JUSTE UNE ILLUSION
Pour démarrer cette année que l’on vous souhaite pleine de santé – n’est-ce pas la première des libertés? –, il faut lire Antonio Casilli. Ce sociologue franco-italien s’intéresse à l’influence des technologies sur le comportement des humains. En 2009, alors que le publicitaire Jacques Séguéla considérait Internet comme « la plus grande saloperie jamais inventée »(1), responsable de l’enfermement de la société dans un océan de solitude, Casilli calmait le jeu. Les communications numériques, écrivait-il, sont à mettre « sur le même plan que les appels téléphoniques ou les lettres », des moyens techniques complétant les échanges « en chair et en os »(2). Autrement dit, ne prenons pas de simples outils pour l’incarnation du mal. Aujourd’hui, soit une décennie plus tard, le chercheur s’attaque à un autre mythe. Dans son nouvel essai(3), il démontre que les robots ne piquent pas notre boulot mais, au contraire, nous en fournissent. Car ces androïdes de données qu’on appelle plus communément, et par facilité, des intelligences artificielles dépendent totalement des hommes pour se nourrir. Aussi futées soient-elles, ces machines ne savent pas distinguer un chien d’un chat, un garçon d’une fille. De la Côte d’Ivoire à Madagascar, des milliers d’humains saisissent donc sur clavier quantité de données, en détaillant des images ou en transcrivant des documents. Pour une poignée de centimes, ces « microtâcherons » – c’est l’expression de l’auteur – effectuent une besogne de bûcheron, tant est vaste l’ampleur de l’entreprise. Par leur travail, ils créent l’illusion que les algorithmes sont autonomes. Une simple illusion. En revanche, ces forçats du clic rappellent des temps où le labeur se rémunérait à la tâche. Sans contrat, sans stabilité de l’emploi. On pense aux Temps modernes de Chaplin, où seul le tapis de la chaîne de montage tourne automatiquement, quand les boulons se serrent à la sueur des hommes. On se remémore aussi Paul Morand : « L’histoire, comme une idiote, mécaniquement se répète. » Alors on s’interroge : en remontant son fil, est-ce l’avenir que l’on révèle? Pour le commun des mortels, cela semble illusoire, mais pour une médium… Geneviève Delpech a rencontré récemment l’un des plus grands chercheurs du siècle dernier. L’invention du système de production et de transport du courant alternatif ou la transmission radiophonique, c’est lui. Lui, c’est Nikola Tesla. Dans un livre paru en 2016(4), Didier van Cauwelaert détaille cette expérience surnaturelle vécue par la veuve du chanteur français : le retour de l’audelà du scientifique mort pendant la Seconde Guerre mondiale. Celui-ci aurait profité de ce « passage sur terre » pour glisser à l’oreille de la médium la date du premier voyage dans l’espace-temps. Pour information, c’est prévu pour 2239. Reste que cette histoire à dormir debout, ou à ne plus jamais se coucher, offre un bon prétexte pour revenir sur le parcours rocambolesque de cet homme, qui inspire toujours plus de patrons de la Silicon Valley (lire p. 28). Ils se font rares, les inventeurs d’impossibles, comme ce projet de livrer de l’électricité partout dans le monde, gratuitement et sans fil. Bonimenteur, précurseur, tricheur : sur la Toile, chacun y va de son adjectif pour qualifier cet insomniaque chronique, doté d’une mémoire eidétique. Comme les intelligences artificielles, Tesla retenait les moindres détails de toutes les images passant devant ses yeux, ce qui ne l’a jamais enrichi en dollars. De quoi donner raison à l’académicien Jean Dutourd : « Le propre du génie est de découvrir gratis des choses que l’on démontre plus tard à grands frais. »