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On ne demande qu’à en rire

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Emmanuel Macron n’a jamais caché son admiration pour l’ancien locataire de la Maison-Blanche. À l’Élysée, notre président travaille dos à la fenêtre, comme Barack Obama dans le bureau ovale. Comme lui, il chante, non pas la Bannière étoilée mais la Marseillai­se,

la main sur le coeur et les yeux fermés ; il multiplie les échanges à bâtons rompus avec les étudiants, les infirmière­s, les enfants du numérique et certains journalist­es… Début avril, à la suite d’un discours en faveur de la recherche sur l’intelligen­ce artificiel­le, le voilà qui détaille sa “pensée complexe” au magazine technolâtr­e Wired(1).

Comme Barack en 2016. En tentant de ne pas dénaturer son ubéreux raisonneme­nt, résumons. Si l’intelligen­ce artificiel­le nourrit d’alléchants espoirs – dans la médecine et les transports –, elle bouleverse “tous les modèles économique­s existants, […] c’est la prochaine grande mutation qui nous attend”. Pour ne pas la subir, révélons des champions nationaux grâce à des financemen­ts et une réglementa­tion ad hoc. Sans oublier de livrer les données des Français aux algorithme­s d’entreprise­s, privées comme publiques, à même d’accoucher de nouveaux services pertinents. “En même temps,

nuance le chef de l’État, à divulguer des informatio­ns personnell­es, on ouvre une boîte de Pandore ”, avec le “risque d’avoir certaines utilisatio­ns qui n’iront pas dans le sens du bien commun”. Que vont faire les assureurs avec ce nouvel or noir ? Sans compter les géants du numérique.

Mr Zuck, faux contrit

Mais, selon notre président, leurs dernières heures d’impunité approchent. Après des années sans réglementa­tion, ils doivent réaliser “qu’il n’est pas tenable de vivre dans un monde (d’) où la responsabi­lité est absente et où nul ne rend des comptes de façon démocratiq­ue”. Dont acte, même si on reste sceptique quant aux leçons que tire le patron de Facebook de l’affaire Cambridge Analytica (lire p. 98). Celle du siphonnage de 87 millions de comptes d’utilisateu­rs à leur insu. Auditionné par le Congrès des États-Unis en avril, M. Zuck botte en touche. Quand le sénateur démocrate Dick Durbin lui demande si ça le dérangerai­t que l’on sache dans quel hôtel il a dormi la veille, il répond par l’affirmativ­e. C’est pourtant ce type de scoop qu’il vend à ses clients. Il s’excuse et plaide la négligence. Comme en 2010, sous Obama, pour des faits analogues. Il est vrai que le modèle de gratuité, répandu sur Internet, repose sur la collecte de données. Elle sert à l’affinage publicitai­re. Où que vous surfiez, vous êtes traqué. La culture de la data rapporte plus que celle de l’ananas (lire p. 9). Aux algorithme­s de mouliner tout ça pour anticiper nos comporteme­nts et peser sur nos décisions. C’est ainsi que certains présidents emportent les élections d’une courte tête… Seront-ils alors prompts à déconstrui­re leurs outils d’influence ? Dubitatifs, on préférera mettre à l’épreuve le discerneme­nt de l’artificiel­le intelligen­ce.

L’espiègleri­e comme subterfuge

Au cours d’une prochaine navigation sur le Web, un formulaire exigera à coup sûr de lui fournir quelques menus renseignem­ents pour mieux vous connaître. Rien n’interdit l’espiègleri­e. Remplissez comme suit. Prénom : Vincent. Patronyme : Tim. Âge : 18 ans + vingt-cinq ans d’expérience. Adresse : County Rd 34, Gerlach, NV 89412, ÉtatsUnis(2). Passion : les ablutions en eaux chaudes, nu comme un ver au soleil. Et rebelote à chaque questionna­ire avec une nouvelle identité (Melrick Araufray), d’autres hobbys (la xyloglossi­e), histoire d’éprouver la perspicaci­té algorithmi­que. À ce petit jeu, s’il devenait la norme, les vendeurs de profils engrangés sur le Net n’auront bientôt plus que du frelaté à refourguer. Romain Gary définissai­t l’humour(3) comme “l’arme blanche des hommes

désarmés. […] Une forme de révolution pacifique […] que l’on fait en désamorçan­t les réalités pénibles qui vous arrivent dessus.” Et il en faut, de la légèreté, car le printemps annonce invariable­ment de grands ménages (lire p. 32). À commencer par celui de nos compagnons intelligen­ts, gavés de maliciels et autres cochonneri­es ramassés stupidemen­t sur ces sites aussi passionnan­ts qu’empoisonna­nts. Le prix de la gratuité.

(1) Retranscri­ption complète, traduite en français, à lire sur bit.do/MACRON

(2) Au coeur du désert de Black Rock, dans le Nevada, où le Fly Geyser crache une eau chaude à deux mètres de hauteur ( bit.do/FLYGEYSER). (3) In Le sens de ma vie (Gallimard, 2014).

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