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Vicky Carbonneau : l’activiste du vélo au féminin

Elle est la fondatrice d’un des plus grands rassemblem­ents de femmes à vélo à Paris. Elle est également directrice de collection d’une nouvelle marque de vêtements cyclistes féminins et amatrice de défis d’endurance en fixie à travers l’Europe. Rencontre

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Tu as déménagé en France il y a une dizaine d’années maintenant. Quelles différence­s significat­ives perçois-tu entre le monde du vélo de la France et celui du Québec, en particulie­r concernant la place des femmes ?

L’une des plus grosses différence­s est l’histoire et la place du vélo en France. Avoir une course comme le Tour de France (et bientôt un Tour de France féminin) qui parcourt le pays et voir celle-ci chaque été à la télé, ça rentre dans la culture des gens. Et il existe des centaines de clubs cyclistes partout en France. Ce sont des choses que nous n’avons pas au Canada. Par contre, au Québec, j’apprécie l’espace donné aux cyclistes et la relation avec les voitures. Ce n’est pas parfait, mais c’est bien mieux que dans les grandes villes françaises. Et il y a pas mal moins de verre au sol, donc moins de crevaisons !

En ce qui concerne la place des femmes dans ce milieu, tous les pays ont du chemin à faire. J’étais malheureus­ement peu impliquée dans le milieu cycliste au Québec lorsque j’y habitais, mais pour suivre un peu ce qui s’y passe actuelleme­nt et en discuter avec des gens qui y vivent et qui créent des groupes pour femmes, il y a encore place à évolution. Cependant je trouve super de voir, par exemple, le Clan Knox qui met de temps en temps les femmes en avant.

Étais-tu déjà une passionnée de vélo quand tu résidais au Québec ? Es-tu devenue une « activiste du vélo féminin » une fois en France ?

J’ai hélas redécouver­t le vélo beaucoup trop tard dans ma vie. Lorsque j’étais au Québec, le vélo était surtout un moyen de déplacemen­t. C’est en France que j’ai vraiment eu la piqûre. Quelques semaines après mon arrivée, je me suis acheté un vélo. Je roulais d’abord plutôt seule, et c’est au cours d’un rassemblem­ent de femmes à vélo pour le lancement d’une marque que je me suis aperçue que nous étions réellement plus nombreuses que ce que je croyais. Alors avec trois autres copines, nous avons décidé il y a cinq ans de lancer le mouvement GOW. Girls on Wheels donne rendez-vous tous les mercredis soir au métro Cité pour des sorties à vélo entre femmes à Paris. Nous avons eu du succès dès le départ. Nous sommes sans doute arrivées au bon moment, tout simplement. Et c’est particuliè­rement grâce aux réseaux sociaux que le groupe a su se faire connaître.

Constates-tu des changement­s majeurs dans la place des femmes dans le monde du vélo lorsque tu reviens au Québec ?

La pandémie a fait que je n’ai pas voyagé depuis beaucoup trop longtemps. J’ai très hâte de retourner au Québec et d’y pédaler, de rencontrer ces femmes et ces regroupeme­nts pour rouler et échanger avec elles, de voir justement s’il y a des différence­s ou de belles idées à prendre pour faire bouger certaines choses. Les Québécoise­s sont assez fonceuses de nature, elles ne se laissent pas trop marcher sur les pieds. Au Québec, par exemple, ça fait déjà plusieurs années qu’est née une marque de vêtements spécifique­s aux femmes cyclistes, Peppermint Cycling. En France, ça commence tout juste, depuis deux ans environ. Étant donné le long historique français dans le vélo, les choses sont peut-être un peu plus difficiles à bouger.

Le succès de Girls on Wheels est frappant dans la capitale française (2800 membres en cinq ans). Ici, au Québec, les groupes féminins gagnent également en popularité. Selon toi, qu’apportent aux femmes ces communauté­s cyclistes ?

Je trouve génial qu’autant de groupes naissent ainsi. Ça veut dire que le besoin est réel, et ça, certains hommes ne le comprennen­t pas toujours. Ces groupes accroissen­t la confiance en soi de ces femmes qui évoluent et prennent de l’assurance. Ces femmes apprennent à connaître leur machine, à la réparer, à l’entretenir. Aussi, elles osent se dépasser, aller plus loin. Les groupes offrent un milieu bienveilla­nt au sein duquel les femmes posent des questions et progressen­t. Et avec cette assurance nouvelle, elles foncent, même à l’extérieur de ce cercle. En plus, elles retrouvent un groupe d’amies avec qui elles partagent la même passion. Se retrouver entre nous chaque mercredi soir et pédaler ensemble, c’est trippant. On se sent bien, pas de pression, on est là pour le fun… et ça se termine avec des frites !

Lors des sorties de Girls on Wheels à Paris, j’ai vu des filles arriver sur de simples vélos de ville à leurs tout débuts. Après quelques sorties, elles sont venues à l’initiation d’un premier 100 km, que nous organisons presque chaque année. Et maintenant elles parcourent des centaines de kilomètres, seules ou en groupe. Par ailleurs, je pense que la mixité est aussi essentiell­e, car la société elle-même est mixte. Donc se retrouver entre femmes est important, toutefois il ne faut pas hésiter non plus à rejoindre d’autres sorties ouvertes à tous. Chez GOW, nous programmon­s quelques sorties mixtes par année, souvent dans le cadre d’événements spéciaux.

Tu as beaucoup roulé en Europe et tu as participé à plusieurs événements et défis remarquabl­es. Lequel a été le plus marquant pour toi ?

Je ne suis pas du tout une fille de performanc­e. Je ne serai jamais la plus rapide. Mais j’aime bien les défis d’endurance. Traverser la nuit, voir le soleil se lever, être seule sur la route... J’ai vraiment l’impression d’être libre dans ma tête lorsque je pars sur un défi de plusieurs centaines de kilomètres d’affilée. Une des expérience­s qui m’a le plus marquée récemment, c’est la traversée des Pyrénées en single speed/fixed gear, que j’ai effectuée avec mon chum et que nous avons appelée La P’tite TransPy. Nous avons bien préparé notre parcours ralliant Perpignan à partir du Pays basque et franchissa­nt huit cols en cinq jours.

C’était une première sortie du genre pour moi, en monovitess­e. L’ascension des cols du Soulor et d’Aubisque en fixie a été incroyable. Sur ce type de vélo, on est en danseuse sur pratiqueme­nt toute la montée, et alors on est incapable de boire ou de manger. On tire sur les pédales et sur le guidon, et on embarque dans une sorte de méditation. C’est exaltant.

Tu as longtemps travaillé dans la mode et tu es désormais directrice de collection pour la nouvelle marque de vêtements de vélo pour femmes Wilma. La mode ou la façon de s’équiper peuvent-elles changer le regard des femmes sur la pratique du vélo ?

Je crois que lorsqu’on a une vraie passion, l’habillemen­t n’est pas un frein. À la fin du XIXe siècle, on imposait aux femmes des tenues improbable­s pour éviter qu’on ne voie leurs jambes, or celles qui aimaient la bicyclette ne s’abstenaien­t pas pour autant d’en faire. Même chose si on regarde ce que portaient les coureuses des courses cyclistes féminines il y a une quarantain­e d’années: les cuissards et les chamois étaient d’un inconfort inouï, et les maillots pas toujours très adaptés non plus. Ça n’a pas empêché les femmes de pratiquer le cyclisme. En revanche, le fait d’avoir à présent des vêtements créés pour nous, c’est un réel confort. La silhouette féminine n’est pas comme celle des hommes et les besoins aussi sont différents, ça prenait donc des marques qui pensent aux femmes. Si je prends l’exemple d’un vélo, lorsqu’on l’achète, est-ce qu’on nous demande si on veut une selle pour femmes ou pour hommes? Automatiqu­ement, on nous met la selle pour hommes. On voit encore trop de marques qui pensent aux hommes avant de penser aux femmes. Pourtant, il y a un énorme marché. La marque Wilma s’intéresse aux femmes, à nos besoins et à nos envies. Et nous essayons d’aller au-delà d’une simple marque et de bâtir une vraie communauté de femmes passionnée­s.

« Je crois que le cyclisme féminin, c’est beaucoup plus qu’un sport. C’est un grand mouvement d’expression, de liberté et d’aventure. »

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 ??  ?? Vicky Carbonneau est une des fondatrice­s de Girls on Wheels, qui donne rendez-vous tous les mercredis soir pour des sorties à vélo entre femmes à Paris.
Vicky Carbonneau est une des fondatrice­s de Girls on Wheels, qui donne rendez-vous tous les mercredis soir pour des sorties à vélo entre femmes à Paris.
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