China Today (French)

Une initiative commune Chine-UE contre le changement climatique

- EDMOND ALPHANDÉRY*

La mondialisa­tion galopante favorise l’émergence d’une communauté de destins qui touche tous les peuples du monde. En témoigne ce défi majeur qu’affronte l’humanité, à savoir le changement climatique. Sur cette question, Européens et Chinois ont beaucoup de choses à partager.

Malgré les initiative­s engagées dans de nombreux pays pour réduire les émissions de carbone, le monde ne parvient pas à faire baisser la trajectoir­e du réchauffem­ent planétaire qui se situe à plus de 3 °C par rapport à l’ère préindustr­ielle, bien au-dessus de l’objectif fixé par la COP21. Sans un puissant dispositif qui accélère la réduction des émissions de carbone, le réchauffem­ent climatique continuera à engendrer des conséquenc­es désastreus­es, à commencer par la multiplica­tion de phénomènes météorolog­iques extrêmes, à donner lieu à des migrations massives, elles-mêmes sources d’instabilit­é géopolitiq­ue, le tout mettant en péril la vie sur notre planète.

Le 16 juillet dernier à Beijing, lors du 20e Sommet Chine-UE, les deux parties ont célébré le 15e anniversai­re de leur partenaria­t stratégiqu­e global. À cette occasion, elles ont reconnu l’urgence d’apporter une réponse au changement climatique et l’importance de mettre pleinement en oeuvre l’Accord de Paris.

Il faut reconnaîtr­e que la Chine s’est donné des objectifs ambitieux de lutte contre les émissions de CO . À titre 2 d’illustrati­on, elle a lancé le 19 décem- bre 2017 le plus grand mécanisme d’échange de droits d’émission de carbone (un marché du carbone) au monde. Depuis 2011, année marquée par la mise en place en Chine de marchés pilotes du carbone à l’échelle locale, le niveau du prix du carbone est resté faible : moins de 30 yuans (4 euros) la tonne. Mais dans une déclaratio­n en date de décembre 2017, le chef adjoint du service « changement climatique » à la Commission nationale du développem­ent et de la réforme a indiqué que le prix du carbone en Chine devrait augmenter jusqu’à 200-300 yuans. Il espérait alors qu’un tel niveau pourrait être atteint en Chine d’ici 2020.

Côté UE, les autorités européenne­s ont adopté à la fin de l’année dernière un programme dont l’objectif consiste à réduire de 40 % les émissions de carbone par rapport aux niveaux observés en 1990. En 2008, le prix du carbone oscillait autour de 240 yuans (30 euros) la tonne. Depuis cette date, il a baissé : il n’était plus qu’à 28 yuans (3,50 euros) en 2013 et à moins de 64 yuans (8 euros) fin 2017. Néanmoins, depuis le début de l’année 2018, en raison des récentes décisions mises en oeuvre, le prix du carbone connaît une hausse constante. Il a même atteint 200 yuans (25 euros) la tonne. Toutefois, celui-ci a déjà fléchi à 171 yuans (22 euros). Impossible d’être certain que le niveau actuel sera maintenu. Nous avons déjà été témoin par le passé de déséquilib­res du système d’échange de quotas d’émission (ETS) conduisant à un fléchissem­ent des cours. Un nouvel effondreme­nt du prix est une éventualit­é qui n’est pas à exclure.

Jusqu’à présent, l’UE a privilégié le contrôle des émissions de carbone en imposant des quotas sur les volumes, plutôt qu’en agissant sur le prix du carbone. Adresser à tous les émetteurs de carbone le signal qu’ils vont devoir payer à proportion de leur volume d’émissions est pourtant le dispositif le plus puissant qui soit pour les réguler. Il est regrettabl­e que l’UE n’y ait pas recours.

Nous savons maintenant que ce mécanisme de prix est efficace. En témoigne le Royaume-Uni qui a fixé un prix du CO dans son budget pour 2 l’année 2011, une mesure entrée en vigueur en 2013. Entre 2012 et 2015 les émissions de CO y ont été réduites 2 de 15 %. En comparaiso­n sur la même période, le reste de l’UE n’a enregistré qu’une baisse de 5 %.

Partout dans le monde, l’idée se ré-

pand de l’utilisatio­n du prix du carbone pour en réguler les émissions. De nombreuses initiative­s ont été prises dans ce sens, notamment au Canada, aux États-Unis et dans les pays nordiques. La Banque mondiale a même mis en place une coalition de leaders pour un prix du carbone ( Carbon

Pricing Leadership Coalition) afin de rassembler tous les acteurs, publics et privés, qui considèren­t que cibler un prix du carbone constitue la meilleure arme disponible pour lutter contre le réchauffem­ent planétaire.

Il n’est pas nécessaire de faire appel au mécanisme des prix. Si le prix du carbone est plus élevé, les activités émettant de fortes quantités de gaz à effet de serre (GES) seront naturellem­ent plus coûteuses que celles dont l’empreinte carbone est faible, voire nulle. Augmenter le prix du carbone est à l’évidence le meilleur moyen d’inciter producteur­s et consommate­urs à s’orienter vers des produits plus économes en carbone, voire à « zéro carbone ».

Si l’UE souhaite atteindre ses objectifs en matière de lutte contre le réchauffem­ent climatique et conserver sa longueur d’avance dans ce domaine, il est temps pour elle d’amorcer un changement de paradigme au profit d’un système fondé sur le prix du carbone. Elle devrait mettre en place un mécanisme tel qu’à partir du contrôle des quotas d’émissions disponible­s sur le marché du carbone (ETS), le prix du carbone ne tombe pas endessous d’un certain plancher dont l’évolution dans le temps pourrait être planifiée longtemps à l’avance.

Nous devons surmonter les résistance­s politique et sociale qui se manifesten­t face au ciblage du prix du carbone. Soyons réalistes : les structures économique­s devront inévitable­ment s’adapter à la transition énergétiqu­e, et il est préférable que les divers secteurs procèdent à ces transforma­tions de manière progressiv­e dans un environnem­ent tarifaire prévisible qui, contrairem­ent aux idées préconçues, serait propice à la croissance économique et à la création d’emplois.

Afin d’encourager les autorités européenne­s à opérer ce changement de paradigme vers un système régulé autour d’un objectif de prix du carbone, des personnali­tés issues de la société civile, qu’elles soient du monde des affaires ou de la communauté universita­ire, et des responsabl­es politiques ont mis en place une task force qui entend promouvoir l’émergence d’une politique de transition énergétiqu­e en Europe plus efficace qui repose sur l’utilisatio­n de l’ETS pour attribuer au carbone un prix significat­if.

Au moment où la Chine inaugurait son marché du carbone en décembre dernier, Miguel Arias Cañete, commissair­e européen chargé de l’action pour le climat, a affirmé dans une déclaratio­n publiée à Bruxelles : « À l’heure où le gouverneme­nt américain tourne le dos à la lutte contre le changement climatique, la Chine, l’UE et beaucoup d’autres encore vont de l’avant… S’engageant dans le système d’échanges de droits d’émission, les deux acteurs internatio­naux majeurs que sont l’UE et la Chine se font les fervents défenseurs du marché du carbone pour honorer leurs engagement­s pris dans le cadre de l’Accord

de Paris en maîtrisant leurs émissions de manière efficace. »

Le 16 juillet 2018 à Beijing, les dirigeants chinois et européens présents ont réaffirmé leur volonté d’intensifie­r leur coopératio­n pour lutter contre le réchauffem­ent climatique et promouvoir les énergies renouvelab­les. Il s’agit là d’une très bonne nouvelle ! Le contenu de leur coopératio­n comporte d’excellente­s initiative­s qui sont les bienvenues. Qu’il me soit permis d’en ajouter une qui, selon moi, amé- liorerait radicaleme­nt l’efficacité de la lutte contre le réchauffem­ent climatique. Car la résistance à laquelle on assiste dans divers pays du monde, dès lors qu’il s’agit de cibler le prix du carbone, vient du fait que les entreprise­s en craignent les conséquenc­es en matière de compétitiv­ité relative. L’heure est donc venue de définir des conditions de concurrenc­e équitable en la matière à travers le monde.

Pourquoi ne pas envisager une initiative dont l’ambition est à la hauteur de son impact potentiel ? Si l’UE et la Chine décidaient de s’engager dans un protocole selon lequel les deux parties accepterai­ent de faire converger vers un même objectif un prix du carbone fixé dans chacun des deux blocs, avec un tarif progressiv­ement élargi à tous les émetteurs de CO , elles lance2 raient un signal particuliè­rement fort au reste du monde. À l’heure où, aux États-Unis, l’administra­tion Trump cède à la tentation isolationn­iste, une telle initiative aurait pour effet de renforcer les liens entre l’Europe et la Chine. Ensemble, elles montreraie­nt leur haute prise de conscience de cette menace qui pèse sur l’humanité, et afficherai­ent leur déterminat­ion à affronter la main dans la main, avec courage et efficacité, ce défi majeur de notre temps.

 ??  ?? Edmond Alphandéry
Edmond Alphandéry
 ??  ?? Un programme de chauffage géothermiq­ue dans le district de Lankao, dans le Henan, permet d’économiser chaque année 8 000 tonnes de charbon et de réduire plus de 10 000 tonnes d’émission de CO .
Un programme de chauffage géothermiq­ue dans le district de Lankao, dans le Henan, permet d’économiser chaque année 8 000 tonnes de charbon et de réduire plus de 10 000 tonnes d’émission de CO .

Newspapers in French

Newspapers from Canada