Comment régler le thermostat planétaire
Si nous ne parvenons pas à réduire les émissions de gaz à effet de serre pour limiter le réchauffement climatique, peut-être devrons-nous adopter d’autres méthodes. Moins contraignantes, mais plus risquées.
Ces projets fous pour refroidir la planète.
Nom de code : fleuve céleste. C’est ce nom plein de poésie que les ingénieurs de la Société des sciences et technologies aérospatiales de Chine ont choisi pour leur projet, digne d’un film de science-fiction. Son but ? Déclencher artificiellement des pluies sur le plateau tibétain, l’un des lieux les plus secs du globe. On ne vous parle pas d’un petit crachin, mais de trombes d’eau : dix milliards de mètres cubes par an, soit près de 10 % des besoins du pays. Pour y parvenir, les scientifiques envisagent d’« ensemencer » les nuages avec des particules d’iodure d’argent, dont la structure est proche de celle de la glace. Ce composé organique sera produit par combustion, au moyen de milliers de brûleurs déployés sur les cimes tibétaines. De quoi faire pleuvoir sur une région grande comme trois fois l’Espagne. Le procédé n’est pas totalement inédit. À la fin des années 60, pendant la guerre du Viêt Nam, les Américains avaient eu
recours à une méthode semblable pour intensifier la mousson sur le front. L’idée de ce plan top secret, baptisé Opération Popeye, était de rendre les routes impraticables pour ralentir la progression des troupes ennemies. Pour autant, c’est la première fois que des scientifiques ambitionnent de l’exploiter sur un territoire aussi vaste. Du coup, on s’inquiète. L’iodure d’argent, considéré comme un polluant aux États-Unis, n’est-t-il pas une menace pour l’environnement au Tibet ? Cet agent non biodégradable ne présente donc aucun risque pour la santé ? Les ingénieurs chinois ne sont-ils pas en train de jouer aux « apprentis sorciers » ? MANIPULER LE CLIMAT. Un tantinet péjoratif, ce qualificatif est souvent employé pour désigner les apôtres de la géo-ingénierie, discipline qui prétend manipuler le climat. Il a fallu attendre 2013 pour que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) évoque officiellement cette « science » dans un de ses rapports. Depuis, le sujet n’est plus tabou. Mais les controverses qu’il suscite n’en finissent pas d’enflammer les débats. Ses détracteurs estiment cette nouvelle matière comme une dangereuse échappatoire, qui dispenserait nos hommes politiques de s’attaquer aux origines du réchauffement. À quoi bon s’entêter à diminuer nos émissions de gaz à effet de serre s’il suffit d’appuyer sur un bouton pour corriger le tir ? Face à eux, les supporters de la géo-ingénierie rappellent l’urgence de la situation. Les températures moyennes
ont déjà augmenté de 1 °C depuis la révolution industrielle. L’accord de la COP 21, ratifié à Paris en 2015, prévoit de limiter l’élévation de température à 2 °C. Au rythme du réchauffement actuel, le seuil de 1,5 °C sera franchi entre 2030 et 2052. Si rien n’est fait, la surchauffe pourrait excéder les 5 °C d’ici à la fin du siècle.
DES OBJECTIFS INATTEIGNABLES ? Pour éviter le pire, les émissions de gaz à effet de serre devraient baisser bien avant 2030. C’est mal parti. Après deux ans de stagnation, elles sont de nouveau à la hausse en 2017, atteignant 36,8 milliards de tonnes. Et sont susceptibles de battre encore un record en 2018. Alerte rouge ! « Au-delà de 3 200 milliards de tonnes dans l’atmosphère, les objectifs de la COP 21 ne pourront pas être atteints », énoncent en substance les experts du Global Carbon Project. Las, au rythme actuel, ce seuil sera dépassé en 2044. Dès lors, réduire nos émissions ne suffira plus. Il faudra aussi trouver comment aspirer le trop-plein de CO2 dans l’atmosphère. Le dilemme qui se profile à vitesse grand V menace d’être dramatique : choisir entre un réchauffement désastreux ou une géo-ingénierie aux retombées imprévisibles et incontrôlables. Plutôt que de pousser des cris d’orfraie contre la géo-ingénierie, ne faut-il pas, au contraire, booster la recherche dans ce domaine ? « Si l’hypothèse pessimiste d’un réchauffement à 3 °C ou 4 °C se précisait, certaines techniques qui paraissent aujourd’hui inacceptables pourraient devenir la solution de la dernière chance », plaide Olivier Boucher, directeur de recherche à l’Institut Pierre-Simon Laplace, l’un des rares scientifiques français qui s’intéresse aux impacts de la géo-ingénierie. Déjà, sur les 116 simulations recommandées par le GIEC pour restreindre le réchauffement à 2 °C, 101 présupposent le recours à la géo-ingénierie. Sur le papier, certaines ne semblent pas si compliquées ni risquées que cela. Mais en pratique, elles relèvent du casse-tête. Prenons l’alternative a priori la plus simple. Il s’agirait de planter massivement des arbres, réputés pour leur capacité à piéger le carbone. Cinq cents millions d’hectares de forêts supplémentaires seraient susceptibles de capturer jusqu’à sept gigatonnes de CO2 par an, soit près du quart des émissions mondiales actuelles. Mais pour y parvenir, il faudrait inverser le processus de la déforestation galopante. Seul hic : boiser une telle étendue – l’équivalent de la moitié des États-Unis – aurait l’inconvénient d’amputer d’autant les surfaces agricoles, ce qui pourrait faire grimper les prix des denrées alimentaires, et donc aggraver la famine dans le tiers-monde. Une autre option, fondée sur la biomasse, se heurterait au même écueil : elle consisterait à cultiver des végétaux pour les brûler, afin de produire de l’énergie tout en stockant le CO2 issu de la combustion – l’empêchant ainsi de se répandre dans l’atmosphère. Mais cette technique nécessiterait quasiment de doubler les terres cultivables. D’autres méthodes pour éliminer le gaz carbonique sont donc à l’étude. L’une d’elles, expérimentée par la start-up suisse Climeworks, propose de piéger le gaz dans le sol. Grâce au dispositif mis en place en Finlande depuis un an, des ventilateurs géants aspirent le CO2 de l’atmosphère, le mélangent à de l’eau, puis l’expédient à 700 mètres sous terre. À cette profondeur, la solution réagit au contact du basalte et se transforme en calcaire au bout d’environ deux ans. D’ici à 2025, Climeworks compte ainsi capturer 1 % des émissions mondiales. Mais des craintes persistent sur des possibilités de fuites, qui feraient s’échapper le CO2 brutalement dans l’atmosphère. Une autre solution consisterait à saupoudrer les océans avec du sulfate de fer, pour stimuler le phytoplancton en surface et absorber un maximum de dioxyde de carbone. Des centaines de gigatonnes de CO2 pourraient être emprisonnées d’ici à la fin du siècle. À l’étude également : l’alcalinisation des océans en déversant des milliards de tonnes de carbonate de calcium dans l’eau, afin de favoriser le piégeage du CO2 sous les mers. Au risque de modifier les équilibres chimique et biologique, mettant en danger la faune et la flore. Certains aspirent même à transformer le gaz carbonique en carburant. Alors
que faire ? L’an passé, des chercheurs du laboratoire d’électrochimie moléculaire de l’Université Diderot, à Paris, sont parvenus à recycler du CO2 en méthane, sous l’action de la lumière solaire. Une bonne quinzaine d’années de recherches restent malgré tout nécessaires avant d’espérer industrialiser ce procédé, qui pâtit encore d’un rendement très faible.
UN PARE-SOLEIL SPATIAL GÉANT. Certaines idées paraissent totalement dingues, comme ce projet de pare-soleil spatial géant, imaginé par Roger Angel, un astronome américain. Celui-ci suggère d’envoyer dans l’espace une flotte de 16 000 milliards de minuscules robots volants. De la taille d’un papillon, chacun d’eux serait doté d’un film transparent percé de petits trous pour filtrer les rayons du soleil, afin de rafraîchir la Terre. Sa proposition a tout de même le mérite de rappeler que la géo-ingénierie ne se confine pas à mater les gaz à effet de serre. Elle prévoit aussi d’atténuer le rayonnement solaire. Dès 2006, l’Américain Paul Crutzen, prix Nobel de Chimie, avait proposé de s’inspirer des effets provoqués par les éruptions volcaniques. Quinze ans plus tôt, aux Philippines, le réveil du Pinatubo avait fait baisser de 0,4 à 0,6 degrés les températures sur toute la planète. En cause, les nuages de soufre crachés par le volcan, qui avaient absorbé les rayons du soleil. D’où l’idée d’en insuffler dans l’atmosphère pour imiter les effets des éruptions volcaniques. « Les simulations numériques montrent que les particules injectées en grandes quantités dans la stratosphère peuvent refroidir la planète de deux, trois, voire quatre degrés, confirme Olivier Boucher. Mais cela nécessiterait de réitérer l’opération régulièrement, car les particules finissent par retomber, au bout d’un an environ. » Le chercheur précise aussi que le soufre abîmerait, dans des proportions encore mal connues, la couche d’ozone, qui nous protège des rayons ultraviolets. La calcite ou l’alumine pourraient s’y substituer. Des scientifiques avaient prévu de tenter l’expérience cette année, en envoyant des ballons dans la stratosphère pour libérer leurs composés chimiques au-dessus de l’Arizona. Mais elle a été ajournée. Un autre levier consisterait à modifier l’albédo, une grandeur physique qui désigne le pouvoir réfléchissant d’une surface. Le principe ? Plus un sol est sombre, moins il renvoie les rayons du soleil. L’idée est donc d’augmenter cet albédo, de façon à mieux rediriger les rayons du soleil vers le ciel afin d’atténuer le réchauffement au sol. Y parvenir à l’échelle de toute la planète paraît irréalisable. Diverses applications sont toutefois envisagées au niveau local. « Des études ont montré qu’en blanchissant l’asphalte des routes, ou les toits des maisons, on peut faire chuter les températures jusqu’à un degré, à l’échelle d’une ville. Cela contribuerait sans doute à sauver des vies pendant les vagues de chaleur », note Olivier Boucher. D’autres envisagent d’augmenter le pouvoir réfléchissant des nuages. Une des pistes préconisées serait de pulvériser de l’eau de mer dans le ciel. Une fois vaporisées, les particules de sel résiduelles feraient barrage au soleil.
SAUVER LA BANQUISE. Mais le projet le plus surprenant concerne la banquise de l’Arctique. « Nous pouvons sauver la glace en y saupoudrant du sable », confie Leslie Field, fondatrice de la start-up californienne Ice911 Research. Concrètement, elle propose de répandre des billes de silice de 35 microns de diamètre dessus pour accroître son albédo et réduire la température en surface. Ce qui empêcherait la banquise de fondre. Confortée par les tests qu’elle a menés sur un lac en Alaska, elle estime même que ce refroidissement contribuera à la reconstruire. Reste à savoir qui financera cette opération de sauvetage à 750 millions de dollars…