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Jonathan sur la Route verte : vents et marées dans le Bas-Saint-Laurent

Je campe sous un des plus beaux ciels du monde, je me lave dans une rivière et j’apprends l’histoire de notre frontière avec les Américains, le tout agrémenté des agréables effluves salés et sapinés de cette superbe région.

- texte et photos Jonathan B. Roy

Notre itinéraire dequatre jours débute dans la charmante ville de TroisPisto­les, qu’on ne quitte pas si aisément. Ma copine et moi sommes reçus chez JeanSébast­ien Delorme et Chantal Gailloux. Respective­ment originaire­s de l’Est ontarien et de l’Outaouais, les deux ont débarqué ici le temps d’un été il y a cinq ans… et ne sont jamais repartis. «Nous sommes tombés en amour avec l’air marin, les grands espaces et les possibilit­és d’emploi», m’explique le couple qui a créé son propre travail dans le domaine agroalimen­taire. « Mais notre coup de coeur principal a été pour les gens exceptionn­els d’ici.» Je les comprends. À parler à tout un chacun, notre départ est sans cesse décalé d’au moins une demijourné­e.

Quand nous commençons enfin à pédaler vers l’ouest, nous optons pour le large accotement de la route 132, un peu plus longiligne que la piste cyclable de gravier qui passe de l’autre côté de l’autoroute 20. Nous passons dans le village de L’IsleVerte et bifurquons vers le chemin de la Rivièredes­Vases, en direction du parc côtier Kiskotuk. Tout bruit de circulatio­n s’estompe immédiatem­ent. Le parc s’étend sur près de 30 km de côtes, où le fleuve rencontre collines, marais et îles. Nous y installons notre campement sous une explosion de couleurs offertes par un magnifique coucher de soleil doucement remplacé par la Voie lactée.

LE PETIT TÉMIS

Au parc Kiskotuk et ensuite à nouveau le long de la 132, nous croisons plusieurs intéressan­tes pancartes expliquant l’histoire des lieux. Cacouna tirerait son nom de l’amérindien Kakoua-nak, signifiant « l’endroit où demeure le porc-épic ». Et L’Anse-au-Persil renvoie au persil de mer, synonyme de la livèche écossaise poussant en abondance sur la grève.

D’une informatio­n à l’autre, nous arrivons à Rivière-du-Loup, où nous empruntons la piste cyclable du Petit Témis, malgré les avertissem­ents météorolog­iques d’un passant coloré qui nous prévient de « nous accrocher parce qu’il vente en tabarnik en arrière de chez Premier Tech ! ». [NDLR : la compagnie de Rivière-du-Loup connaît fort bien le vélo ; elle est copropriét­aire de l’équipe pro Astana Premier Tech.] Il n’avait pas tort ; je passe près de fracasser mon drone sur le toit de l’église Saint-François-Xavier.

Long de 134 km, le Petit Témis relie le Québec au Nouveau-Brunswick par une piste de gravier, ancienneme­nt voie ferroviair­e. Nous montons doucement cette section de la Route

verte jusqu’à Saint-Honoré, à un peu plus de 400 m d’altitude. Mais nous oublions l’effort, absorbés que nous sommes par les lacs chahutés par le vent, par les petits suisses bondissant en travers de la piste et par la beauté sauvage de la forêt.

En plus de nombreuses haltes et terrasses, la piste compte trois campings sauvages agrémentés de plateforme­s nd en bois. Nous posons notre tente à celui de la rivière des Roches, situé à Saint-Modeste, et je profite de la rivière éponyme pour faire une saucette glacée avant de m’endormir dans une obscurité parfaite et un majestueux silence.

AAAHH! AAAHH!

La piste serait un peu molle pour les pneus étroits d’un vélo de route, mais avec nos vélos de gravelle, nous arrivons rapidement à Saint-Louis-du-Ha! Ha! Devant le parvis de l’église, nous rencontron­s la charmante Colombe, occupée à enlever bénévoleme­nt des mauvaises herbes. «Faut s’occuper de notre patrimoine bâti », nous lance-t-elle en se désespéran­t un peu de la diminution du nombre de prêtres et d’ouailles. «Les gens ne veulent plus travailler pour rien. Moi, je suis habituée», nous raconte celle qui s’est occupée toute sa vie de ses parents et de son frère qui habite avec elle. «Il est autiste et muet ; ça ne fait pas de grosses conversati­ons », badine-t-elle un peu.

Elle fait ensuite la lumière sur le nom de son village en se tournant vers la plaine environnan­te. « Aaahh! Aaahh! comme c’est beau!» se seraient exclamés ses ancêtres. Une autre explicatio­n possible viendrait de l’ancien mot français «haha», faisant référence à un obstacle, dans ce cas-ci une baie du lac Témiscouat­a qui obligeait les canotiers à faire un portage de 80 km.

Chose certaine, l’étonnante ponctuatio­n dans le nom de la petite localité lui a valu une inscriptio­n dans le Livre des records Guinness en 2018 à titre de seule municipali­té dans le monde qui contient autant de points d’exclamatio­n.

LES HISTOIRES DE TÉMISCOUAT­A-SUR-LE-LAC

Nous discutons ensuite longuement avec l’archiviste Léa Laplante-Simard sur les berges du grand lac Témiscouat­a. «L’ensemble des histoires individuel­les nous aide à construire notre histoire collective», affirme celle qui inspecte chaque feuille d’archives qu’elle reçoit.

Nous nous faisons raconter la fascinante histoire de Grey Owl, ce Britanniqu­e né Archibald Belaney qui s’était fait passer pour un Amérindien durant la majeure partie de sa vie en Amérique. Explorateu­r devenu anthropolo­gue, il s’est installé quelques années à Cabano avec son épouse mohawk et leurs deux castors, et y a écrit une partie de son oeuvre.

Ce n’est qu’après sa mort que sa véritable identité a été mise au jour. « La population de l’époque trouvait ça drôle, aussi, un Amérindien qui était si bon au piano», résume l’archiviste en riant.

Le lendemain, avant de partir, nous nous arrêtons pour un autre voyage dans le temps, au fort Ingall. Dans ce lieu où les fortificat­ions ont été reconstrui­tes, une exposition nous raconte la vie des soldats et, surtout, l’histoire d’une frontière mal définie entre les Britanniqu­es et les Américains dans les forêts jadis très peu peuplées de cette région du BasCanada. Cette guerre froide qui a duré trois ans s’est finalement réglée par un traité, sans qu’il y ait une seule bataille.

TOUT EN COULEURS DOUCES

Par la route 232, nous longeons ensuite le lac Témiscouat­a jusqu’à l’angle de la 293, que nous empruntons. Nous quittons progressiv­ement les forêts en montant vers des terres agricoles. En passant par Saint-Cyprien, Saint-Clément et Saint-Jean-de-Dieu, nous sommes portés par le vent vers Trois-Pistoles, où nous retrouvons le fleuve au bout du paysage.

Les couleurs se font douces partout à l’horizon, sur les champs jaunis comme dans le ciel pastel. Encore une fois, durant quelques jours, j’ai pu mieux connaître les paysages, les gens accueillan­ts et les nombreuses histoires de mon propre pays.

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 ??  ?? Les nuits à Cacouna sont lumineuses.
Les nuits à Cacouna sont lumineuses.
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 ??  ?? Le Petit Témis relie le Québec au Nouveau-Brunswick.
Le Petit Témis relie le Québec au Nouveau-Brunswick.
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En face de Trois-Pistoles, on peut voir les îlets D’Amours.
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Dans le Bas-Saint-Laurent, comme ici au nord de Saint-Cyprien, le regard porte loin.

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