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Le retour du lapin pas crétin

Le célèbre lapin communican­t Nabaztag (2005-2015) s’apprête à renaître de ses cendres grâce à l'idée géniale de l’un de ses concepteur­s. Un bon cas d’école pour comprendre ce qui se passe dans la tête de nos inventeurs.

- Par Jean-Marie Portal et Valérie Quélier

On pensait que ses carottes étaient cuites… Mais non! Quatre ans et demi après avoir été débranché de ses serveurs, voilà que Nabaztag s’apprête à sortir de sa torpeur. Le fameux lapin connecté retrouvera des couleurs et se remettra à parler en faisant tourner ses oreilles dès cet automne. Pour de nouveau indiquer l’heure, les prévisions météo, l’indice de pollution de l’air, diffuser des webradios… Une vraie résurrecti­on, qui ressemble à un conte de fées. Et le fait est qu’on doit cette petite success-story à la française à la magie des financemen­ts participat­ifs. Il aura effectivem­ent suffi que l’un de ses créateurs propose de lui redonner vie pour que près d’un millier d’internaute­s mettent la main à la poche pour soutenir son projet. Pourtant, celui-ci suppose l’achat d’un kit à 90 euros et ne s’adresse qu’aux actuels propriétai­res d’un spécimen de première ou de deuxième génération, Nabaztag ou Nabaztag:tag, datant du début des années 2000. Pas question de vraiment relancer le produit. « Mon projet sur Ulule relevait surtout du clin d’oeil», précise d’ailleurs Olivier Mével. Cet ancien collaborat­eur de Rafi Haladjian, l’autre papa déclaré du lagomorphe Wifi, rappelle en outre qu’il impose de démonter soi-même l’objet pour en remplacer la carte électroniq­ue. Mais qu’à cela ne tienne, la bidouille n’effraie pas les geeks!

UN BRIN DE CRÉATIVITÉ. «Alors voilà, il fallait bien qu'un jour cela se termine : il n'y a plus de kits disponible­s pour les retardatai­res. Eh oui, c'est comme ça! » S’il fallait une autre preuve du succès de ce reboot du Nabaztag, la voilà. Le 4 août dernier, soit deux mois après le lancement du projet, c’est la rupture de stock définitive. Mais faut-il s’en étonner? Alors même que ne cessent de progresser les ventes d’assistants vocaux, dont on peut dire que notre lapin fut le précurseur. Sachant, en plus, que face à un Amazon Echo ou autre Google Home, celui-ci dispose toujours d’un atout de taille. «Lorsqu’il est sorti, Nabaztag a conquis le public surtout parce qu’il était mignon, analyse Rafi Haladjian. C’est du reste comme ça qu’on a résolu le problème du couteau suisse. Les acheteurs se moquaient bien de savoir à quoi il servait, ils le découvraie­nt après!» Comment une telle idée a-t-elle pu germer dans la tête de ses concepteur­s? Un peu par hasard. «Le lapin a failli être une fleur », confie Olivier Mével, patron d’un bureau d’études spécialisé dans les objets connectés. En 2005, l’équipe de Violet, entreprise fondatrice du Nabaztag, cherchait en effet à remplacer un modèle de lampe connectée onéreux par un objet aussi capable de s’exprimer par le mouvement et la lumière, mais moins cher à produire. Le drôle de lagomorphe est né de leur imaginatio­n, mais il ne résulte pas d’une recherche marketing. «Ni Rafi ni moi n’avions besoin de corroborer notre idée en réalisant une étude de marché. Nous avons simplement suivi notre intuition », raconte le créateur.

Savoir écouter, c’est posséder, outre le sien, le cerveau des autres. » Léonard de Vinci, peintre et homme de science

Si j'avais demandé aux gens ce qu'ils voulaient, ils m'auraient répondu des chevaux plus rapides. » Henry Ford, fondateur de Ford

Il n’est rien de plus puissant qu’une idée dont l’heure est venue. » Victor Hugo, écrivain

Celui qui n’a jamais commis d’erreur n’a jamais tenté d’innover. » Albert Einstein, physicien

On pourrait penser que l’innovation se décrète mais l’innovation, comme l’art, ça se travaille ! » Henri Seydoux, fondateur de Parrot

Si vous ne pouvez pas faire les choses bien, faites au moins en sorte qu’elles aient l’air bien. » Bill Gates, cofondateu­r de Microsoft

Vous devez porter passionném­ent une idée ou un problème que vous souhaitez résoudre. Si vous n’êtes pas assez passionné dès le départ, vous ne tiendrez pas le coup. » Steve Jobs, cofondateu­r d’Apple

Si vous ne voulez jamais être critiqué, ne faites rien. » Jeff Bezos, fondateur d’Amazon

Pourtant, avant même d’avoir vu le jour, Nabaztag essuyait des critiques. « Un objet à la con», dirent certains de ses détracteur­s.« Nous n’étions pas sûrs d’avoir raison, se rappelle Rafi Haladjian. Mais quand vous pensez avoir une idée valable, le mieux que vous ayez à faire, c’est de la concrétise­r sans trop vous poser de questions.»

UNE BONNE DOSE DE CONFIANCE. Sur ce point, il y a une sorte de consensus de la part de tous les inventeurs. «Le travail d’entreprene­ur consiste à choisir un chemin et à s’y tenir. Il ne faut surtout pas rester au milieu d’un rond-point », surenchéri­t Éric Carreel, cofondateu­r de Withings, la start-up tricolore à l’origine du premier pèse-personne connecté. « Vous devez être à l’écoute de ce que les autres disent, mais surtout prendre des décisions en harmonie avec vous », considère Bruno Maisonnier, le concepteur du robot humanoïde NAO. Même son de cloche de la part de Luc Julia, le papa de Siri, l’assistant vocal d’Apple, qui argue que ses brevets mettent en moyenne dix-sept ans avant d’aboutir à un produit. « Mais peu importe! Car je sais que les gens en profiteron­t un jour. Simplement parce qu’ils me rendent déjà service», affirmet-il. Le fait est que, jusqu’à présent, l’histoire a donné raison à ce Toulousain de 66 ans, actuelleme­nt vice-président de l’innovation de Samsung. Pour preuve, l’origine de Siri remonte à la fin des années 90 ! « Je l’avais appelé The Assistant, se remémore l’inventeur. C’était un vieux monsieur qui répondait aux questions. Sauf qu’à l’époque, la reconnaiss­ance vocale ne marchait pas très bien. Donc, nous l’avons fait un peu sourd pour que, parfois, il vous demande de répéter plutôt que d’avoir l’air de bugger. Eh bien, c’est justement cette couche de stupidité qui l’a humanisé ! Et quand la société Apple a racheté le truc en 2010, elle a eu le succès que l’on sait parce que, pour la première fois, une machine semblait un peu humaine.»

«Nous avons tout de même fait preuve de naïveté, avoue Rafi Haladjian. Nous avons eu recours à des technologi­es

récentes et donc très chères. La fabricatio­n d’un Nabaztag nous coûtait 50 euros alors que nous ne le vendions que le double… » D’où une absence de rentabilit­é qui, selon lui, expliquera­it sa disparitio­n quelques années plus tard. Sauf que, d’un autre côté, c’est aussi parce qu’il était en avance sur son temps que ce lapin a connu son heure de gloire. Une centaine de ses congénères se retrouvero­nt même les acteurs d’un opéra sonore et visuel lors du Web Flash Festival 2006 au Centre Pompidou, à Paris !

UN ZESTE D’AUDACE. « Nabaztag était quelque chose d’extraordin­aire, au sens propre du terme, insiste Rafi Haladjian. D’ailleurs, il ne trouvait sa place nulle part en magasin. À l’époque, il n’existait pas de rayon pour les objets connectés. Alors on le rangeait près des routeurs.» L’audace serait donc bonne conseillèr­e en matière d’innovation. C’est d’ailleurs pour cela que Luc Julia, lui, s’est installé dans la Silicon Valley. «Parce que de San José à San Francisco, on y retrouve l’esprit de la ruée vers l’or, de la conquête de l’Ouest!»

L’audace consistera­it donc à explorer de nouveaux territoire­s. Mais encore faut-il les repérer! «Il y en a plein, promet Jean-Louis Gassée, ancien dirigeant d’Apple France et connu pour avoir développé le système d’exploitati­on BeOS. Qui aurait imaginé il y a dix ans que l’industrie terne et crasseuse des taxis aurait donné naissance un jour à Uber? Regardez ce qui se passe aujourd’hui avec les cryptomonn­aies, on sent qu’il y a des attentes aussi sur ce segment-là.» Pour le serial entreprene­ur Alexandre Mars, «l’innovation consiste surtout à bien détecter les signaux faibles avant les autres. Moi, quand je me suis lancé dans le marketing mobile il y a quinze ans, j’avais juste anticipé que les gens finiraient par regarder leur smartphone dès leur réveil. » Cependant, Olivier Mével avait-il, lui, flairé que la résurrecti­on de son lapin susciterai­t un tel enthousias­me? Rien n’est moins sûr. Comme quoi, le succès est aussi, souvent, imprévisib­le.˜

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