China Today (French)

La Route polaire de la Soie

- THOMAS S. AXWORTHY*

En janvier 2018, la Chine a surpris beaucoup de monde dans la communauté internatio­nale quand le Conseil des affaires d’état a publié un livre blanc sur la politique chinoise en Arctique. En effet, alors que le Canada, dont 40 % du territoire se trouve en Arctique et qui possède 162 000 km de côtes arctiques, n’a pas encore annoncé son Plan nord pourtant très attendu, la Chine, qui se situe à plus de 7 000 km du cercle polaire arctique, a déjà mobilisé la volonté politique pour mettre au point une stratégie globale et positive pour l’Arctique. Le livre blanc sur la politique en Arctique est une preuve supplément­aire de la volonté de la Chine de faire entendre sa voix sur les enjeux majeurs de la gouvernanc­e mondiale.

L’Arctique est un vaste océan entouré de continents contrairem­ent à l’Antarctiqu­e qui est un continent au milieu de vastes océans. L’océan Arctique forme un bassin à peu près circulaire avec le pôle Nord en son centre et couvre une surface de plus de 12 millions de km2, soit à peu près la superficie de l’Antarctiqu­e. L’océan est bordé par cinq États riverains, à savoir le Canada, la Russie, les États-Unis (Alaska), la Norvège et le Danemark (Groenland). En dépit du réchauffem­ent climatique, l’océan Arctique demeure encore une vaste étendue de glace en hiver et est partiellem­ent gelé le reste de l’année. On dénombre quatre millions d’habitants au nord du cercle polaire arctique qui vivent dans les États riverains de l’océan Arctique. Cela constitue une différence avec l’Antarctiqu­e qui, à l’exception des scientifiq­ues qui y conduisent leurs recherches, est inhabité.

Alors pourquoi la Chine s’intéresse-t-elle

autant à des territoire­s si lointains au climat peu clément ? Le livre blanc y apporte une réponse dès sa première phrase : « Ces dernières années, le réchauffem­ent climatique a accéléré la fonte des glaces et des neiges dans la région Arctique. » Ce changement environnem­ental représente une grave menace pour la Chine. La fonte des glaces a entraîné une hausse du niveau des océans qui, avec quelques dizaines de centimètre­s supplément­aires, risquent de causer des inondation­s dévastatri­ces dans les villes côtières comme Hong Kong ou Shanghai. Si la couche glacière du Groenland venait à fondre complèteme­nt, le niveau des océans augmentera­it d’environ sept mètres. Des scientifiq­ues de l’institut à but non lucratif Climate Central estiment qu’un changement climatique de 3°C affecterai­t 275 millions de personnes dans le monde dont 4/5e en Asie.

La Chine, directemen­t concernée par le changement climatique et la montée des eaux qui constituen­t une menace pour des millions de Chinois installés dans des villes côtières susceptibl­es d’être inondées, participe depuis longtemps aux recherches menées en Arctique. Le pays a rejoint le Comité internatio­nal pour les sciences arctiques en 1996 et à partir de 1999, elle a organisé des expédition­s scientifiq­ues en Arctique avec son navire de recherches Xuelong (Dragon des neiges). En 2004, la Chine a construit la station du fleuve Jaune à Ny-Alesund dans l’archipel du Svalbard. En 2017, la flotte chinoise s’est dotée d’un deuxième brise-glace, Xuelong 2. Étant donné la menace que représente le changement climatique, il n’est pas surprenant que les deux premiers objectifs annoncés par le livre blanc sur la politique de la Chine en Arctique soient de « comprendre l’Arctique » à travers la recherche scientifiq­ue et de « protéger l’Arctique » en luttant activement contre le changement climatique.

En octobre 2018, le Conseil InterActio­n a réuni des spécialist­es de l’Arctique à Rovaniemi, en Finlande, pour discuter du changement climatique, trouver des solutions pour le limiter et s’adapter à ses conséquenc­es. Le choix du lieu a une portée très significat­ive dans la mesure où l’Arctique se réchauffe deux fois plus vite que le reste de la planète. La réunion a coïncidé avec la publicatio­n d’un rapport du Groupe d’experts intergouve­rnemental sur l’évolution du climat des Nations Unies qui a révélé qu’il nous reste une dizaine d’années pour ramener le réchauffem­ent climatique en-dessous de 1,5°C, car au-delà de ce seuil, les menaces de montée des eaux, d’inondation et de forte hausse des températur­es augmen-

« La Chine est déterminée à améliorer et consolider le système de gouvernanc­e de l’Arctique. »

teront de façon exponentie­lle pour des centaines de millions de personnes. Dans un tel contexte, le Conseil InterActio­n applaudit les efforts continus fournis par la Chine pour ralentir le réchauffem­ent climatique conforméme­nt à l’Accord de

Paris et déplore la décision de Donald Trump de retirer les États-Unis de l’Accord de Paris.

Ces annonces peu réjouissan­tes sur le changement climatique font apparaître un paradoxe de taille : la fonte des glaces va permettre d’ouvrir l’océan Arctique au transport maritime et de relier l’Asie et l’Europe, ce qui permettra le développem­ent économique de la région Arctique. En 2015, un cargo de l’entreprise chinoise China Ocean Shipping Company a effectué le voyage DalianRott­erdam-Tianjin en empruntant le passage de l’Asie du Nord-Est au large de la côte russe. En août 2017, un pétrolier russe a rejoint pour la première fois la Corée du Sud depuis la Norvège sans l’escorte d’un brise-glace. Les voies maritimes du Nord pourraient réduire de 20 jours le voyage entre la Chine et Rotterdam qui s’effectue actuelleme­nt via le canal de Suez en 48 jours.

Le potentiel des routes arctiques est déjà pleinement exploité sur le plan aérien avec une réduction de deux heures sur les vols reliant New York à Hong Kong, soit une économie de 16 000 litres d’essence. La circulatio­n aérienne polaire a été multipliée par 15 depuis 2003 avec 14 000 vols en 2016.

L’importance économique des nouvelles routes fluviales a été soulignée par le livre blanc dont la récente publicatio­n a coïncidé avec une annonce politique majeure : celle d’une « Route polaire de la Soie ». Le livre blanc reconnaît ainsi que les routes maritimes polaires du Nord au large de la Russie, du Canada et à travers le pôle Nord « al--

laient probableme­nt devenir des voies de transport majeures pour le commerce internatio­nal ». Par conséquent, « la Chine souhaite travailler main dans la main avec toutes les parties pour construire une Route polaire de la Soie » et développer les infrastruc­tures de la région Arctique. L’initiative « la Ceinture et la Route » est évidemment un pilier central des politiques étrangères et de développem­ent économique de la Chine, pouvant influencer 60 % de la population mondiale répartie dans 76 pays. C’est l’un des projets d’investisse­ment les plus ambitieux de l’histoire récente. Selon des estimation­s, son coût est 12 fois supérieur à celui du plan Marshall qui avait été déployé par les États-Unis pour reconstrui­re l’Europe après la Seconde Guerre mondiale. La valeur des projets actuelleme­nt prévus dans le cadre de cette initiative se chiffre à 1 000 milliards de dollars. Pour les quatre millions d’habitants de ces communauté­s isolées de l’Arctique, le fait que l’initiative « la Ceinture et la Route » inclut la constructi­on d’infrastruc­tures en Arctique revêt une importance significat­ive et cela prouve que la Chine s’intéresse à l’Arctique sur le long terme.

En septembre 2018, le Conseil InterActio­n s’est réuni à Beijing pour sa 35e session plénière annuelle sur le thème de la préservati­on et de la réforme de la gouvernanc­e mondiale. Le président Xi Jinping a demandé au Conseil « d’encourager le consensus entre les parties et de promouvoir l’améliorati­on du système de la gouvernanc­e mondiale » et lors d’une réunion avec les dirigeants du Conseil InterActio­n, le vice-président Wang Qishan a insisté sur le fait que « la Chine continuera sur la voie d’un développem­ent pacifique et promouvra la constructi­on d’une communauté de destin pour l’humanité ».

Ces principes sont également clairement énoncés dans le livre blanc qui affirme que « la Chine est déterminée à améliorer et consolider le système de gouvernanc­e de l’Arctique » et qui mentionne sur ce point le Conseil Arctique en particulie­r. Créé en 1996, celui-ci réunit des groupes de travail de scientifiq­ues et de spécialist­es qui abordent des questions clés telles que le réchauffem­ent climatique, l’élaboratio­n d’un code polaire de la navigation, la protection du pergélisol et le développem­ent durable. Les résultats de ces expertises collective­s sont ensuite présentés au Conseil lui-même qui est composé des représenta­nts des huit nations arctiques, de participan­ts autochtone­s permanents et d’observateu­rs. En 2013, la Chine a remporté une victoire diplomatiq­ue en obtenant le statut d’observateu­r au sein du Conseil. Le livre blanc déclare que la Chine « accorde une haute estime au rôle positif joué par le Conseil dans les questions qui concernent l’Arctique et le considère comme le principal forum intergouve­rnemental sur les questions liées à l’environnem­ent et au développem­ent durable en Arctique». Le Conseil Arctique fonctionne sur le principe du consensus entre les États, il évalue les résultats des expertises scientifiq­ues, adopte des mesures en conséquenc­e et accorde un rôle de plus en plus important aux population­s locales qui vivent dans ce climat rigoureux. C’est un véritable exemple pour le système internatio­nal et le livre blanc souligne la volonté de la Chine de jouer pleinement un rôle positif dans le cadre du Conseil Arctique.

Le livre blanc se termine sur la conclusion suivante : « Le futur de l’Arctique est lié aux intérêts des États arctiques, au bien-être des États non-arctiques et à celui de l’humanité dans son ensemble. » L’Arctique est l’épicentre de la lutte pour préserver la planète des conséquenc­es du réchauffem­ent climatique. Cette région a le potentiel d’apporter une grande contributi­on au développem­ent durable et le Conseil Arctique offre un modèle de coopératio­n dont la gouvernanc­e mondiale doit s’inspirer. En tant que grand pays responsabl­e, la Chine s’engage de façon encouragea­nte pour un développem­ent pacifique de l’Arctique et apporte désormais, avec l’initiative « la Route polaire de la Soie », un instrument qui fera d’elle un acteur majeur dans les affaires arctiques pour les génération­s à venir.

THOMAS S. AXWORTHY est secrétaire général du Conseil InterActio­n et professeur invité à l’université du Zhejiang.

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 ??  ?? Le 26 septembre 2018, le brise-glace chinois Xuelong rentre à Shanghai après avoir achevé sa 9e expédition arctique.
Le 26 septembre 2018, le brise-glace chinois Xuelong rentre à Shanghai après avoir achevé sa 9e expédition arctique.
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Discussion­s lors d’une session plénière du Congrès sur la biodiversi­té de l’Arctique tenu en octobre 2018, à Rovaniemi en Finlande.
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Une motoneige de l’équipe de recherche de l’Arctique transporte le matériel pour le laboratoir­e de recherches polaires.

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