La chronique de David Abiker
La liste de leurs envies.
Le monde se divise entre ceux qui détestent Noël et ceux qui, comme moi, adorent les jours de décembre précédant cette fête. Voyant le 25 arriver, j’ai demandé à tout hasard à mes filles, 14 et 18, ce qu’elles désiraient trouver sous le sapin. Mal m’en a pris : j’ai reçu une liste de doléances longue comme le cahier de revendications des « gilets jaunes ». Voici le contenu du texto, puisqu’à cet âge on ubérise le Père Noël en s’adressant directement à son organisme de financement.
Des baskets triple semelle d’une marque italienne bling-bling ( j’appelle ça des écrase-merdes), un abonnement Lime (les trottinettes électriques en libre-service), un scooter sans permis (tout aussi électrique), un piano à queue (14 se voit à la Philharmonie de Paris, interprétant des préludes de Bach), un MacBook Air (« genre noir », dixit 18), une béquille! (« si, pour que les gens aient pitié de moi », sic…). Je vous épargne les trente jours dans la suite princière d’un palace pour faire des fêtes avec les copains et sur la carte bancaire approvisionnée par l’auteur de ces lignes.
Les désirs d’ados me fascinent. Sans doute parce qu’ils répondent à une question complexe : comment s’insérer dans le monde, ne pas s’y ennuyer, et comment paraître. Alors j’ai interrogé ma communauté LinkedIn, soit 60 000 parents potentiels. Mes relations m’ont rencardé sur les envies de leurs 14-18 et je me suis senti, tout d’un coup, moins seul.
Les cadeaux « geeks et hightech ».
Ils arrivent en pole position avec des PS4 (et ses concurrentes), des casques de réalité virtuelle, un siège de gamer, des Nerf (des armes du futur aux couleurs dingues) et des monnaies virtuelles pour jeux vidéo!
Viennent ensuite les cadeaux « Frime et paraître ».
Des fringues et des marques. J’y classe aussi les iPhone 8 et 10 (et le prêt bancaire qui va avec), des cartes-cadeaux en pagaille pour des enseignes de prêt-à-porter, une montre à quartz (retour du vintage oblige), un maillot de foot de l’équipe de France à deux étoiles (introuvable)…
La famille des cadeaux pour faire, jouer et bouger.
De la déco pour la chambre, des accessoires de sport, des feutres spéciaux, des cours de plongée, un vélo, un skateboard, un ballon de basket, un baby-foot, des
Lego Technic, un appareil Polaroid.
Enfin, la famille du sens et de l’émotion.
C’est la plus belle. On y retrouve des livres (et oui, ils lisent encore), une Bible, Les Misérables de Victor Hugo (ils ont une conscience religieuse et sociale !). Sans compter les expériences hors normes, comme des places pour voir en direct, au cinéma, un ballet du Bolchoï.
J’arrête là cet inventaire à la Prévert. Que dit de nos ados, et de leurs désirs, cette lettre au Père Noël collaborative* ? Qu’ils veulent vivre avec leur temps, construire et se dépenser, enfin exister dans le regard des autres. Et, bien sûr, qu’ils veulent comprendre et aimer.
Je suis descendu à la cave et j’ai remplumé mon vieux sapin en plastique. En plastique, car je ne supporte plus d’abandonner un petit conifère naturel sur le trottoir et, accessoirement, de mettre des aiguilles partout et me faire engueuler par la concierge. J’ai donc remonté mon faux sapin roi des sous-sols et entrepris de le décorer. Je le fais toujours avec émotion, car ma mère mettait un soin particulier à enguirlander le plus beau de l’immeuble. J’aurais aimé partager avec mes filles cette émotion qui m’étreint chaque année en décembre et me donne ce sentiment d’avoir 7 ans durant les vingt-quatre jours du calendrier de l’Avent.
Évidemment, quand j’ai demandé leur aide, il n’y avait plus personne.