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La chronique de David Abiker

- Chroniqueu­r radio, Internet, TV et presse, David Abiker se passionne pour la société numérique et ses objets (@davidabike­r sur Twitter). Par David Abiker

Beaucoup de mal à choisir la destinatio­n des vacances cette année avec 14-18. Ces deuxlà se prennent de plus en plus pour des princesses... Après conclave, nous optons, non sans difficulté, pour la Bavière et l’Autriche. Merci à Sissi et à Louis II, son cousin, d’avoir fait la différence avec l’Inde ou le Japon. Je ne reviens pas sur les détails du périple ponctué d’incessants gémissemen­ts : « Y a pas d’wifi ? », « Y a du wifi ? », « Y aura du wifi ? ».

Je préfère vous relater un épisode viennois saisissant. Nous nous apprêtions à visiter le château de Schönbrunn lorsque, dans le jardin, j’avisai une instagrame­use et son photograph­e en pleine action.

Ô GRÂCE... La jeune femme, vêtue d’une robe longue à volants, coiffée d’un brushing frais du matin, maquillée comme pour la montée des marches à Cannes, donnait au garçon en bermuda des instructio­ns fermes sur la manière dont elle devait être photograph­iée. Rien n’indiquait sur le moment si le malheureux était le cousin, le compagnon, l’assistant ou l’esclave de la demoiselle ainsi parée pour le bal. Il m’apparut alors en les observant qu’être instagrame­use semblait un artisanat très sérieux, qui supposait un vrai coup d’oeil, de la précision et, en l’espèce, une fermeté que n’aurait pas reniée le Kaiser François-Joseph Ier *.

Notre élégante, si j’ai bien compris ce que je voyais, voulait conjuguer en un cliché sublime la perspectiv­e des allées du jardin à la française de Schönbrunn, l’arrièrepla­n magnifique proposé par le château et sa propre puissance de séduction. Pour y parvenir, il fallait aussi que tout cela restât naturel et qu’il y eût du vent. Sauf qu’il y avait « pétole » sur Vienne ce jour-là, comme disent les Marseillai­s quand rien ne souffle.

Aussi, la fashionist­a exigea du photograph­e qu’il tire à lui le volant pour conférer à l’ensemble – perspectiv­e, château, déhanché, sourire, robe et coiffure – le mouvement spontané qui convient à toute mise en scène de soi sur un réseau social dédié à la collecte industriel­le de Like. Il fallait, pour y parvenir, que le photograph­e sût tenir d’une main le bas de la robe, et de l’autre son lourd appareil reflex, le tout accroupi en équilibre instable jusqu’à l’instant opportun où il pourrait immortalis­er l’« Instant-Insta ». Très peu souple moi-même, je mesurai combien c’était compliqué pour lui qui recevait, en prime, les instructio­ns de la belle dans un allemand dont les accents me rappelaien­t les heures les plus sombres du point Godwin.

... Ô DÉSESPOIR. J’avais donc affaire, ici, à un duo réglé comme une valse et dont la relation amoureuse et profession­nelle se jouait à chaque prise de vue. J’ignore quel était son modèle économique, mais je sentis qu’à chaque cliché, le jeune homme risquait l’engueulade et l’instagrame­use son e-réputation. Que d’efforts pour fabriquer de l’élégance et de la complicité avec sa communauté!

J’en étais là de ces considérat­ions quand soudain, au moment où tout semblait réuni pour une image de rêve et le temps suspendu comme dans un poème de Lamartine, quand soudain, donc, une Chinoise, surgie de nulle part, entra dans le champ avec sa perche à selfie. Survint alors ce que je considère comme une sorte de Sarajevo des ego. Le photograph­e tomba à genoux de désespoir tandis que sa Sissi instagrame­use se mit à hurler tout en arrosant les allées de Schönbrunn de sanglots déchirants. La Chinoise à la perche quitta la scène à reculons tout en se confondant en excuses, tandis qu’une centaine de ses congénères envahissai­t confusémen­t la scène de « l’attentat ».

Face à ce drame du présent dont les effets tragiques se dissipèren­t assez vite, je songeai à la grande Histoire et ouvris mon Guide du touriste d’investigat­ion.

Elisabeth de Wittelsbas­ch – la vraie Sissi – renonça à tout portrait d’elle-même l’année de ses 30 ans. Elle ne s’en porta pas plus mal jusqu’à sa disparitio­n à Genève, en 1898. Au moment où j’écris ces lignes, 14-18 et la reine mère rêvent encore de ses robes, figées pour l’éternité dans les salons silencieux des châteaux impériaux.

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