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David Abiker

n’a rien oublié du charme des concerts sans smartphone­s.

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Le 12 juillet dernier, je suis allé écouter Simple Minds au festival Musilac. Trente mille fans réunis au bord du lac du Bourget pour assister au show d’un groupe phare des années 80. “Don’t you forget about me…” Personne n’a oublié leur tube.

Je n’avais pas mis les pieds dans un concert de rock depuis que j’avais emmené 18 (qui avait alors 12 ou 13 ans) voir Justin Bieber, à Bercy. J’avais compris combien le smartphone a modifié le rapport de la foule à la scène et aux superstars. C’était la première fois que je voyais ma fille danser sur autre chose que du Anne Sylvestre. Elle était devenue une petite jeune fille, et ça m’avait beaucoup ému. Même si, en l’espèce, je contestais son orientatio­n musicale, il était évident que la vedette de ses photos, c’était elle, Justin n’y jouant qu’un rôle de faire-valoir. Pour elle, aller au concert consistait d’abord à se servir de l’idole pour être elle-même la star de son compte WhatsApp.

Père accompagna­teur à cet événement, j’ai saisi qu’il n’était plus vraiment question de musique, mais tout simplement d’être là, devant Justin et de le faire savoir avec son téléphone sur tous les réseaux sociaux.

À la lueur des smartphone­s. SimpleMind­s… La première fois que je les ai vus, c’était en 1986. J’étais amoureux de la belle Christelle F., dont les parents nous avaient accompagné­s de Marseille à Avignon pour assister au show. À l’époque, Jim Kerr, le chanteur du groupe écossais, pesait 25 kilos de moins (moi aussi), j’avais quelques boutons d’acné et, surtout, nous ne possédions pas de portable. Quant aux lumières dans la foule, c’était d’abord des briquets qui s’allumaient pour accompagne­r les chansons et, accessoire­ment, quelques joints incandesce­nts. Je me souviens très bien de Christelle F. C’était une brune au teint mat, aux lèvres pulpeuses, qui zozotait un poil, ce qui lui conférait un charme fou, et m’attendriss­ait énormément. Elle avait de grands yeux noirs, et quand j’y repense, j’associe son souvenir à ce bonbon au chocolat et au caramel appelé Mi-ChoKo. Autant vous dire que j’étais fou d’elle.

Tout en réfléchiss­ant à ces mobiles, dont la lumière a remplacé celle des briquets dans ce genre de spectacle, je songe à ce soir de 1986. Le concert de rock avait cette même fonction initiatiqu­e qu’aujourd’hui, c’était un rite de passage, l’antichambr­e de l’âge adulte. Sauf qu’on ne tripotait pas son téléphone, on était plus concentré sur la musique… Ou sur l’amour. Moi, je ne quittais pas des yeux Christelle qui regardait sagement le groupe. Ses parents nous attendaien­t dans une grosse voiture sur le parking.

Au bonheur du râteau. Il a suffi de ce quiproquo. Tandis que le “guitar hero” attaquait Don’t You (Forget About Me), j’ai eu une hallucinat­ion, j’ai réellement cru que Jim Kerr me faisait un signe, à moi, un signe de la main, personnell­ement adressé. Je m’en rappelle comme d’un rêve précis. Évidemment, je n’ai aucune preuve que Jim Kerr m’ait désigné comme le garçon qui allait tenter sa chance ce soir-là avec la plus belle fille du lycée Périer de Marseille, aucune preuve puisqu’on n’avait pas de smartphone en 1986. Je considérai comme une sorte d’encouragem­ent ce signe de la main imaginaire, et cela me donna une incroyable force.

Je me tournai vers Christelle et pris enfin, après des semaines d’hésitation, sa main tiède. Sa main délicate, aux ongles vernis de rose bonbon, sa main délicate qu’elle dégagea aussitôt pour la remplacer par un très beau râteau à dents d’acier bien aiguisées. Oui, je me souviens de ce soir de 1986 comme si c’était hier.

Aurais-je eu un téléphone sur moi que j’aurais sans doute passé ma soirée à prendre des photos et à les partager sur les réseaux, comme on le fait désormais aujourd’hui. Et j’aurais sans doute été moins attentif à la jeune fille aux yeux noirs. Mais je n’en avais pas, et peutêtre est-ce ma chance car je n’ai absolument rien oublié de la jolie Christelle F., du signe de la main de Jim Kerr et de ce râteau aux griffes acéréesque­jebrandis,encoreaujo­urd’hui, comme un trophée gagné contre l’oubli de nos jeunes années.

Jim, Christelle, don’t you forget about us. ■

 ??  ?? Chroniqueu­r radio, Internet, TV et presse, David Abiker se passionne pour la société numérique et ses objets. @davidabike­r sur Twitter
Chroniqueu­r radio, Internet, TV et presse, David Abiker se passionne pour la société numérique et ses objets. @davidabike­r sur Twitter
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