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Comment sortir de l’enfer des jeux d’argent en ligne

Les joueurs sur Internet sont deux fois plus nombreux qu’en 2010. Et les accros de se multiplier. Pour éviter d’y laisser sa chemise, les méthodes de sevrage ne manquent pas.

- HUBERT D’ERCEVILLE

Demain, j’arrête.” À 20 ans, Nathan présente tous les symptômes de la dépendance. Depuis l’âge de 16 ans, ce Parisien multiplie les mises sur les sites de paris sportifs. À l’époque, il s’était ouvert un compte sur trois d’entre eux. En fournissan­t une copie de la pièce d’identité de son père... À sa majorité, il s’est inscrit sur toutes les plateforme­s françaises proposant un bonus de 100 euros pour 100 euros misés. “Au début, je n’y allais qu’une fois par jour. Puis cela s’est accéléré. Maintenant, je veille parfois la nuit pour suivre les compétitio­ns américaine­s de hockey sur glace. C’est très addictif. Mais au bout du compte…” Il ne sait plus combien il perd. Mais il perd toujours. Pas étonnant.

L’Observatoi­re des jeux du ministère de l’Économie révèle que, sur le Web, le taux de retour au joueur (TRJ) est de 85 %. Le TRJ est la proportion des sommes collectées que les plateforme­s de jeu restituent à leur clientèle. Comprenez donc que Nathan en est systématiq­uement de sa poche. Il perd en moyenne 15 % de ses mises. Le jeune homme fait partie des quelque 340 000 internaute­s tombés dans la spirale infernale de l’addiction aux jeux d’argent enligne. “Un chiffre officiel mais assurément sous-évalué. Ce dont on est

sûr, c’est que la tendance est à la

hausse”, déplore Éric Bouhanna, fondateur d’Adictel, une associatio­n d’aide aux joueurs dépendants. Selon l’Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel), 2 millions de Français parieraien­t sur Internet, les enjeux ayant bondi de près de 50 % en un an. Rien qu’au premier trimestre de cette année, à eux tous, ils se sont délestés de 1,8 milliard d’euros ! Il faut dire que tous les sites de jeu sont accessible­s depuis le smartphone que nous avons tous en poche. Nathan le promet, lui va s’en sortir. Et c’est tout le mal que nous lui souhaitons. Reste à savoir laquelle des trois méthodes suivantes sera la mieux adaptée à son cas…

Réussir à s’autorégule­r

Pas donnée à tout le monde, celle-là a cependant fait ses preuves avec Corinne. Il y a quelques années, cette Aveyronnai­se de 48 ans a commencé à jouer pour tuer l’ennui. Alors sans emploi, cette fan de poker s’est risquée sur le site de Winamax, sur les conseils d’une amie. C’est à son conjoint qu’elle doit d’avoir pris conscience de son début de dépendance. En effet, elle jouait aussi le soir, au lit ! “Pas facile de se fixer des

limites, raconte-t-elle. Mais la pression de l’entourage aide beaucoup.” Sa méthode pour continuer sans se sentir frustrée ? Elle limite ses enjeux à 20 euros par mois désormais. Et surtout, elle fait durer sa cagnotte sur les tables à 50 centimes ou à un euro, jouant les présélecti­ons l’aprèsmidi pour que le site abonde son compte. Ainsi, elle peut entamer des parties plus sérieuseme­nt le soir.

Se résoudre à appeler au secours

Mais Corinne fait partie sans doute des exceptions. Souvent, le soutien des proches et la volonté ne suffisent pas. Mieux vaut alors s’orienter vers une associatio­n spécialisé­e. “Et, comme dans tous les cas d’intoxicati­on, le plus tôt est le mieux”, avance Amandine Luquiens, psychiatre et addictolog­ue à l’hôpital Paul-Brousse de Villejuif (Val-de-Marne). Leurs sites Adictel (Adictel.fr), Joueurs info service (Joueurs-info-service.

fr) et SOS joueurs (Sosjoueurs.org), que l’on peut joindre par téléphone mais aussi par messagerie et tchat, délivrent des conseils. Et cela, de jour comme de nuit ! Au bout du fil, des psys, des avocats ou des assistants sociaux, profession­nels spécialisé­s dans l’addiction, se relaient. D’abord pour écouter. Près de la moitié des appels qu’ils reçoivent concernent les jeux d’argent en ligne. Contre 5 %, il y a cinq ans. Autant dire qu’il ne faut pas se croire un cas isolé. “Sur Adictel, notre modèle de soin prend comme point de départ le rapport au jeu à travers un quiz”, dit Amandine Luquiens. Les questions sont simples. Passez-vous beaucoup de temps à jouer ? Ouvrez-vous simultaném­ent plusieurs sessions de jeu ? Misez-vous plus qu’un certain montant ? Savez-vous combien vous avez perdu dans le mois ? “Tous ces facteurs cumulés correspond­ent à un certain niveau de risque que nous

avons corrélé avec le fait d’être, ou non, un joueur problémati­que probable”, détaille la psychiatre. Puis son équipe met au point des techniques de thérapies en ligne pour les parieurs dont le risque est identifié. Objectif : intervenir avant qu’ils ne basculent totalement dans la dépendance. Pour ceux-là, après la phase de prise de conscience, et après avoir émis l’envie de s’en sortir, la deuxième étape consiste à poser des règles, comptabili­ser l’addiction. Cela veut dire choisir les sites et réduire leur utilisatio­n, limiter les mises quotidienn­es, puis mensuelles et, surtout, mesurer les pertes.

Solution ultime : se faire interdire de jeu

Pour les autres, les vrais accros, une consultati­on, voire un suivi médical s’impose. Et il faudra sans doute passer par une solution extrême. Se faire interdire de jeu. Pour les habitants d’Île-de-France, en prenant rendez-vous auprès du ministère de l’Intérieur. Pour les autres, par courrier. Comme précisé sur Servicepub­lic.fr (bit.do/dy4NM). Mais attention, cette mesure administra­tive ne s’applique pas seulement aux 14 sites de jeu autorisés en France. Elle s’étend aussi aux salles de casinos et aux cercles de jeu physiques. Et pour une durée non réductible de trois ans. Les joueurs pensant qu’ une plus courte période de sevrage leur suffira, choisiront donc plutôt l’auto-exclusion. Moins radicale, cette autre démarche consiste à demander aux plateforme­s la clôture de leurs comptes pour la durée de leur choix. L’Arjel oblige les sites français à indiquer explicitem­ent la procédure à suivre. Parieurs compulsifs, il vous reste cependant à jouer le jeu. Si vous voulez vraiment vous en sortir…

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Pas facile de reconnaîtr­e son addiction, encore moins de se fixer seul des limites ! Des associatio­ns aident jour et nuit les parieurs invétérés.
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