Les chemins de traverse : la Gaspésie de l’intérieur
Rares sont les routes qui permettent au commun des cyclistes de prendre la pleine mesure de la péninsule gaspésienne. Vélo Mag en a déniché une pour les amateurs de vélo de gravelle.
La côte de la Gaspésie, ça va, on connaît. L’intérieur de notre Finistère, pas mal moins. Avec ses 25 arêtes appalachiennes de plus de 1000 m et ses résineux typiques de la Boréalie, cette mer de montagnes et de forêts est pourtant un univers en soi – et une terra incognita même pour les cyclistes les plus dégourdis.
Les raisons de la connaître, nombreuses, incluent les immenses distances à couvrir, la présence humaine anecdotique dès qu’on quitte le littoral ainsi que la surabondance de chemins forestiers, de sentiers de quatreroues et de pistes d’orignaux, lesquels forment un véritable labyrinthe. De là à dire qu’il faut avoir un petit vélo dans la tête pour oser s’y aventurer, il n’y a qu’un pas.
À moins que... Il existe une route forestière reliant les villages de Grande-Vallée et de Murdochville. Son nom : la G103, que les locaux surnomment la « route de la
Craque », en référence à la vallée encaissée qu’elle épouse. Pavée sur ses 12 premiers hectomètres, celle-ci fait rapidement place à la garnotte sur 34 km le long des rivières Grande-Vallée et Madeleine. On se trouve en pleine zec de la rivière Madeleine, laquelle est découpée en quelque 70 fosses de pêche au saumon.
Les derniers kilomètres sont de loin les plus accidentés. On quitte dès lors les abords de «La Sauvagesse», comme les pêcheurs du coin surnomment souvent la rivière Madeleine, pour embarquer sur une longue pente graduelle qui débouche sur l’achalandée 198. De l’intersection, il ne reste que 10 bornes (bitumées) avant de gagner l’ancienne capitale du cuivre, où il est possible de se ravitailler avant de revenir sur ses pas. Résultat des courses: un aller-retour d’environ 112 km qui permet d’apprivoiser une Gaspésie que trop peu connaissent.
SUR LES TRACES DE LA COLONIE
Grande-Vallée est prototypique d’un village du littoral nord de la péninsule, avec son anse immense autour de laquelle prospère une communauté. À l’embouchure de la rivière de la Grande Vallée, qui arrose la petite baie, on trouve le plus vieux pont couvert de la Gaspésie: le pont Galipeault, classé immeuble patrimonial depuis 2020. C’est de cette ligne imaginaire entre la côte et les terres que débute l’aventure.
Une fois qu’on est engagé sur la route de la Rivière, il n’y a plus qu’une seule direction à suivre: par en avant. On roule alors en direction de ce qui était jadis la colonie de Grande-Vallée-des-Monts, rendue possible par un illustre personnage du coin: Esdras Minville. Né à la fin du XIXe siècle, l’enfant du pays a été le premier directeur canadienfrançais de HEC Montréal, où il a enseigné à Jacques Parizeau et est devenu un pionnier de la pensée coopérative.
« Il était un grand penseur de l’affranchissement économique des Canadiens français. À Grande-Vallée, en 1938, il est passé de la pensée à l’action en se faisant l’instigateur d’un projet de colonisation basé sur la coopération », relate Jean-Marie Fallu, historien, conseiller en patrimoine et auteur. Les membres de la Société agricole-forestière s’adonnaient à la pêche et à l’agriculture durant l’été et à la coupe forestière pendant la saison froide. L’expérience n’a toutefois duré que quelques années.
La civilisation s’efface pour de bon lorsqu’on rejoint la G103. Assez large et visiblement bien entretenu, ce chemin forestier est essentiellement fréquenté par une poignée de fardiers ainsi que par des pêcheurs en salopette. Surtout, il est balisé tout du long, ce qui a l’avantage indéniable de rassurer les esprits. Soyez sans crainte: vous reviendrez à la maison sain et sauf, indiquent les panneaux à chaque kilomètre. On les croit sur parole.