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Josiane Martineau : 450 km d’abandon

- par Sarah-Émilie Nault

En tournant la dernière page du livre Histoires à dormir dehors du cycliste globe-trotteur Jonathan B. Roy, Josiane Martineau a eu un déclic. Sa grande peine des dernières années, elle allait la transforme­r en moteur qui lui permettra de foncer vers ses rêves de voyage et de liberté sur deux roues.

Àl’instar de l’écrivain voyageur qui a pris ses rêves au collet à la suite du décès de sa mère, c’est la perte quasi simultanée de son père et de sa mère qui a inspiré à Josiane Martineau son premier grand voyage à vélo.

«Les 7 et 8 novembre 2018, mes deux parents sont décédés du cancer à sept heures d’intervalle, raconte-t-elle. J’étais très proche de mes parents. J’ai ensuite vécu deux années très éprouvante­s, incluant une thérapie sur le deuil, la fin d’une relation amoureuse difficile et un arrêt de travail de quelques mois. »

C’est en surfant sur Internet qu’elle déniche la page Facebook de La Véloscénie, un itinéraire cyclable de 450 km menant de Paris au Mont-Saint-Michel. L’amoureuse du Moyen Âge, l’épicurienn­e et l’adepte de cyclotouri­sme qui sont en elle comprennen­t avoir trouvé le projet lui permettant de passer à autre chose et de sourire à nouveau.

« Mon voyage en France, je voulais absolument le vivre comme étant la fin de mon deuil, explique la femme de 48 ans. Symbolique­ment, cela me permettait de tirer un trait sur une période très sombre. Je voulais le faire toute seule, presque en autonomie complète, m’entraîner pour cela, me retrouver hors de ma zone de confort pour réfléchir à tout ce qui venait de se passer et tourner la page de ce chapitre afin d’en entamer un nouveau. »

Si elle regardait déjà les cyclistes avec envie lors de son premier voyage de travail en France en mars 2019, elle se souvient que ses parents y avaient aussi voyagé il y a plus de 20 ans. Tout semble alors la pousser à se rendre pédaler sur cette « terre de nos ancêtres ».

«Je ne suis pas une pédaleuse de performanc­e, lance celle qui n’avait complété qu’un Cyclo-défi Montréal-Québec en deux jours en 2009. Je suis une pédaleuse épicurienn­e. Je pars une journée et le nombre de kilomètres est peu important. C’est surtout le moment présent qui l’est, la découverte des paysages et des gens. »

ÊTRE LOIN, MAIS SE SENTIR CHEZ SOI

Elle se prépare au départ en accumulant 1800km au compteur. Elle apprend aussi à se familiaris­er avec la mécanique, en démontant et en remontant son vélo. En même temps, elle apprend que l’émission de télévision Des racines et des ailes, produite par France 3 et diffusée sur TV5, est à la recherche de cyclistes se rendant parcourir La Véloscénie. Elle s’inscrit sans trop y croire et est sélectionn­ée parmi – elle l’apprendra plus tard – 200 personnes.

L’émission à laquelle elle prendra part portera sur le Mont-Saint-Michel et sera présentée en trois volets : les marcheurs de Compostell­e, le déménageme­nt des soeurs du Carmel d’Alençon et… le parcours d’une Canadienne sur La Véloscénie! On la filmera durant trois étapes: à partir de Chartres vers Illiers-Combray, puis Le Perche, à Nogent-le-Rotrou vers Mortagneau-Perche. On l’y voit d’ailleurs atteindre, remplie d’émotion, ses 2000 km parcourus cette année. Enfin, elle parcourt la dernière ligne droite entre Ducey et le Mont-SaintMiche­l.

Prête à partir le 22 mai, la pandémie vient changer ses plans et ceux de l’équipe de tournage. Heureuseme­nt, la reprise des vols estivaux lui permet de s’envoler pour Paris le 4 septembre. C’est devant la cathédrale Notre-Dame que se fait le départ, en matinée.

«J’étais seule sur le parvis de Notre-Dame de Paris, se souvient-elle. Il faisait 20 degrés, un beau soleil, c’était extraordin­aire!»

À l’arrière de son vieux Specialize­d Sequoia, elle installe un drapeau du Québec dans le but de favoriser la conversati­on et les rencontres. Cela fonctionne : elle ne compte plus les gens qui viennent lui parler lorsqu’elle s’arrête pour manger, visiter et prendre le temps de goûter la France.

« J’ai savouré chaque kilomètre de ce parcours, même ceux qui étaient plus difficiles », raconte la voyageuse. Elle a même ajouté une trentaine de kilomètres pour se rendre jusqu’à Saint-Malo. «Le surnom de La Véloscénie est l’“itinéraire grand spectacle”, ce qui lui convient parfaiteme­nt. C’est magique!» conclut-elle.

Le circuit lui fait croiser Rambouille­t et Chartres, passer avec émotion la porte Guillaume (bombardée par les Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale), admirer les châteaux de Nogent-le-Rotrou et de Breteuil (celui des contes de Perrault), se balader dans les rues d’Illiers-Combray (le village d’enfance de Marcel Proust) puis, ultimement, atteindre le fameux Mont-SaintMiche­l.

Celle qui confie s’être sentie accompagné­e par ses parents à chaque minute de son voyage pose aussi un geste empli de significat­ion. Un matin, seule, là où a eu lieu le débarqueme­nt de Normandie, elle laisse filer un peu des cendres de ses parents, eux qui l’ont précédée sur ces plages. Comme un dernier hommage avant de véritablem­ent tourner la page et de reprendre l’avion.

«J’étais quelqu’un qui s’inquiétait beaucoup pour le futur, qui regrettait beaucoup le passé, avoue-t-elle. J’ai appris là-bas que c’est un kilomètre à la fois et qu’on est toujours plus fort qu’on pense. »

« Je ne suis pas une pédaleuse de performanc­e, je n’avais complété qu’un Cyclo-défi Montréal-Québec en deux jours en 2009. Je suis une pédaleuse épicurienn­e. Je pars une journée et le nombre de kilomètres est peu important. C’est surtout le moment présent qui l’est, la découverte des paysages et des gens. »

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Départ du parvis de Notre-Dame de Paris
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Bienvenue au Mont-Saint-Michel !
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Josiane prend le temps de s’arrêter pour visiter.

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