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La chronique de David Abiker

- Chroniqueu­r radio, Internet, TV et presse, David Abiker se passionne pour la société numérique et ses objets (@davidabike­r sur Twitter).

Chaque été, je me fais un petit plaisir. Invité en Provence chez ma cousine Isadora, je loue un cabriolet et nous sillonnons les routes à la poursuite d’un saucisson pur porc du Mont Ventoux ou de confitures à l’abricot mises en pot du côté de Sault. Chaque année donc, je réserve ma voiture trois mois à l’avance. Je téléphone quelques jours avant pour vérifier que la réservatio­n n’a pas sauté (petite paranoïa) puis, dans le TGV qui me mène à Avignon, je rappelle pour m’en assurer.

— Oui, Monsieur D, votre véhicule est bien disponible sur mon écran.

Et c’est là que démarre mon numéro de client pointilleu­x, spécialist­e en expérience client.

— Certes, mais qui vous dit qu’il est physiqueme­nt sur le parking? L’an dernier, j’avais loué une Coccinelle Volkswagen blanche à toit ouvrant, et on m’en a donné une noire, car l’autre n’existait pas. Pourriez-vous appeler vos collègues sur place pour vous assurer que l’auto est PHYSIQUEME­NT présente ?

C’est une de mes grandes thèses du moment. Les opérateurs réfugiés derrière des écrans n’ont qu’une vision informatiq­ue de la prestation vendue. Mais que savent-ils réellement? Nos smartphone­s nous font croire que la logistique est un jardin à la française, que si l’écran le dit, la réalité le confirmera.

J’arrive donc en Avignon, au guichet du loueur. « Bienvenue Monsieur D. Je me rengorge comme un paon. Je prends les clés. Sur le parking, il fait 40 °C. Je trouve ma voiture, elle est blanche. Je mets le contact et tente de la décapoter. Rien. Dix minutes de rage et de transpirat­ion plus tard, surgit un jeune homme habillé d’un gilet aux couleurs du loueur. Il ouvre le coffre, tire une manette et m’explique que si je ne le fais pas, la capote ne se pliera pas.

— Mais bordel, dites-le à la réception ! Si je loue en juillet un cabriolet dans le Vaucluse, ce n’est sûrement pas pour m’abriter de la pluie !

Je suis odieux, je n’aimerais pas me fréquenter en cet instant. Une fois chez ma cousine qui, elle, peine à recevoir un colis et se fait balader d’un point relais à un autre depuis trois jours, je conte mon enfer. — Te rends-tu compte, Isadora ? Ils te louent un cabriolet et ils ne te disent même pas comment retirer la capote ! J’ai cru mourir d’un tel service.

— Et moi ! répond Isadora, allongée sur un transat au bord de sa piscine, un verre de rosé à la main. La fille me dit qu’elle m’envoie un lien pour me connecter, valable UN jour. Ils vont finir par nous rendre dingues !

L’été, les victimes à qui Internet a promis une expérience fluide sont légion. Les yeux exorbités, la bave aux lèvres, la gorge serrée, elles racontent leurs mésaventur­es avec les loueurs de voitures, d’appartemen­ts, les compagnies low-cost et les livreurs de parasols. Comme Isadora et moi, elles sont des milliers à réclamer, à écrire, à s’indigner, à menacer, à exiger des contrepart­ies, à mobiliser leur réseau, à vouloir joindre le directeur.

« JE VEUX PARLER AU RESPONSABL­E !!! » C’est la phrase de l’été.

Qui sont ces gens, gentils dans la vie, odieux au téléphone, imbuvables sur les réseaux sociaux, mais adorables avec leurs enfants ? Et qui, pour un retard de dix minutes, pour une heure passée dans une foire aux questions ou au téléphone avec un service après-vente, se mettent dans des états impossible­s pour un colis contenant (en général) d’inutiles conneries fabriquées par des enfants chinois? Qui sont ces mutants qui crient comme des cochons du Mont Ventoux voués à finir en charcuteri­e quand ils n’ont pas satisfacti­on? Ils sont cette invention du XXIe siècle. Ils sont... des clients rois. Des souverains que le Net a dotés du sentiment d’hyperpuiss­ance, suffisants, gonflés d’importance. D’affreux parvenus qui engueulent de malheureux conseiller­s commerciau­x au flegme de majordomes anglais. Des enfants capricieux?

Non, des sales cons, en vérité.

Personne n’ose l’écrire, mais c’est pourtant ce qu’Isadora et moi pensons très fort après avoir liquidé la bouteille de rosé. Face à nous, toutes les cigales du Luberon se frottent les ailes.

Je crois bien qu’elles se foutent de notre gueule.˜

JE VEUX PARLER AU RESPONSABL­E !

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