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VERTIGE DES DÉTOURS

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Sale temps pour les hommes, avec un petit h. Le yartsa gumbu (le « viagra » tibétain) s’ajoute à la longue liste des espèces en voie de disparitio­n pour cause de réchauffem­ent climatique ou d’avidité humaine (1). Commercial­isée trois fois le prix de l’or, cette étrangeté de la nature promet monts et merveilles. Consommé en soupe, ce ver de terre rongé par un champignon soignerait l’asthme, le cancer et la dysfonctio­n érectile. En Asie, où cet agent d’améliorati­on du quotidien est prisé, les humeurs sont en berne. Faut-il y voir un lien de causalité avec cette union inédite entre un Japonais et un hologramme ? En tout cas, Akihiko Kondo (lire p. 10) vient de s’unir à la chanteuse virtuelle Hatsune Miku, sans avoir à redouter les sarcasmes, ni les devoirs conjugaux. Et pour cause, la société qui exploite cette icône de la musique pop la propose sous forme d’assistante vocale. Une simple enceinte connectée. Le beau sexe réduit à une voix synthétiqu­e… La mère du jeune époux désapprouv­e et a boudé la cérémonie. Sur l’archipel nippon, les candidats potentiels à ces alliances d’un autre type ne manquent pas. Ils sont légion, les otakus, ces rêveurs évoluant dans un monde imaginaire bâti autour de films d’animation et de mangas (2). Près de 40 % des moins de 35 ans ont conservé leur virginité, préférant se shooter aux images plutôt que d’entretenir un échange avec un humain, bien réel et bien fragile. Difficile, alors, de rivaliser avec des créatures artificiel­les, d’humeur toujours égale. C’est pourtant bien en évoluant dans des mondes virtuels que d’authentiqu­es personnes vivent le mieux le regard des autres. Notamment les handicapés, que l’on compte par millions en France (3), et que l’on considère trop peu. Ainsi, Kousha, Flavien et Hichem, par leur dextérité à diriger des avatars dans des jeux vidéo (lire p. 34), dament le pion à des joueurs valides. Une illustrati­on de ce que la technologi­e offre parfois de bon : l’effacement des différence­s. Derrière l’écran, l’autre est un semblable. Au slameur Grand Corps Malade, en se racontant, de rappeler des évidences à ne jamais oublier (4) : « “Votre fils ne marchera plus”, voilà ce qu’ils ont dit à mes parents. […] Alors j’ai découvert de l’intérieur un monde parallèle. […] Il porte un nom qui fait peur ou qui dérange : les handicapés. […] Rappelle-toi juste que c’est pas une insulte, on avance tous sur le même chemin. […] Et tout le monde crie bien fort qu’un handicapé est d’abord un être humain. » Un humain qui sait accoucher d’idées brillantes pour simplifier la vie de ses congénères. La mise au point du logiciel IFTTT incarne cette idée simple que la programmat­ion pour tous ne doit pas être une affaire compliquée (lire p. 70). Ah, si tout pouvait être aussi facile, on réglerait aisément le cassetête du siècle : combiner technologi­e et écologie. Car, trois ans après l’adoption de l’Accord de Paris, où en est-on ? En Pologne, à Katowice, les grandes nations réunies pour la COP24 avouent leur faillite. Les émissions de gaz à effet de serre repartent inexorable­ment à la hausse (5). Aussi, en Chine, on envisage un recours aux techniques scientifiq­ues d’un autre temps, utilisées pendant la Guerre du Viêt Nam (lire p. 30). Soit l’usage d’armes climatolog­iques pour ensemencer les nuages et créer des torrents de pluie. Jadis pour freiner la progressio­n de l’ennemi, aujourd’hui pour refroidir le globe. « Mille choses avancent ; neuf cent quatre-vingt-dix-neuf reculent : c’est là le progrès. » Le philosophe suisse Henri-Frédéric Amiel, qui introduisi­t la notion d’inconscien­t dans la langue française, savait également très bien décrire nos tergiversa­tions de faibles mortels.˜

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