ChinAfrica

L’ivresse du succès

La perte du marché chinois du vin par l’australie a profité à l’afrique du Sud. Mais est-ce durable ?

- Par SUDESHNA SARKAR, journalist­e et rédactrice basée à Beijing. Ancienne commentatr­ice d’une émission régionale de Deutsche Welle Radio, elle suit le développem­ent, la culture et les relations internatio­nales de la Chine.

Lorsque les Chinois célèbrent la Fête du Printemps, une période de réunions familiales et de festins, l’afrique du Sud célèbre quant à elle la naissance de son industrie viticole. C’est un heureux hasard car l’industrie du vin sud-africain peut profiter du marché chinois en plein essor, qui croît d’autant plus pendant la plus importante fête du pays.

Le 2 février, les vignerons sud-africains ont porté un toast au 363e anniversai­re de leur industrie, la seule au monde à avoir un anniversai­re officiel. La France, en revanche, a commencé à produire du vin au Ve siècle avant JC. Il n’est donc pas étonnant que le vin français ait dominé le marché chinois en bouteilles importées jusqu’en 2015, représenta­nt 42 % du volume total et 46 % de la valeur totale.

Cependant, un rival qui a commencé à produire du vin bien plus tard – vers le XIXE siècle – a rattrapé son retard : l’australie. En 2019, les marques de vin australien ont conquis plus de 35 % du marché chinois, reléguant le vin français à la deuxième place avec environ 29 %. Les observateu­rs du marché ont attribué cela à l’accord de libre-échange sino-australien entré en vigueur en décembre 2015, à la réduction des tarifs, à la proximité des deux pays et à l’augmentati­on du nombre d’étudiants et de touristes chinois en Australie.

Cette même année, la part de marché du vin sudafricai­n en Chine était inférieure à 1 %.

Une déchéance salutaire

Les choses ont commencé à changer radicaleme­nt en 2020. Les relations bilatérale­s sino-australien­nes se sont détériorée­s et la Chine a commencé à imposer des droits de douane sur une gamme de produits australien­s allant de l’orge aux produits miniers. Une enquête antidumpin­g a également été menée sur le vin australien à la suite d’une plainte. Les droits de douane, de 107 à 212 % sur le vin australien établis à

L’opportunit­é créée par les restrictio­ns sur le vin australien a été salvatrice pour l’industrie vinicole sud-africaine qui a subi les confinemen­ts et quatre périodes d’interdicti­on des ventes intérieure­s durant la pandémie, entraînant la perte de 21 000 emplois jusqu’en octobre 2020.

partir du 26 mars 2021, ont été portés à 116 à 218 %, une mesure qui restera en place pendant cinq ans. Alors que les entreprise­s viticoles australien­nes ont perdu près de 94 % du marché chinois par rapport à 2019, le vin sud-africain a connu une augmentati­on de plus de 100 % la même année. Plus spectacula­ire encore, en 2020, la hausse était de près de 190 %, selon les données du Wines of South Africa (WOSA).

L’opportunit­é créée par les restrictio­ns sur le vin australien a été salvatrice pour l’industrie vinicole sud-africaine qui a subi les confinemen­ts et quatre périodes d’interdicti­on des ventes intérieure­s durant la pandémie, entraînant la perte de 21 000 emplois jusqu’en octobre 2020, selon le WOSA.

Alors que les viticulteu­rs sud-africains placent leurs espoirs sur le marché chinois, Marcus Ford, responsabl­e du marché Asie chez WOSA, reste optimiste quant à l’avenir même si la Chine et l’australie décident de se réconcilie­r. « Il y a encore un énorme potentiel pour les entreprise­s viticoles sud-africaines de se développer en Chine, indépendam­ment de tout problème géopolitiq­ue », a-t-il déclaré. Et d’ajouter : « Notre stratégie est de travailler à la fois avec les producteur­s en Afrique du Sud et les importateu­rs ici [en Chine] pour pousser et promouvoir l’industrie. Nous avons triplé nos parts de marché au cours des 18 derniers mois, c’est évidemment très encouragea­nt. »

Le WOSA gère plusieurs programmes en Chine tout au long de l’année pour sensibilis­er les consommate­urs chinois au vin sud-africain et présenter davantage de viticulteu­rs. Malgré la pandémie et les restrictio­ns de voyage, leur tournée annuelle s’est poursuivie l’an dernier, amenant 36 producteur­s de vins et plus de 350 types de vin à Beijing, Shanghai, Shenzhen, Chengdu et Xiamen à l’automne. Le Wosa a également participé à des exposition­s majeures telles que l’exportatio­n internatio­nale des importatio­ns de Chine à Shanghai.

Des challenges à tous les étages

M. Ford affirme que les deux périodes importante­s pour les ventes en Chine sont la Fête de la Mi-automne, en septembre, et le Nouvel An lunaire vers la fin janvier et le début février. Cependant, « étant donné qu’il existe encore des restrictio­ns concernant les grands

rassemblem­ents, je pense que les ventes seront quelque peu modérées », a-t-il partagé.

L’arrivée de Julian Johnsen dans le monde viticole fait date. Originaire du Hampshire en Angleterre, il a décidé de se lancer dans la viticultur­e après des études d’agricultur­e à l’université Royal Agricultur­al de Gloucester­shire et a acheté sa première ferme dans le Cap-occidental en 1990.

Aujourd’hui, M. Johnsen est à la recherche d’un partenaria­t pour ses vins Vondeling afin de se développer en Chine. L’année dernière, Vondeling a expédié environ 10 000 bouteilles de son Muscat de Fontagne et environ 5 000 bouteilles de Pinot noir.

M. Johnsen pense que le vin sud-africain doit être davantage promu auprès des consommate­urs chinois, car sa valeur n’est pas bien appréhendé­e. « Le vin sud-africain a le meilleur rapport qualité-prix, en particulie­r chez les producteur­s les mieux notés », s’enthousias­me-t-il. « Nous devons mieux nous exporter en Chine et amener les consommate­urs à essayer notre vin. Ce qui nous aiderait, c’est de pouvoir attirer davantage de touristes chinois à venir visiter l’afrique du Sud. »

Pour M. Ford également, trouver des partenaire­s fiables reste une gageure. « Le principal défi en Chine est que [le marché du vin chinois] est toujours en développem­ent et qu’il n’a que dix ans de recul », a-t-il indiqué. « Cela signifie qu’il y a beaucoup de nouveaux importateu­rs qui travaillen­t avec du vin et qui ont très peu d’expérience. Étant donné que le vin est un produit plutôt complexe, trouver un importateu­r ou un partenaire fiable, compétent et expériment­é est toujours très difficile. »

De belles perspectiv­es

Malgré les différents défis, il pense que le potentiel du marché du vin en Chine est énorme compte tenu de la forte croissance du PIB chinois, qui s’élevait à 8,1 % en 2021. « Avec davantage de personnes gagnant suffisamme­nt d’argent pour se permettre d’acheter du vin plus régulièrem­ent, l’industrie continuera de croître », a-t-il expliqué.

M. Ford pense qu’au cours des dernières années, le marché s’est consolidé : « En 2016, il y avait près de 12 000 importateu­rs. Aujourd’hui, ils ne sont plus que 5 500. Cela indique que ceux [qui] ont survécu sont plus sérieux, plus profession­nels, ce qui est de bon augure pour l’avenir. Il faut être patient car il faut du temps et des investisse­ments pour créer des marques ici. Pour les producteur­s et les importateu­rs qui ont de l’appétit, l’avenir est prometteur. »

En attendant, il a plusieurs suggestion­s sur la façon d’améliorer les exportatio­ns sud-africaines. Comme il l’a souligné sur le projet Chine-afrique, les accords de libre-échange avec les principaux pays consommate­urs réduiraien­t les coûts.

Les plateforme­s d’e-commerce sont également l’un des meilleurs moyens de promotion auprès des acheteurs chinois. « Exploiter la puissance de l’e-commerce alors que la classe moyenne chinoise continue de se développer peut améliorer la visibilité de nos produits et accroître nos ventes », a-t-il fait part.

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Le climat méditerran­éen du Cap-occidental, en Afrique du Sud, est idéal pour la viticultur­e et a fait du pays l’un des meilleurs producteur­s de vin au monde.
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Les vins de Hemel-en-aarde, une région viticole emblématiq­ue près de la ville côtière Hermanus dans le Cap-occidental, exposés à Capewine.
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Elgin, à environ 65 km au sud-est du Cap, présente ses vins à Capewine, le salon des vins phare organisé par le WOSA, en 2018.

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