Quand région rime avec guidon
Été comme hiver, l’utilisation du vélo comme principal moyen de transport est tout ce qu’il y a de plus banal dans la métropole du Québec. Il en va tout autrement en région. C’est à Val-d’Or, en Abitibi, que notre collaboratrice a pris l’ambitieuse décision de ne pas posséder de voiture pendant un an.
En mai 2020, une Toyota Matrix blanche quittait le stationnement de ma maison. Il ne restait que sa plaque d’immatriculation qui traînait sur la galerie. Moi, Émélie Rivard-Boudreau, journaliste, mère monoparentale d’une fillette alors âgée de sept ans, amatrice de plein air, résidente de Val-d’Or, j’allais vivre la prochaine année sans posséder de voiture.
Mon coeur tergiversait entre le soulagement et la panique. En toute transparence, les dollars provenant de la vente de mon véhicule à moteur allaient aider quelques comptes en souffrance, sans compter tous ceux que je n’allais plus avoir à débourser pour les assurances, l’entretien et les réparations d’un véhicule que, finalement, j’utilisais très peu au quotidien. Ne plus dépendre du polluant pétrole pour mes courts et moyens déplacements m’enchantait. J’étais aussi fébrile à l’idée de transmettre à ma fille le bonheur et les bienfaits du transport actif.
Je demeurais néanmoins craintive en pensant que je me priverais peut-être de reportages intéressants en zone rurale ou d’escapades spontanées en plein air. À la fois intrigués et sceptiques, les gens de mon entourage ne manquaient pas de me demander : comment vas-tu faire ceci ?, comment vas-tu faire cela ? Je n’avais pas toujours les réponses. Mes craintes se sont avérées injustifiées ; ma mère m’a prêté sa voiture dans certaines circonstances et, grâce au covoiturage entre amies, je me suis très rarement retrouvée désemparée. Quant au transport en commun à Val-d’Or, ce n’était pas vraiment une option conviviale.
TOUJOURS PLUS GROS
Bien que je ne possède qu’un vieux vélo hybride, j’ai souvent pris un malin plaisir à refuser qu’on me prête une voiture quand j’avais à transporter de grosses cargaisons, même si elles pouvaient être encombrantes. Ça a commencé avec les grosses poches de nourriture et de litière pour chats, puis, à l’aide d’une remorque ou d’un vélo-cargo que je louais à bas prix dans un commerce de vélos près de chez moi, j’ai ajouté à mon palmarès des colis étonnants: un sapin de Noël, des skis, des étagères, un bac à compost, ma mère de 78 ans et même un lave-vaisselle! Autrement, au quotidien, des sacoches et une bonne caisse de lait faisaient le travail. À bord de son vélo de montagne équipé d’un portebagages et de petites sacoches, ma fille m’accompagnait régulièrement, devant ou derrière moi, sur des distances oscillant entre 2 et 8 km aller-retour.
Pour la période hivernale, dans le but de démontrer que l’expérience était accessible aux petits budgets, j’ai rapidement éliminé l’option du fatbike et j’ai plutôt installé des pneus à clous sur mon hybride. J’ai ainsi expérimenté le vélo d’hiver la saison dernière et tout s’est plutôt bien passé. Ma jeune cycliste y a goûté également en embarquant à plusieurs reprises sur le vélo-cargo que j’avais loué.
RENCONTRER D’AUTRES IRRÉDUCTIBLES
Je n’étais pas la seule à croire que ce mode de vie était possible en Abitibi. C’était aussi le cas d’Olivier Tourangeau, le père d’une fillette qui fréquente l’école de ma fille. Pour Olivier, les coûts astronomiques qu’exige une voiture et son amour des déplacements au grand air ont dicté ses choix. «Je me suis toujours promené à vélo, et un peu en transport en commun. Je n’ai jamais eu de voiture et je n’ai pas de permis de conduire», me confie-t-il.
Du haut de ses huit ans, sa fille Élodie n’a donc jamais connu les déplacements quotidiens en voiture. Petite, elle se faisait transporter par son père dans la remorque et, aujourd’hui, elle pédale presque à l’année. « Je l’ai toujours habituée soit à marcher, soit à faire du vélo et, pour l’hiver, je lui ai acheté une trottinette avec des skis», souligne le père monoparental.
Anne-Marie Nadeau, de Rouyn-Noranda, se rend tous les jours au travail à vélo, à 6 km de sa résidence. L’argument économique n’est pas au coeur de sa motivation ; chaque coup de pédale est plutôt alimenté par une préoccupation environnementale. «Il faut apprendre à se libérer de notre dépendance à la voiture. C’est facile de se déplacer à vélo quand on habite en ville. C’est aussi rapide qu’en voiture et ça ne génère aucun gaz à effet de serre», argumente-t-elle.
DES PISTES CYCLABLES, ÇA AIDE!
En fait, au fil des décennies, le réseau cyclable québécois a surtout été développé dans une logique de loisir, de voyage et de tourisme, souligne Magali Bebronne, directrice des programmes à Vélo Québec. «Si votre piste cyclable est belle et bucolique, mais qu’elle fait faire des détours de 2 km, vos cyclistes ne l’emprunteront pas. En plus, elle ne pourra pas être déneigée en hiver.
Certaines municipalités, qui voudraient obtenir la certification du mouvement Vélo sympathique [qui encourage les collectivités et les organisations à faire du vélo une option en matière
Ça a commencé avec les grosses poches de nourriture et de litière pour chats, puis, à l’aide d’une remorque ou d’un vélo-cargo que je louais à bas prix dans un commerce de vélos près de chez moi, j’ai ajouté à mon palmarès des colis étonnants : un sapin de Noël, des skis, des étagères, un bac à compost, ma mère de 78 ans et même un lave-vaisselle !
de transport et de loisirs pour tous], ont une très belle offre de vélo de montagne ou présentent énormément de compétitions cyclistes, mais lorsque nous regardons comment leurs citoyens peuvent se déplacer… ouf! Ça coince vraiment, signale-t-elle. Les plus grosses municipalités sont plus enclines à se lancer dans cette démarche-là, mais notre objectif est de certifier et d’accompagner toute municipalité qui serait prête à faire plus de place au vélo», tient à préciser Magali Bebronne.
Drummondville est une municipalité Vélo sympathique certifiée argent pour la période de 2020-2025. Mais elle n’a pas l’intention d’en rester là. Selon son Plan de mobilité durable 2020-2040, la Ville a l’intention d’accroître les déplacements actifs et collectifs – que ce soit à pied, à vélo ou en transport en commun – de 20% d’ici 2040. Une de ses actions prioritaires, c’est la création d’aménagements cyclables, à une cadence de 25 km tous les cinq ans. La Ville s’est donnée aussi les moyens de la formation. En août 2020 a été inauguré le premier village de formation vélo au Québec. Celui-ci reproduit des voies de circulation à l’échelle des enfants et leur permet de découvrir la circulation à vélo en milieu urbain tout en se familiarisant avec les bases de la sécurité routière.
COMMENT CONVERTIR PLUS DE GENS ?
Selon Anne-Sophie Gousse-Lessard, professeure associée à l’Institut des sciences de l’environnement de l’UQAM et chercheuse au sein du Chantier auto-solo, il est souhaitable que les municipalités soient proactives. «Quand les infrastructures ne sont pas là, les citoyens ont des contraintes objectives pour ne pas utiliser leur vélo», indique-t-elle.
Par contre, l’aménagement de pistes cyclables ne serait pas suffisant, selon l’experte en psychologie de l’environnement. «L’attachement à l’auto est réel, explique-t-elle, ce n’est pas seulement utilitaire. Il faut des stratégies douces pour inciter les gens à utiliser ces nouvelles infrastructures. Et la stratégie doit varier selon les barrières psychologiques et prendre en compte les caractéristiques du milieu et de l’offre de service. »
Ses propos font entre autres référence à un rapport publié en octobre 2020, Mobilité et psychologie: comprendre et agir pour soutenir les changements de comportement, de Jérôme Laviolette, doctorant à la Chaire de recherche du Canada sur la mobilité des personnes (Chaire Mobilité) à Polytechnique Montréal et membre du Chantier auto-solo. Par «stratégies douces», l’auteur entend notamment des campagnes grand public qui visent à changer les perceptions, les attitudes et les normes sociales à l’égard de la voiture, tout en mettant de l’avant les modes collectifs et actifs. Il est question également de programmes de déplacement personnalisés à implanter au sein des familles, des lieux de travail ou des écoles.
« Les recherches démontrent que les individus sont plus réceptifs à la suite d’événements qui les forcent naturellement à repenser leurs habitudes (déménagement résidentiel, relocalisation d’entreprise, fermeture de pont ou d’autoroute, etc.), et qu'ils deviennent ainsi plus ouverts aux solutions de rechange », mentionne le chercheur. «La pandémie est un moment où il y a un important bris d’habitudes. Ça devrait être l’occasion pour lancer des campagnes de sensibilisation», croit Anne-Sophie Gousse-Lessard.
CRÉER UN MOUVEMENT
Contrairement à la pensée populaire, se déplacer à vélo en région EST réaliste, en plus d’être bénéfique pour l’environnement, pour la santé physique, mentale et communautaire. Ma fille et moi avons été privées de très peu d’activités. Tous les déplacements quotidiens (école, boulot, cours de danse, épicerie, bibliothèque, visite chez grandmère…) se faisaient à pied ou à vélo. En été, pour ma fille, ça a été l’occasion de faire une première expérience de cyclotourisme et, pendant l’hiver, à l’aide de pneus à clous sur son petit vélo, elle a pu s’initier au vélo hivernal. Dans une ville comme Val-d’Or, comme les pistes cyclables et les accotements ne sont pas rapidement déneigés, il nous arrivait de « tricher » et de pédaler sur le trottoir par souci de sécurité.
Et ne pas posséder de voiture ne veut pas dire qu’il est interdit de s’asseoir dans une voiture ! Mais quand je suis seule, sans enfant, j’accepte très rarement quand on m’offre de me prêter une auto. Ce n’est pas que de l’orgueil, c’est réellement juste plus plaisant pour moi d’utiliser mon deux-roues. Par contre, ma fille, qui a huit ans, n’a pas la même capacité physique ni la même fibre de dépassement de soi que sa mère. Je fais donc mes déplacements sur les parcours plus difficiles durant ses absences ; autrement, nous empruntons la voiture de grand-mère pour quelques heures.
Opter pour une vie sans auto, ça suscite aussi un vent de solidarité. Ça oblige les autres à penser au covoiturage et à partager leur véhicule qui, finalement, reste souvent stationné à certaines heures.
Je vous invite à relever le défi et à entrer dans le mouvement: adoptons le guidon en région.