancer.
Fidèle à mon habitude, je suis parti trop longtemps pour mon échauffement et me retrouve à négocier une place au milieu du troupeau derrière la ligne d’envoi (merci à Craig, une vieille connaissance, qui m’a laissé me glisser à côté de lui) alors que je fantasme secrètement un podium.
Bien que je ne puisse jamais parvenir à rejoindre les trois coureurs partis en tête de ce parcours de 45 km (deux jeunes NéoZélandais venus s’amuser avant les Mondiaux et un de leurs consorts locaux, à ma décharge), je roule à pleine puissance dès le début. Car je sais que les dépassements dans la « montagne du Suisse » seront complexes en montée, et plus encore en descente. J’arrive à rejoindre un bon groupe à la base, ça monte ferme et ça descend avec le couteau entre les dents. Je connais bien ces sentiers, assez techniques, mais accessibles à tous les calibres. Riche idée de nous faire passer ici.
Nous sortons de là à quatre ou cinq. Je m’amuse à parler un peu à des adversaires dans les montées pour leur jouer dans la tête. C’est un bon vieux truc. J’ai l’air à l’aise ; en réalité, je suis à bloc.
Le Rocky Mountain Element prêté par ladite compagnie se comporte très bien. Il est un peu petit pour un large, mais s’avère nerveux et agile. Dans les montées, il grimpe comme une chèvre et déboule sur le plat. C’est d’ailleurs là, dans une clairière entre deux bosquets, que je tente ma chance et pars en facteur : l’air de rien, je creuse lentement l’écart, puis une fois assez loin pour qu’on ne distingue plus mes grimaces de souffrance, je mets les gaz. Ceux derrière ne me reverront plus avant l’arrivée, ou alors de loin seulement.
Après une petite portion de route (dont on se passerait), on rentre dans les bois après avoir traversé un champ dont le fourrage coupé donne l’impression de rouler sur du Velcro. Les montées et les descentes qui suivent sont techniques et parfois un peu hostiles : du genre sentier de quatre-roues parsemé de grosses patates rocheuses.
Heureusement pour nous, la suite est autrement plaisante. Nous attendent, histoire de conclure en beauté, une série de singletracks parfaitement manucurés qui nous élèvent puis nous recrachent vers la base de la montagne, où l’organisation, impeccable, nous attend avec un lunch du tonnerre, un service de bar, et tous les amis pour nous conter nos aventures. Nous nous éternisons. Je savoure une IPA et le podium de ma catégorie d’âge, que je partage avec mon ami Charles. Ma fiancée est un peu déçue de ne pas y figurer comme l’an dernier. Elle ne sait pas alors qu’il lui faudra attendre deux ans avant de retrouver une de ses glorieuses marches. Mais j’ai confiance de l’y revoir.
RENOUER AVEC UN CLASSIQUE
Au mont Sainte-Anne, quelques jours plus tard, je ne me fais pas prendre et suis sur la première ligne au départ. La déconvenue viendra plus tard.
Je reviens ici après au moins une décennie d’absence ; la dernière fois où j’ai participé au Raid Vélo Mag, celui-ci partait encore du Château Frontenac pour traverser les océans de bouette qui reposent dans les replis de la ligne d’Hydro, entre Québec et Beaupré. Je n’avais donc jamais goûté à la formule plus ramassée et dont une grande partie se déroule dans les pistes du mont Sainte-Anne.
Il y a toujours quelque chose de magistral au Raid Vélo Mag. Comme l’impression de participer à un événement historique, comme si on prenait le départ d’un prestigieux marathon. En 2019, l'année de ma participation, ce ne sont rien de moins que les Championnats du monde qui y auront lieu quelques jours plus tard.
Le calibre est à l’avenant. Je suis inscrit au 60 km et ça part vite. Très vite. J’ai beau être à l’avant, les quatre premiers s’évadent sans que j’y puisse quoi que ce soit et je me retrouve rapidement seul, en chasse-patate, en cinquième place.
Je suis très agréablement surpris de l’inventivité des créateurs du parcours. Je découvre des lieux absolument inédits, au milieu de secteurs que je croyais pourtant connaître. Après tout, je joue ici depuis 30 ans.
L’année précédente, quelques erreurs logistiques avaient un peu gâché la fête, mais cette fois, tout a été rigoureusement mis en place pour faire oublier ce faux pas, et en plus de nous emmener dans des endroits qui m’étaient inconnus, le parcours est si soigneusement balisé que, même à bout de souffle, il n’y a jamais d’hésitation devant la direction à prendre.
FANFARON QUI FAIT DUR
Environ à mi-chemin, à l’autre bout du monde ou presque, soit très au nord de la face nord du mont Sainte-Anne, un pneu crève. Et comme j’étais parti comme un con trop sûr de lui, je n’ai rien pour le réparer convenablement (seulement une cartouche d’air comprimé et du latex dans le pneu, pas de chambre à air, pas d’outils). Je reste donc planté là, comme un codinde, à regarder tout le monde passer, dans mon beau skin suit de fanfaron. N’empêche, j’ai providentiellement commis ma faute juste avant un ravito où de gentils bénévoles m’offrent des gaufres que je bâfre comme si je n’avais rien avalé depuis une semaine. Les mouches font pareil avec moi et je commence à désespérer que mon sauveur motorisé finisse par venir me quérir et me ramener à la base, honteux. C’est finalement un collègue de Vélo Mag, François-Léo Fortin, qui me sauve la vie… et mon honneur. Il me refile une chambre à air 27,5, que nous parvenons à étirer dans ma roue de 29 qui dégouline de latex. Un peu d’air, et je repars avec lui et ses amis.
Nous faisons un bout ensemble et aboutissons dans un secteur que j’adore et qui sillonne la partie nord du mont. Les sentiers
Dryade, Riverside et autres plaisirs racineux en dévers remplissent leurs promesses de traîtrise en matière de traction, alors que nous avons déjà plusieurs kilomètres dans les jambes, et aussi dans les bras. J’en profite, au passage, pour rendre hommage à deux participants qui osent le cadre rigide. Je les dépasse avec une politesse qui confine à la révérence. Sans le savoir, peut-être envientils ma monture: un Yeti SB100, qui est à la fois une bombe de cross-country et un descendeur d’une incroyable souplesse. Je ne l’ai pas assez aimé pour acheter la compagnie (NDLR: référence à une publicité hilarante de Remington dans les années 1980), mais suffisamment pour m’en procurer un cette année.
Je quitte mes sauveurs. Eux sont venus s’amuser. Et moi, même privé de toute forme de gloire, j’ai encore envie d’aller vite.
Je remonte et dépasse en m’excusant. Un à un. Une à une. Ça me donne une sorte d’objectif sans cesse renouvelable. Je passe mon ami Boubou, on jase une minute et je redécolle. Même chose avec le chum Manu.
Les derniers kilomètres méritent un prix pour l’ingéniosité, le parcours formant une série de boucles délicieusement fantaisistes qui nous font emprunter la Bouttaboutte, la Passe du Suisse, la Souterraine et la Germaine de toutes sortes de manières qui permettent d’exploiter le potentiel de ce secteur de façon proprement géniale.
Arrivé au bout, j’ai l’impression que le bas des pistes de ski a l’air de pâturages où seraient venues s’échouer de frêles bêtes montagnardes. Des participants partout, étendus au sol, accompagnés d’amis, de membres de leur famille. Je rejoins mes potes qui participaient eux aussi. D’autres amis et amoureuses venus se joindre à nous. Nous écumons les broues devant une tente où un groupe de rock joue un peu trop fort, mais nous ne nous en émouvons guère.
Nous parlons simplement plus fort. Car, encore une fois, il y a des aventures à se raconter. C’est la beauté de ces raids, où nous empruntons les mêmes parcours. Peu importe la vitesse, les épreuves sont les mêmes, les repères communs, ce qui rend nos récits concrets, palpables, aisément partageables. J’ai déjà hâte à l’an prochain pour recommencer. Je serai à l’heure sur la ligne de départ et bien équipé pour les pépins. Ou pas.