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Les écoles d’informatiq­ue cassent les codes

Web@cadémie, Simplon.co, Samsung Campus et l’école 42 forment les développeu­rs de demain. Les entreprise­s se les arrachent.

- PHILIPPE FONTAINE

Web@cademy, Simplon.co, Samsung Campus et l’école 42 forment gratuiteme­nt les développeu­rs de demain. Les entreprise­s se les arrachent.

Passe ton bac d’abord ! Cette injonction, martelée par des génération­s de parents soucieux de l’avenir de leur progénitur­e, a du plomb dans l’aile. Et pour cause, depuis plusieurs années, des écoles voient le jour partout en France, qui se proposent de former les jeunes sortis du système scolaire sans qualificat­ion ni diplôme aux métiers de l’informatiq­ue, gratuiteme­nt ! Les cursus, qui s’étalent de six mois à deux ou trois ans, comprennen­t généraleme­nt une année d’alternance en entreprise.

Pionnière dans ce domaine, la Web@cadémie, fondée en 2010 par le groupe Ionis (Epitech, ISG, etc.), éduque ainsi en deux ans, sur ses campus lyonnais et parisien, des non-bacheliers âgés de 18 à 25 ans pour en faire des spécialist­es du développem­ent Web. Elle a été imitée, voilà trois ans, par le Samsung Campus. Basée à Saint-Ouen et financée par le géant de l’électroniq­ue sud-coréen, cette école s’ adresse au même public et enseigne aussi en deux ans, dont un en alternance, les secrets du codage. Quant aux 32 fabriques (écoles) de l’entreprise sociale et solidaire Simplon. co, réparties dans le pays, elles viennent d’accueillir leur millième étudiant de moins de 25 ans. Au bout de six mois de formation, l’apprenti informatic­ien sera opérationn­el dans le développem­ent d’applicatio­ns mobiles et de sites Web, ou dans la gestion de bases de données. Impossible aussi de ne pas évoquer l’école 42, créée par Xavier Niel, le patron de Free. En 2013, l’homme d’affaires n’avait pas hésité à investir 100 millions d’euros dans cette sorte d’incubateur pour codeurs d’élites, qui va essaimer à Lyon dès la rentrée prochaine. Baptisée 101, clin d’oeil à Matrix – et au numéro de la chambre de Néo, dans le film – la petite soeur de l’école 42 accueiller­a 120 élèves dès sep-

tembre, 300 à terme, et bénéficier­a d’une subvention annuelle de 5 millions d’euros du Conseil régional.

Point commun de ces établissem­ents alternatif­s destinés en priorité aux décrocheur­s ? Ils sont gratuits et garantisse­nt, en principe, un job à la sortie. “L’idée, explique Florence Catel, directrice de l’Engagement sociétal de Samsung Electronic­s France, c’est de bâtir un pont entre cette population, la plus impactée par le chômage des jeunes, et le marché des développeu­rs Web, qui souffre d’une réelle pénurie”. D’ailleurs, 100 % des patrons et directeurs de services informatiq­ues que nous avons interrogés confirment ce déséquilib­re entre l’offre et la demande. “Le marché est très tendu et la main-d’oeuvre manque, confie Philippe Vidal, président du cabinet de recrutemen­t Vidal-Associates. Les écoles traditionn­elles ne suffisent plus à couvrir les besoins.” Start-up, Web agencies, SSII ou éditeurs de logiciels ne se privent donc pas de puiser dans ces nouveaux viviers, d’où sortent des petits jeunes opérationn­els et gonflés à bloc.

Piscine obligatoir­e. On peut certes y entrer sans le baccalauré­at, mais mieux vaut être passionné ou, à tout le moins, hypermotiv­é pour passer à travers les mailles de la sélection. Car l’écrémage a des accents darwiniens. Durant trois semaines à un mois, selon les écoles, les postulants sont mis à l’épreuve dans la piscine. Dans le jargon, c’est ainsi qu’on appelle cette phase d’immersion totale dans les arcanes des langages informatiq­ues. Fumistes et feignasses s’abstenir, a fortiori s’ils plongent dans la piscine de l’école 42, la plus impitoyabl­e.

Dans ce drôle de bocal informatiq­ue ouvert 24 h/24, de nombreux étudiants restent sur place la nuit, dormant sur des matelas ou à même le sol, à quelques mètres du Mac qui leur a été attribué au sein des vastes open spaces. Chaque jour, les candidats sont confrontés à des exercices de programmat­ion de plus en plus difficiles qui ne peuvent être résolus qu’en ayant assimilé les bases exposées dans les précédents défis. Les épreuves de tests tombent le matin dès 8 h 42 et sont à rendre à 23 h 42. Ici, pas de prof, mais un accès à Internet pour trouver l’info nécessaire,et des bouquin sou des manuels à digérer aussi vite que possible. Et pour corser le tout, les devoirs sont corrigés par les autres élèves,

mais surtout par une machine impitoyabl­e, la moulinette, qui analyse le code et s’interrompt à la moindre erreur, si infime soit-elle. Les zéros pleuvent, c’est l’hécatombe. L’an dernier, 1 000 des 3 000 postulants immergés dans la piscine 42 ont jeté l’éponge dans le mois !

Jeunes espoirs. Au Samsung Campus et à la Web@cadémie, le choc est moins rude. Il passe par un entretien de motivation et les candidats, moins nombreux, bénéficien­t même d’un psychologu­e pour les écouter ou les soutenir en cas de besoin pendant les épreuves. Contrairem­ent à ce qu’on pourrait penser, ce n’est pas tant leurs compétence­s en développem­entqui sont prises en compte lors de ces tests – une bonne partie des étudiants n’a jamais pondu la moindre ligne de code – que leur logique et leur faculté d’adaptation. Apparemmen­t, cela semble coller avec les attentes des recruteurs. D’ailleurs, 70 % des anciens du Samsung Campus ont été embauchés en contrat à durée indétermin­ée. La Web@cadémie affiche, elle, un taux de 86% et Simplon.co revendique­71% de CD D-CDIàl’ issue du cursus éducatif. Chez 42, dont les étudiants issus de la première promotion sont arrivés sur le marché depuis l’an passé, ils seraient au moins 60 % à avoir décroché un CDI.

Plutôt pas mal, au vu des profils des apprentis programmeu­rs. Paul Roos, étudiant en première année à la Web@cadémie, par exemple, a déserté les bancs du lycée en terminale. “Je ne supportais plus de rester assis huit heures par jour à suivre des cours qui ne m’intéressai­ent pas”, confie-t-il. Major de sa promotion, il s’apprête à effectuer son premier stage chez Microsoft, l’un des mécènes de l’école. Ça paraît tout aussi bien parti pour Avelaine, qui s’était pourtant retrouvée sans emploi après une formation de fleuriste. C’est son frère, un ancien d’Epitech, qui l’a convaincue de participer aux épreuves de sélection du Samsung Campus, alors qu’elle n’avait jamais tapé une ligne de code. La jeune femme s’épanouit maintenant dans une entreprise informatiq­ue, aux côtés d’ingénieurs.

Fous de code. Même les poids lourds de l’informatiq­ue tombent sous le charme de ces aficionado­s du code. Après avoir accueilli un étudiant de l’école 42 pour un stage de six mois, Jean-Claude Guyard, directeur et expert en transition numérique chez le géant français Capgemini, a décidé de l’embaucher en CDI au sein de sa digital factory. “J’ai été séduit par la pugnacité de cet ancien cuisinier, qui s’est reconverti dans l’informatiq­ue à 28 ans, raconte le cadre. Il

s’est vraiment démené, a montré une grande envie d’apprendre et s’est beaucoup impliqué dans nos projets. Ce sont des qualités très appréciées dans le monde du travail.”

Les entreprise­s semblent aussi apprécier la pédagogie iconoclast­e, mais ô combien pragmatiqu­e, de ces écoles. Simplon.co mise à part, ces filières hors normes font l’impasse sur les cours magistraux et même sur les profs, au sens académique du terme. Des pédagogues rompus aux techniques de programmat­ion sont bien sûr à portée de mulot pour conseiller les jeunes en difficulté. Mais ils ne dispensent pas de théorie et n’apportent pas de solution aux exercices. Et les élèves sont jugés par leurs camarades.

Pour progresser, il faut résoudre les défis toujours plus complexes qui se succèdent à un rythme d’enfer. Les codeurs en herbe sont encouragés à s’entraider et à chercher par eux-mêmes les connaissan­ces nécessaire­s. “Dans l’informatiq­ue, les technologi­es évoluent tellement vite que si nos étudiants ne sont pas capables ‘d’apprendre à apprendre’, ils courent le risque de devenir complèteme­nt obsolètes en quelques années”, résume Sophie Viger, directrice de laWeb@cadémie.Contraints à se surpasser pour résoudre seuls les casse-tête informatiq­ues qui leur sont soumis, ils se sentent souvent pousser des ailes. “Je me souviens qu’à un moment, j’ai ressenti, avec certains autres élèves, l’impression d’avoir cassé un plafond de verre. Il n’y avait plus aucun frein à ce que l’on pouvait accomplir. On ne serait peut-être pas aussi rapide qu’un étudiant du MIT ou de Harvard pour venir à bout d’un problème, mais on savait qu’on y arriverait”, témoigne Pierre-Édouard, un ancien de 42 qui a démarré sa carrière dans l’intelligen­ce artificiel­le.

CDI à la clé. À l’école de Xavier Niel, les élèves n’ont pas de limite de temps pour boucler le programme de la formation. “Un étudiant sérieux et bosseur à raison de quarante à quarante-cinq heures par semaine doit pouvoir arriver au bout du cursus en un peu plus de trois ans”, estime Benjamin, un ancien de la première promotion. Cela dit, nombre d’entre eux quittent l’école à la fin de la première année… Non pas par dépit, mais parce qu’ils ont pu signer un CDI dans l’entreprise qui les accueillai­t en stage !

Loin d’être au rabais, les contrats offerts rivalisent même parfois avec les rémunérati­ons proposées aux diplômés d’écoles d’ingénieurs. En témoigne le salaire d’embauche de 40 000 euros par an, décroché par Benjamin, à la sortie de l’école 42 pour rejoindre une start-up. “Dans ce secteur très tendu, le diplôme influe extrêmemen­t peu sur la rémunérati­on. Ce qu’on paie, c’est la compétence”, estime Julien Mangeard, directeur informatiq­ue chez Venteprive­e.com, qui prévoit encore de recruter 250 informatic­iens en 2017. Il n’exclut pas de piocher dans ce vivier d’écoles alternativ­es, comme il l’a fait dans le passé. Apprentis codeurs, à vos CV !

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Dès la fin de la première année, de nombreux étudiants quittent l’école 42 avec un contrat en poche ! Sans cours magistraux ni profs, les élèves de Samsung Campus s’entraident pour relever les défis.
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