Il (ne) faut (plus) qu’on parle de ton style
Une nécessaire mutation est en train de se produire, dans le cyclisme comme ailleurs. La fin des certitudes qui nous transforment en pontes, en curés, en détenteurs d’un divin savoir. Quelque chose comme une lame de fond qui ramène vers le rivage plusieurs de nos habitudes ou de nos convictions les plus détestables pour les laisser choir puis sécher. Les temps changent et c’est très bien.
Au coeur de ce changement figure l’inclusion, qui est l’affaire de tout le monde. Elle n’est pas qu’une affaire de racisme, même si celui-ci est néanmoins bien réel, dans le cyclisme comme ailleurs.
Il y a cette autre chose dont je sens qu’il faut se débarrasser dans ce même mouvement, parce qu’il pourrit nos rapports. Un fond de sectarisme. Une guéguerre de clans. Une bitcherie ordinaire qui transforme le cyclisme en épisode de Gossip Girl.
Depuis aussi loin que porte ma mémoire, des clans se sont formés. Les gens de montagne et ceux de route. Puis il y a eu les triathlètes. Maintenant les amateurs d’aventures en sol meuble. Ajoutez-y les punks (ou les hipsters) sur pignon fixe.
Chacun possède ses codes, ses sous-genres également enclins à un clanisme encore plus exclusif. Les transfuges existent, bien sûr. N’y survivent sans heurt que celles et ceux qui font preuve d’une aisance, d’une coolitude qui les laisse planer au-dessus des castes.
Bien que la route soit le domaine des esthètes, des jambes rasées, du Lycra moulant, des chaussures de danse et des montures lustrées, elle n’est pas pour autant le haut lieu de l’élégance de moeurs. Les codes vestimentaires et technologiques existent partout et les intégristes ne se cachent pas, peu importe leur camp, pour afficher leur mépris envers les adeptes qui ne répondent pas à une culture dont les valeurs sont pourtant manufacturées par le marketing plutôt que reflétant de nobles sentiments.
Pendant longtemps, nous étions en si petit nombre que nous avons créé des chapelles, des sectes. Nos pratiques dogmatiques contribuaient à notre survie. Dans les sentiers ou sur la route, nous nous reconnaissions dans le respect d’un code qui affirmait notre identité.
Mais l’adoption massive du cyclisme modifie la donne. Nous ne sommes pas des élus. Pas une élite. Seulement des précurseurs qui ont finalement obtenu ce qu’ils voulaient: leur secte s’est muée en religion de masse. Comprenez-moi bien : je n’ai rien contre les taquineries d’usage entre initiés. Moquez-vous de mes chaussettes noires portées avec mes chaussures blanches. La moquerie est si nichée qu’elle confine à de la politique interne.
Quant à tous les autres qui fréquentent l’église du vélo en simples dévots, il est temps de cesser de les mépriser parce qu’ils ne connaissent pas chaque ligne du bréviaire. Certains maillots sont des horreurs, soit. Et il est vrai que certains montages – pensez à ces hybrides au guidon surélevé munis de barres aérodynamiques – relèvent de l’incompréhensible. Il y aura toujours des curiosités. Il n’est pas question de les ignorer mais de voir les choses autrement: ces gens font partie de notre gang. Nous ne sommes plus une bande de prosélytes devant lutter pour le moindre centimètre de bitume. Le nombre nous rend plus forts, nous procure une voix collective qui est à la racine de l’évolution des attitudes des usagers, de la route comme des sentiers.
J’ai longtemps rejeté l’idée d’une communauté cycliste, invoquant une telle diversité d’individus et de pratiques pour nier toute forme de valeurs communes. Il en existe toutefois une, cardinale. Le même plaisir de rouler. Peu importe où. Peu importe comment.
Pendant longtemps, nous étions en si petit nombre que nous avons créé des chapelles, des sectes. Nos pratiques dogmatiques contribuaient à notre survie. Dans les sentiers ou sur la route, nous nous reconnaissions dans le respect d’un code qui affirmait notre identité.