Prédire les catastrophes : mission impossible ?
Satellites et ordinateurs peinent encore à anticiper les colères de notre planète.
Dans la zone Atlantique, cet automne, les ouragans Harvey, Irma et Maria ont tué près de 250 personnes. Au Vietnam, en octobre, inondations et autres glissements de terrain ont fait une soixantaine de morts. Tandis qu’au Mexique, le bilan des trois séismes qui ont frappé le pays en septembre atteint 474 victimes. Et on ne vous parle pas des 14 millions de rescapés de cataclysmes, qui se retrouvent chaque année privés de toit, d’après les statistiques du Bureau des Nations unies pour la réduction des risques de catastrophes.
Face à de tels ravages, la science ne s’en sort pas indemne, elle non plus. L’homme a inventé la voiture sans pilote, le concombre transgénique et la pizza imprimée en 3D. Et nous ne serions pas capables d’anticiper les colères de la nature ? Face à ces déluges meurtriers, ces éruptions volcaniques, ces tremblements de terre et ces cyclones dévastateurs, nos logiciels se révèlent trop souvent impuissants. En tout cas lorsqu’il s’agit de réaliser des prédictions suffisamment tôt pour prévenir ou évacuer les populations. Ce défi lancé par la Nature est un des enjeux de ce siècle. À quoi bon nous bassiner sur les vertus supposées du big data et de l’intelligence artificielle, si c’est pour battre des champions de jeu de go ?
Les espoirs de parvenir, un jour, à percer les secrets de ces catastrophes ne sont pourtant pas perdus. Pour l’heure, c’est surtout l’observation satellitaire qui les nourrit. Le premier programme d’envergure remonte à 1998, avec le projet européen Global Monitoring for Environment and Security (GMES). Sonobjectif?Scruterleglobe sous toutes ses coutures au moyen de satellites et d’outils d’analyse des sols afin de constituer une gigantesque base de données et, ainsi, de mieux cerner les menaces qui planent sur nos têtes.
Vues coperniciennes. RebaptiséCopernicus en 2014, ce dispositif a décollé la même année avec le lancement des premiers satellites d’observation Sentinel. On en compte cinq aujourd’hui, qui surveillent les milieux marins, l’atmosphère, l’environnement terrestre et les évolutions du climat avec leur arsenal de capteurs high-tech. À elle seule, la transmission des données, réalisée en quasi-temps réel, relève de l’exploit technologique. Les images captées par Sentinel sont d’abord acheminées par un rayon laser vers d’autres satellites en basse orbite, qui les diffusent ensuite au sol via un faisceau hertzien à haut débit. Dispoavant nibles en quelques minutes, les photos sont alors téléchargeables librement. Mais Copernicus ne se contente pas de “shooter” à tout va. Connecté aux agences locales de protection civile, son service de gestion des urgences inclut, notamment, des prévisions à dix jours sur les risques de feux de forêts dans le monde entier. Il est aussi doté d’un système d’alarme aux inondations qui surveille chaque rivière d’Europe, afin de réagir le plus tôt possible aux crues dévastatrices.
À terre, les “yeux” de Copernicus pourraient être secondés par quelques dispositifs originaux bénéficiant de technologies de pointe. Testé en Italie, aux Pays-Bas et en Angleterre, le projet WeSenseIt, par exemple, implique le public en l’invitant à prendre des mesures, au moyen d’un simple smartphone. “Lorsque l’eau monte, les habitants n’ont qu’à prendre des photos taguées des cours d’eau
depuis les berges”, explique Fabio Ciravegna, coordinateur à l’université de Sheffield de ce projet financé par la Communauté européenne. Quant au projet UrbanFlood, il vise à semer des capteurs pour contrôler le niveau de l’eau et l’état des digues. Un logiciel évalue ainsi les risques de rupture puis, le cas échéant, lance un signal en déterminant la vitesse d’inondation dans les environs. Il suggère même différentes solutions pour évacuer les riverains.
Car les satellites ne peuvent pas tout, surtout lorsqu’il s’agit de caractériser la progression de phénomènes extrêmes, tels les ouragans. Si la plupart des dépressions sont annoncées même la formation de l’oeil du cyclone, ces prévisions restent très limitées dans le temps, à deux ou trois jours maximum. En outre, les trajectoires annoncées sont régulièrement contredites par les faits. Dans lecasdel’ouraganMaria,parexemple, la météorologie a, une nouvelle fois, montré ses limites, ne sachant pas anticiper la mue d’une banale tempête tropicale en féroce ouragan de catégorie 5, avec des rafales à plus de 250 kilomètres par heure.
L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE NE SERVIRAIT QU’À BATTRE DES CHAMPIONS DE JEU DE GO ?
Stupeur et tremblements. Prédire les séismes est un autre casse-tête, à ce jour irrésolu. Des progrès ont pourtant été réalisés depuis une vingtaine d’années, grâce à de nouveaux systèmes d’alerte. Déployés sous terre ou sous la mer, des capteurs repèrent les premiers frémissements, et détectent les ondes P, inoffensives, quelques secondes seulement avant les ondes S, bien plus violentes. Même si ces alertes précoces, comme les appellent les sismologues, ne sont pas la panacée, elles peuvent sauver des vies. Au Japon, en 2010, ce dispositif a ainsi interrompu un combat de sumo diffusé sur la chaîne NHK afin d’exhorter les téléspectateurs tokyoïtes à se mettre à l’abri une dizaine de secondes avant la secousse. Un tremblement de terre de magnitude 6,6 sur l’échelle de Richter, qui compte neuf degrés de puissance, venait d’être localisé au large des côtes nippones. Mais la nécessité d’installer des milliers de capteurs sur de vastes superficies rend le système coûteux et impossible à déployer dans toutes les régions habitées de la planète.
Pour combler cette lacune, Benjamin Brooks, chercheur à l’US Geological Survey, l’Institut d’études géologiques des États-Unis, suggère tout simplement de s’en remettre… à nos smartphones. Son idée ? Exploiter les accéléromètres, ces détecteurs de mouvement intégrés dans nos téléphones portables en complément des puces GPS, pour lancer un signal
d’alerte à des centaines de kilomètres à la ronde. Certes moins précis que des capteurs scientifiques, les composants de nos mobiles sont, selon ce scientifique, suffisamment fiables pour détecter de puissants séismes, de magnitude 6 au minimum. Selon ses simulations, ce signal aurait permis d’avertir les habitants de Tokyo dix secondes avant la secousse propagée depuis Tōhoku, lors du séisme meurtrier de mars 2011 responsable de l’accident nucléaire de Fukushima. Ce temps d’anticipation pourrait être mis à profit pour abriter des enfants.
Une prévention plus efficace nécessiterait d’ avertir les population s plusieurs jours à l’ avance. Tous les si smologuesn’ ont pas abandonné cette idée. “Mais ce n’est pas pour demain”, prévient, lucide, Pascal Bernard, sismologue à l’Institut de physique du globe de Paris et auteur d’un remarquable ouvrage de vulgarisation
(Pourquoi la terre tremble, aux éditions Belin). À plusieurs reprises pourtant, des chercheurs avaient cru décrocher ce Graal, tantôt en décelant des courants électriques souterrains, tantôt en détectant des émanations de radon, un gaz radioactif, d’autres fois encore en captant des rayonnements électromagnétiques depuis l’espace. Certains ont même cru déceler des signes annonciateurs de fureur tellurique dans le comportementdes animaux. Cinq jours avant le séisme qui a frappé L’Aquila en Italie, le 6 avril 2009, les crapauds des environs avaient déserté la zone alors qu’ils étaient en pleine période de reproduction. D’où l’hypothèse que les batraciens auraient été perturbés par les changements de composition des eaux, dus à des émanations de gaz avant le séisme, ou par la propagation d’ondes indétectables par des humains. Maisfauted’étude sérieuse sur le sujet, leur thèse n’a pu être prouvée et cette piste, comme les précédentes, a donc été abandonnée.
Pour certains sismologues, ces tentatives de prédictions seraient vaines. D’après ces sceptiques, la rupture d’une faille serait tout simplement le fruit du hasard et, donc, imprévisible. Cette théorie vient pourtant d’être tout récemment contredite : cet été, à Los Alamos, aux États-Unis, une intelligence artificielle (IA) a établi une corrélation inédite entre des ondes sonores et l’état de tension d’une faille sismique.Jusqu’ ici, ces signaux étaient considérés comme des bruits de fond, négligés par les scientifiques. Grâce à leur détection et leur analyse, l’IA a pu prédire, avec un taux de réussite de 90 %, le moment précis de rupture de la faille et donc du séisme, simulé en laboratoire sur un dispositif proche des conditions réelles.
Au-dessous du volcan. La détection de ces perturbations constitue également un enjeu pour les volcanologues. L’une de leurs techniques consiste à sonder les sols aux alentours d’un volcan pour y déceler des trémors, ces micro-tremblements annonciateurs d’une éruption prochaine. Ils installent donc sur le terrain tout un arsenal d’instruments de mesure, des traditionnels sismographes aux géodimètres ou aux inclinomètres, qui servent à repérer les déformations suspectes du cratère. Mais lorsque les secousses sont perçues, il est souvent trop tard pour évacuer les populations des environs.
Un logiciel, récemment mis au point par des chercheurs des Universités de Bruxelles et de Cambridge, pourrait changer la donne, en sondant la “respiration” du volcan. Son principe consiste à mesurer la vitesse des ondes sismiques qui se propagent sous le cratère. “Nos travaux montrent que
celle-ci varie sensiblement lorsque les roches de la chambre magmatique commencent à se dilater, ce qui indique
qu’une éruption se prépare”, révèle Corentin Caudron, chercheur au sein de l’Université libre de Bruxelles, qui a participé à ces travaux. Une petite révolution car, jusqu’ici, la mesure de la vitesse sismique obligeait les volcanologues à déclencher des ondes artificielles avec des explosifs. Cette technique n’autorisait donc que des mesures ponctuelles. Au contraire, le logiciel MS Noise (Monitoring with Seismic Noise) offre l’avantage de surveiller les entrailles d’un volcan 24 h/24, en s’appuyant
sur un réseau de capteurs ultrasensibles placés sur les flancs du cratère, près du sommet.
Maisàterme,peut-êtreavons-nous encore plus à craindre du cosmos que du bouillonnement volcanique. La Nasa et l’Agence spatiale n’excluent pas l’hypothèse que le ciel nous tombe sur la tête. “Il ne s’agit pas de savoir si un astéroïde percutera un jour la Terre, mais seulement
quand”, a récemment expliqué Jan Woerner, le patron de l’Agence spatiale européenne (ESA) devant les ministres des États membres de la commission. Rassurez-vous, sur ce coup-là, L’ESA et la Nasa ont tout prévu. Une fois l’astéroïde repéré par leurs télescopes, une navette serait propulsée dans l’espace. Son objectif : frapper sa cible et la dévier de sa trajectoire. Un premier test antiArmaggedon pourrait être mené sur Didymoon, un corps céleste découvert voici une vingtaine d’années. Verdict en 2022. n STEPHANE BARGE
DANS LE CAS DE L’OURAGAN MARIA, LES MÉTÉOROLOGUES N’ONT PAS VU ARRIVER LE PIRE NOS PROPRES SMARTPHONES POURRAIENT NOUS AVERTIR EN CAS DE SÉISME IMMINENT