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« Je délègue ma créativité aux algorithme­s

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Lauréat du Lumen Prize 2018, une récompense qui célèbre le mariage de l’art avec les nouvelles technologi­es, cet Allemand est le précurseur d’un courant artistique original.

01 NET MAGAZINE L’art généré par intelligen­ce artificiel­le, est-ce encore de l’art ?

MARIO KLINGEMANN Qu’un ordinateur soit impliqué dans une création ne change rien. Si la légitimité d’une oeuvre se mesurait à la quantité d’interventi­ons manuelles nécessaire­s à sa conception, vous pourriez jeter à peu près 80 % des ouvrages exposés dans les musées d’art contempora­in ! Si l’on crée quelque chose avec une intention, si cela touche à des enjeux de notre temps, c’est de l’art. Ce peut-être médiocre, avoir peu d’intérêt, ça reste de l’art.

01 NET Qu’y a-t-il derrière Memories of Passersby I, votre dernière création ?

M.K. Cette installati­on est composée de deux écrans 4K, sur lesquels défilent des visages d’hommes et de femmes. Ces portraits ne sont pas issus de bases de données, ils sont générés en temps réel, en streaming, pixel par pixel, par des algorithme­s qui tournent en boucle à l’infini, en créant à chaque fois des têtes différente­s. L’intelligen­ce artificiel­le met simultaném­ent en oeuvre sept

neurones« réseaux de antagonist­es génératifs, les GAN. J’ai organisé ces réseaux en les adaptant aux contrainte­s d’un affichage en ultrahaute définition, et j’ai entraîné l’IA à partir de milliers de portraits conçus par des peintres européens.

01 NET En quoi cette oeuvre diffère-t-elle des portraits du collectif français Obvious ?

M.K. Leurs portraits sont aussi engendrés par des réseaux antagonist­es génératifs. Mais la comparaiso­n s’arrête là. L’approche d’Obvious est basique, ils ont repris l’intelligen­ce artificiel­le qu’un jeune artiste américain, Robbie Barrat, avait partagée sur son compte Github. Le résultat est donc semblable à ce qui avait déjà été produit auparavant. Surtout, leur processus de création fait largement appel à la main de l’homme : le choix du tableau qu’ils ont vendu aux enchères, l’ajout de la signature, le cadre doré qui entoure la toile, etc. Avec Memories of Passersby, à l’inverse, je cède le contrôle aux algorithme­s dès qu’ils se déclenchen­t. À partir du moment où une machine peut créer d’infinies variations autour d’un thème, choisir de mettre une oeuvre en avant, c’est passer à côté de l‘essence même de l’art génératif. Il faut laisser le public vivre sa propre expérience, et voir le cerveau de la machine créer l’oeuvre devant lui, en direct.

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