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La deuxième chance de Louis Garneau

La deuxième chance de

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Au palmarès de qui a vécu la pire année 2020, Louis Garneau est parmi ceux qui tiennent le haut du pavé. C’est l’occasion de faire le point sur la carrière de l’homme d’affaires ainsi que sur une entreprise chère au coeur des Québécois.

Il y a pas un mais plusieurs Louis Garneau. Il y a l’ancien coureur cycliste qui a pris part à trois Championna­ts du monde et à des Jeux olympiques (Los Angeles, en 1984). Il y a le fondateur de la populaire marque de vêtements et accessoire­s cyclistes, ceux qui font depuis près de 38 ans le bonheur de beaucoup d’adeptes de vélo, y compris l’auteur de ces lignes. Il y a également Louis Garneau le père de famille, l’apôtre de la sécurité routière, l’artiste à ses heures, le généreux mécène. C’est d’ailleurs en partie à ce dernier que Antoine Duchesne et Hugo Houle, entre autres, doivent leur carrière chez les pros.

Plus récemment, les Québécois ont fait connaissan­ce avec un autre pan de la personnali­té de Louis Garneau. Le 3 mars 2020, le président de Groupe Louis Garneau Sports se présente devant la presse pour annoncer que sa compagnie se place sous la protection de la Loi sur la faillite et l’insolvabil­ité.

L’homme d’affaires est au bord des larmes. Il a de quoi: sa société, qui doit quelque 32millions de dollars à ses créanciers, est contrainte par ceux-ci (lire: la banque) de mettre à pied 66 employés de son siège social.

La restructur­ation, compliquée par la crise sanitaire, s’étale de fait sur plusieurs mois. En août, le Groupe et ses filiales soumettent finalement des propositio­ns à leurs créanciers, qui les accepteron­t en majorité. Les documents, publics, tracent les contours de la « crise majeure de liquidités » dans laquelle est plongé le fabricant. Durant ce temps, le bruit court qu’un groupe d’investisse­urs du Québec souhaite participer à la relance de l’entreprise. Grâce aux capitaux de cette société montréalai­se de placements privés, la Corporatio­n financière Champlain, mais également à un prêt de 5 millions de dollars d’Investisse­ment Québec, Louis Garneau Sports parvient à relancer ses activités en décembre. Le «fleuron québécois», dixit Geneviève Guilbault, vice-première ministre et ministre responsabl­e de la région de la Capitale-Nationale, est sauf.

«ÇA VA MIEUX»

Avoir frôlé la catastroph­e d’aussi près laisse cependant des séquelles, avoue Louis Garneau au cours de notre rencontre. « Je n’ai pas peur d’admettre que j’ai flirté avec l’épuisement profession­nel, confie le sexagénair­e, qui demeure actionnair­e majoritair­e de son entreprise. Disons que ça va mieux que ça allait il y a quelques mois.» Perte de poids marquée, coup de vieux soudain, idées noires... Les symptômes ne mentent pas : Louis Garneau aurait eu besoin d’un long congé de maladie pour se soigner, pas de sauver un navire du naufrage. « En désespoir de cause, j’ai donc pédalé comme jamais. La préservati­on de ma santé physique et psychologi­que est passée par le vélo», raconte celui qui a assidûment fréquenté sa « cabanehôpi­tal pour âme malade », un genre d’appentis érigé sur son terrain de Saint-Augustinde-Desmaures.

N’allez pas penser que la tempête s’est déchaînée du jour au lendemain, par le plus pur des hasards. Les origines de la crise, au contraire, remontent au milieu de la dernière décennie. L’industrie du vélo est confrontée à plusieurs défis, dont celui de l’essor des ventes en ligne qui scient les jambes aux détaillant­s traditionn­els – vous savez, ces produits achetés pour une bouchée de pain sur des sites internet ? Cela provoque notamment la déconfitur­e de deux gros clients de Louis Garneau, et le chiffre d’affaires de l’entreprise fond de 15 millions de dollars entre 2016 et 2019. Face à ces turbulence­s, celle-ci acquiert Sugoi et Sombrio en vue d’augmenter ses ventes, ferme trois boutiques canadienne­s déficitair­es et transfère son usine de production québécoise au Mexique, ce qui entraîne la suppressio­n de

46 emplois. Le but: retrouver le chemin de la rentabilit­é financière.

En parallèle, Louis Garneau Sports tarde à investir dans la modernisat­ion de son logiciel de gestion intégrée alors qu’il est désuet depuis 2015. En entrevue avec le magazine Bel Âge cette même année-là, l’homme d’affaires affirmait pourtant que, si elles veulent survivre, les entreprise­s doivent prendre le virage du web. «Dans cinq ans, ceux qui auront manqué le bateau vont disparaîtr­e », prophétisa­it-il. Il ne croyait pas si bien dire.

Manifestem­ent, Louis Garneau pressentai­t la débâcle mais n’y a pas réagi en temps opportun. Est-ce à dire qu’il s’est, selon l’expression consacrée, «autopelure­debananisé » ? Regrettera­it-il certaines des décisions qui ont précipité sa chute ? « Je ne nie pas l’importance de mon rôle dans ces déconvenue­s. J’ai tardé à suivre l’exemple imposé par mes compétiteu­rs, même si je suis fier d’être allé au bout d’un modèle d’affaires qui a fonctionné pendant une trentaine d’années», répond le principal intéressé. Il rappelle que son entreprise a été la première à proposer une solution cycliste complète, c’est-à-dire tout fournir à la clientèle, de la chaussette au vélo.

RELÈVE PÉRILLEUSE

Un autre de ses choix est celui d’avoir promu son fils aîné, William, âgé alors de 27 ans, au rang de directeur général. Le passage de la chair de sa chair à ce poste clé aura été de courte durée: nommé à la fin de 2017, William quittait le navire moins d’un an plus tard dans le but de «démarrer un projet parallèle ». Aujourd’hui, le jeune homme n’est plus impliqué dans les activités du Groupe, pas plus que son frère cadet, Édouard, et sa soeur, Victoria.

«J’ai toujours dit que la relève entreprene­uriale est très, très périlleuse. Mais j’ai confiance que mes enfants seront prêts à reprendre les rênes de l’entreprise d’ici cinq ans, lorsque j’aurai l’option de racheter la part minoritair­e des nouveaux investisse­urs», explique celui qui fait de cette date butoir un rendez-vous qu’il ne veut pas manquer. « Composer avec un gagnant n’est pas évident, atteste Louis Garneau. Travailler avec une forte personnali­té comme la mienne, obéir aux ordres d’un leader, ça exige d’être capable de prendre sa place. »

LA SUITE

Tout cela est de l’histoire ancienne. Au début de 2021, LG 5.0, la société de portefeuil­le née des cendres de la crise, opère dorénavant sur des bases saines. «La structure de l’entreprise a été allégée et sa vision, clarifiée. L’entreprise, qui est davantage numérique qu’elle ne l’était auparavant, concentrer­a ses énergies sur la vente, le design et la distributi­on tout en conservant une présence affirmée en boutiques », s’enthousias­me Louis Garneau, qui agira comme chef de la création, en outre de son poste de président du conseil d’administra­tion. Dans son viseur : le marché du vélo à assistance électrique.

Vous n’avez cependant pas fini d’entendre parler de l’expérience vécue par Louis Garneau en 2020. L’entreprene­ur abordera celle-ci et fournira les trucs pour surmonter les difficulté­s qu’il a rencontrée­s dans un livre à paraître au cours de l’année. Le titre, provisoire : Je suis tombé deux fois, en référence à son annus horribilis, mais également à une violente chute subie en 2018. Louis Garneau, il faut le dire, raffole des métaphores cyclistes. Il n’hésite pas à recourir aux images de « vent de face» ou de «course la plus difficile de [s]a vie» pour donner un sens à ses récentes mésaventur­es. Louis Garneau n’a néanmoins pas fini de pédaler, car l’homme d’affaires de Saint-Augustin-de-Desmaures s’est donné un nouvel objectif: inscrire Louis Garneau Sports à la bourse de Toronto d’ici deux ans.

« Je n’ai pas peur d’admettre que j’ai flirté avec l’épuisement profession­nel. Disons que ça va mieux que ça allait il y a quelques mois. En désespoir nd de cause, j’ai donc pédalé comme jamais. La préservati­on de ma santé physique et psychologi­que est passée par le vélo. »

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Louis Garneau aux Jeux olympiques de Los Angeles en 1984
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