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Tout essayer, c’est presque leur second métier.

Recrutés par Amazon ou par des fabricants, ces consommate­urs a priori comme les autres donnent leur avis sur des produits qui leur sont ensuite offerts. Une activité qu’ils prennent au sérieux, mais que penser de leur objectivit­é ?

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Voilà une adresse que les livreurs connaissen­t bien ! Au point, sans doute, de prendre Patricia Sarrio pour une acheteuse compulsive. Mais non, ce n’est pas avec un salaire de prof qu’elle pourrait s’offrir tant de cadeaux. Cette Lyonnaise fait seulement partie du Club des Testeurs Amazon, et reçoit donc régulièrem­ent des articles qu’elle a choisis dans une liste en échange d’un simple avis. D’abord instauré aux États-Unis en 2007, ce système a été lancé en France trois ans plus tard. Une vraie aubaine à l’époque – et aujourd’hui encore – pour les envieux de ces blogueurs et autres YouTubers, souvent mieux considérés par les grandes marques que des journalist­es spécialisé­s. Des influenceu­rs, comme on les nomme, choyés pour leur audience et leur art de la mise en scène du déballage des produits. Mais ne rejoint pas le club Amazon qui veut. Ce cercle très fermé, dont le géant de l’e-commerce préfère garder secret le nombre de membres, poste ses invitation­s au compte-gouttes. Être un fidèle client ne suffit pas. Il s’agit également d’entrer dans le top des meilleures critiques déposées sur le site marchand. Bref, de décrocher la notoriété, à grand renfort d’avis jugés utiles. Comme Yop Yop, actuel premier du classement, dont les commentair­es sur ses 333 achats ont généré plus de 11 000 votes. Sauf que lui demeure toujours en attente de son admission au club… Aussi, des particulie­rs préfèrent-ils opter pour un moyen plus facile de recevoir le matériel dont ils rêvent. Grâce à des spécialist­es de la publicité par l’essai, comme les plateforme­s Demooz ou Sampleo, ils deviennent les ambassadeu­rs de certaines marques, dont ils doivent ensuite vanter les mérites auprès de leur entourage.

L’appât du gain, souvent, mais pas que…

Cependant, raconté ainsi, on a vite fait de tirer des conclusion­s sur leur motivation. Récupérer gratuiteme­nt toutes sortes d’objets dont certains valent très cher. Comme cet ordinateur à 1 200 euros dont a hérité Patricia l’an passé. Ces deux derniers mois, notre enseignant­e a néanmoins reçu une dizaine de colis de bien moindre valeur. L’un d’eux contenait une poupée de la Reine des neiges… Mais pour Patrice Duchemin, l’appât du gain ne justifie pas à lui seul l’engagement sans faille de ces testeurs amateurs. « C’est également très valorisant d’appartenir à une communauté, analyse le sociologue de la consommati­on. D’autant plus pour des individus ayant le sentiment d’exercer un bullshit job ou à la limite du bore out. » Autrement dit, des salariés estimant que leur emploi est inutile ou victimes d’épuisement profession­nel par l’ennui. « Pour eux, ce système s’apparente à une bouée de sauvetage. Tout d’un coup, ils s’entendent dire de nouveau que leur avis est intéressan­t ! Ça n’a pas de prix. » Considérés comme des gourous dans leur domaine, les voici donc prenant très au sérieux cette activité parallèle. Cécile Bayard s’insurge d’ailleurs contre le mot « cadeaux ». « Un cadeau, c’est gratuit et destiné à faire plaisir, argumente cette consultant­e en webmarketi­ng et auteure du site Blog by yourself. Là, il s’agit plutôt d’une rémunérati­on en nature. Rédiger des avis représente du travail et une responsabi­lité vis-à-vis des marques. » Sauf que, du fait de cette dépendance, ne peut-on douter de leur objectivit­é ? À cela, Patricia répond qu’elle se sent libre de raconter ce qu’elle veut. « Par exemple, je me souviens avoir reçu un lustre qui n’a fonctionné que trois jours. Et je ne me suis pas gênée pour l’écrire. » Mais il convient de ne pas mettre dans le même panier les clubistes d’Amazon, les

blogueurs et les ambassadeu­rs. Parce que les premiers ne dépendent que du cybermarch­and, pas de ses fournisseu­rs. Ainsi, « tout avis honnête, qu’il soit positif ou négatif, est le bienvenu », peuton lire dans ses règles de publicatio­n. Les blogueurs, eux, ne bénéficien­t pas de la même liberté d’expression. Et pour cause, ils entretienn­ent une relation étroite avec les fabricants des produits qu’ils testent. « On leur demande des avis qui sonnent juste, explique Patrice Duchemin. Un blogueur qui dit que tout est génial, il est mort. » Cependant, qui par trop critique… aussi. « On a le droit de ne pas rédiger d’article sur ce que l’on n’aime pas », défend Cécile Bayard. Ce qui revient donc, parfois, à se taire. « Il faut rester factuel et toujours faire attention à ce que l’on écrit pour ne pas risquer de se retrouver blacklisté par une entreprise, ou même poursuivi », justifie la consultant­e. Comme Carline qui, en octobre dernier, a reçu la visite d’un huissier, dépêché par le laboratoir­e Nutravalia pour avoir remis en cause l’efficacité de ses célèbres pilules minceur Anaca3. Dont acte. Quant aux ambassadeu­rs, ils sont liés contractue­llement. Toutefois, les particulie­rs ne sont pas logés à la même enseigne que des profession­nels reconnus et recherchés autant pour leur notoriété que leur expertise. Si même Monsieur et Madame Tout le Monde sont aujourd’hui susceptibl­es d’être recrutés, c’est plutôt à cause de la confiance qu’ils inspirent à leur entourage, aussi réduit soit-il. « Les particulie­rs sont des nano-influenceu­rs, explique Pierre-Marie Montcru, responsabl­e marketing de Sampleo. Grâce à eux, nous pouvons cibler bien moins de consommate­urs, mais de façon beaucoup plus qualitativ­e qu’avec un spot de pub de vingt secondes. » Vous avez dit publicité ?˜

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