Tests ADN, le dangereux miroir aux alouettes
Enquête sur ces sociétés de biotechnologies qui, à partir d’un échantillon d’ADN, prétendent déterminer vos origines, vous retrouver des parents lointains, voire prédire votre avenir.
Maître Kaba, Professeur Dougou et autres marabouts auraient-ils du mouron à se faire ? Parce qu’une poignée de sociétés de biotechnologies pourraient bien finir par tuer leur petit business. En abusant tout autant de la crédulité des gens. Mais eux, sous caution soi-disant scientifique. Ayant maintenant pignon sur Web, ces pseudo-laboratoires privés, installés hors de nos frontières, proposent en effet des prestations souvent comparables. Vous aimeriez retrouver des parents éloignés, anticiper votre risque de tomber gravement malade, connaître votre espérance de vie, vérifier la fidélité de votre conjoint, voire dénicher votre âme soeur ? Tout cela semble à leur portée. Votre ADN serait pour eux comme une boule de cristal dans laquelle il suffirait de regarder pour tout savoir sur vous.
Et le succès est au rendez-vous. Des millions de personnes ont déjà confié leur patrimoine génétique à ces voyants du XXIe siècle. Essentiellement outre-Atlantique. Làbas, lors du Black Friday 2017, ce vendredi qui donne le coup d’envoi des achats de Noël, le kit d’analyses génétiques de l’entreprise 23andMe s’est hissé dans le top 5 des articles les plus vendus sur Amazon. Mais les Français, eux aussi, s’y mettent. Preuve de leur engouement naissant, le portail d’information Expert ADN.fr, créé en 2013, enregistre aujourd’hui plus de 25 000 visiteurs par mois. Et son audience ne cesse de croître. “À tel point que nous avons dû en retirer le numéro de téléphone, faute de pouvoir répondre à tous les appels que nous recevions”, confie Aurélie Gebhart, sa fondatrice.
Une démarche illégale en France
Il faut dire qu’ExpertADN.fr, en partie financé par les publicités de ces drôles de labos, ne mentionne pas clairement l’illégalité de cette transaction. L’article 226-28-1 du Code pénal stipule pourtant que “le fait, pour une personne, de solliciter l’examen de ses caractéristiques génétiques ou de celles d’un tiers, ou l’identification d’une personne par ses empreintes génétiques en dehors des conditions prévues par la loi est puni de 3 750 euros d’amende”. Ces conditions “sont précisément définies par le Code civil et celui de la santé publique, souligne Hélène GuimiotBréaud, chef du service de la santé à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil). Un test ADN ne peut être ordonné que par un juge dans le cadre d’une recherche de paternité ou d’une enquête criminelle, ou bien prescrit par un médecin à des fins thérapeutiques.” Pourtant, si l’on en croit des chiffres largement relayés par les médias, chaque année, quelque 20 000 Français enverraient des échantillons de cellules humaines à l’étranger afin de les soumettre à un test de paternité. En toute impunité – “Je n’ai effectivement pas connaissance de cas d’individus ayant été sanctionnés pour l’avoir fait”, reconnaît Hélène Guimiot-Bréaud – et, sans doute, par ignorance…
L’illusion d’un produit comme les autres
Nous-mêmes sommes aussi tombés dans le panneau au début de notre enquête, en commandant le kit ADN du site de généalogie MyHeritage. D’autant qu’en période de Mondial, celui-ci s’est offert, pour en assurer la promotion, sept légendes internationales du football, dont Robert Pirès, milieu de terrain de l’équipe de France de 1998. Moyennant 79 euros, nous avons reçu au bout de quelques jours tout le matériel nécessaire pour recueillir des tissus organiques : deux Cotons-Tiges sous emballage stérile, deux fioles contenant un liquide de conservation, un sachet en plastique à fermeture à glissière, une enveloppe d’expédition et un mode d’emploi. De prime abord, l’expérience s’annonçait excitante.
Comme dans une série policière, l’un de nos journalistes s’est donc prêté au jeu du frottis buccal. Avant d’enfermer ses prélèvements dans leurs flacons, ces derniers dans leur sachet, le tout dans l’enveloppe postée ensuite à destination de Houston (Texas) pour analyse. La suite des événements se surveille sur le Web ou sur une application à l’ergonomie exemplaire (en français !). Réception de l’échantillon par le labo, extraction d’ADN en cours, processus de microréseau d’ADN, données brutes produites et, enfin, publication des résultats... toutes les étapes sont détaillées et commentées. Au final, MyHeritage promet de vous dévoiler vos origines ethniques et de vous retrouver des parents en comparant votre ADN à celui de 5 millions d’autres individus. Les conclusions sont précises, les origines présentées sous forme de pourcentages. Notre volontaire s’est ainsi découvert à 49 % irlandais, écossais et gallois, à 25,4 % anglais, à 9,7 % scandinave, à 9,8 % balte, à 0,8 % d’Europe de l’Est et à 5,3 % ibère. Le total fait bien 100 % et semble plausible, sa famille étant bretonne. Quant à ses cousins lointains, on lui en a déniché 700 ! Le plus proche partageant 2,4 % d’ADN avec lui. Mais quel crédit accorder à des statistiques invérifiables ?
Entre résultats certains, approximatifs et… “bullshit”
Pourenavoirlecoeurnet,nousavons téléchargé, depuis le site MyHeritage, les données brutes de notre test ADN, organisées dans un fichier Excel d’environ 720 000 lignes. Sur chacune d’elles, des séries de chiffres et de lettres qui correspondent à des fragments d’informations contenusdansleschromosomes.“Àmettre
en regard des 3 milliards de données qui composent le génome humain”,
réagit Bertrand Jordan, biologiste moléculaire et généticien. “C’est un génotype standard, du type que l’on pratiquait couramment en recherche génétique il y a cinq voire dix ans,
confirme Thierry Grange, directeur de recherche au CNRS, coresponsable de l’équipe Epigénome et paléogénome à l’Institut Jacques Monod. Il ne coûte pas cher à produire et les résultats obtenus ne sont pas très précis.”
Néanmoins, Bertrand Jordan reconnaît qu’à partir de ce simple échantillon, il est possible pour un laboratoire de se faire une idée des origines de son propriétaire. “Si l’étude est réalisée correctement, avec des populations de référence bien définies”, explique-t-il.
“C’est un domaine très documenté,
précise Marcel Méchali, biologiste moléculaire, directeur de recherche au CNRS et membre de l’Académie des sciences. On peut donc aller
assez loin dans la recherche de vos ancêtres.” À cette nuance près que “la marge d’erreur n’est pas négligeable, tempère Bertrand Jordan.
Par exemple, lorsqu’on vous annonce 9,7 % d’origines scandinaves, vous vous situez plutôt quelque part entre 5 % et 15 %.” En revanche, le généticien considère que les correspondancesADNavecd’autrespersonnes pour rechercher de très lointains cousins ne sont “pas forcément inexactes”. Thierry Grange avoue même qu’elles s’avèrent “très probablement correctes”. Que de précautions oratoires ! Plus sévère, Pierre Tambourin, conseiller du directeur général du Genopole à Évry et expert en génomique appliquée à la médecine, juge, lui, que
“tout cela ne repose que sur des extrapolations et des surinterprétations”.
Beaucoup de scepticisme aussi autour des tests concernant les prédispositions aux maladies, vendus, entre autres, par la société EasyDNA. “Mis à part dans le cas d’affections génétiques rares et certaines formes particulières de cancer, c’est la conjonction de nombreux gènes et de facteurs environnementaux qui sont à l’origine d’une maladie, justifie Pierre Tambourin. Or il est très difficile d’attribuer une valeur statistique précise à chacun d’entre eux. Les résultats fournis pas ces labos ne veulent donc pas dire grandchose, sont incompréhensibles pour le grand public et peuvent générer un stress inutile.” Au final, seuls les tests de paternité commercialisés par la plupart de ces laboratoires s’avéreraient fiables. “S’ils disposent des bons échantillons d’ADN, ils peuvent effectivement répondre avec certitude que telle personne est le père de tel enfant, sauf cas particulier d’un individu ayant un frère jumeau”, admet le scientifique. Mais si vous espérez qu’un bout de votre génome vous révèle – comme le prétend EasyDNA – vos préférences sociales, votre endurance, votre biorythme, votre capacité à prendre des risques, ou encore votre espérance de vie... consultez plutôt une voyante, vous ferez des économies ! “Toutes ces interprétations sont farfelues, s’insurge notre expert. C’est du bullshit !”
Ces données personnelles qui vous échappent
Sauf que, pour les labos, ce “bullshit” vaut de l’or ! Avec leurs promesses plus ou moins fallacieuses, ils arrivent à convaincre nombre d’internautes d’acheter leurs tests, et se constituent ainsi d’immenses bases de données. Celle de MyHeritage contiendrait déjà 5 millions de profils génétiques, celle d’AncestryDNA plus de 4 millions, celle de 23andMe quelque 2 millions… “La technologie évolue très vite, rappelle Pierre Tambourin. Ce qui veut dire que, d’ici peu, ils pourront vraiment s’en servir pour prédire des choses.” Or, en leur confiant votre ADN, vous leur accordez
“une licence d’utilisation mondiale exempte de redevances pour utiliser vos échantillons, résultats et rapports d’ADN”.
Cela figure en toutes lettres dans la politique de confidentialité de MyHeritage. Un long document contractuel certainement peu lu. “Je ne l’ai effectivement pas consulté”,
reconnaît ainsi Christelle, 51 ans, vivant à Atlanta (Géorgie) et, a priori,
LES BASES DE DONNÉES DE CES ENTREPRISES SONT RICHES DE PLUSIEURS MILLIONS DE PROFILS
“cousine issue de germain éloignée au premier degré” de notre journaliste. “Ça ne m’inquiète pas du tout qu’un laboratoire privé détienne mon ADN”, justifie pour sa part Sian, 63 ans, autre “cousine lointaine” résidant dans la ville anglaise de Loughborough. “Alors que cette entreprise semble s’octroyer le droit d’en faire ce qu’elle veut sans rien devoir à personne, décrypte Hélène Guimiot-Bréaud. Utiliser le terme de licence pour des données personnelles, comme on le ferait pour un logiciel, s’avère problématique. Le patrimoine génétique n’est pas assimilable à un bien, on ne peut donc pas en transférer la propriété.” Mais MyHeritagen’enacure.Pourpreuve, le laboratoire prévoit, entre autres en cas de faillite, de pouvoir céder à qui il veut tout ou partie de ses informations. Tout juste fait-il très brièvement référence au Règlement général sur la protection des données (RGPD), entré en vigueur le 25 mai dernier, s’engageant donc implicitement à prévenir ses clients européens et à les laisser s’y opposer. De son côté, 23andMe – cofondé par Anne Wojcicki, ex-épouse de Sergey Brin, lui-même cofondateur de Google ! – a déjà commencé à vendre les siennes. “À des entreprises pharmaceutiques, révèle Bertrand Jordan. Pour développer des médicaments à partir de l’ADN de personnes marquées génétiquement par une affection donnée. C’est un gros business.” Et puisque tout semble permis, comment ne pas s’imaginer que, demain, ces mêmes infos seront monnayées auprès de compagnies d’assurances ? “Qui, dans des pays où le système de santé est privé, pourraient s’en servir pour sélectionner leurs clients selon leurs risques de tomber malade, convient le scientifique. Et ce, seulement à partir d’une analyse grossière de leurs gènes.” Sachant que ces données à caractère personnel ne sont pas si... personnelles. “Vous partagez une partie de votre ADN avec les membres de votre famille, rappelle Hélène Guimiot-Bréaud. Ce qui soulève un grand nombre de questions en matière d’information et de recueil du consentement des personnes concernées.” Ce dont, manifestement, ne se soucient ni 23andMe ni ses concurrents.
Des sociétés aux pratiques plus que douteuses
Maisfaut-ils’enétonner?Encompétition les uns avec les autres, ces laboratoires ne s’encombrent pas de scrupules qui ralentiraient leur croissance. Pire encore, certains n’hésiteraient pas à recourir à des méthodes dignes de la mafia afin d’intimider qui oserait nuire à leur business. À en croire Aurélie Gebhart, ExpertADN.fr en aurait fait les frais. “Nous avons subi des attaques informatiques juste après en avoir mal noté quelques-uns, témoignet-elle. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous avons dû nous résoudre à fermer notre forum.” Et que penser du récent piratage de MyHeritage ? Le 26 octobre dernier, l’entreprise s’est vue dérober les adresses mails et les mots de passe de tous ses utilisateurs, et ne s’en est aperçue que sept mois plus tard… De quoi inquiéter certains d’entre eux. Comme Kay, 67 ans, de Saint Paul (Minnesota), qui reconnaît avoir réalisé que son ADN “pourrait être exploité par des organisations peu scrupuleuses pour se faire de l’argent”. Il aurait fallu y penser avant. “Le milieu des entreprises de biotechnologies est très particulier”, résume Aurélie Gebhart. Raison de plus pour ne pas s’y frotter. ■