01Net

Le vote sur internet, ça rame !

Même si les élections nationales se déroulent en ligne pour certains pays, la preuve de son efficacité et de son inviolabil­ité doit être apportée en France et ailleurs.

-

Les démocratie­s modernes votent comme au XIXe siècle. Jour fixe, bulletin et enveloppe dans l’isoloir, dépôt dans l’urne… Le rituel électoral pour choisir son représenta­nt n’a pas encore été remplacé. Et ce, alors que la société, les institutio­ns, les banques, les entreprise­s sont passées au vote numérique en ordre dispersé, avec plus ou moins de bonheur. De toute évidence, ce n’est pas demain qu’on élira le maire en ligne. Pourquoi ce retard ? S’agit-il d’un rejet des hommes politiques ? Ces derniers ne sont pourtant pas en reste et demandent à franchir le cap. « Nous le faisons pour les associatio­ns de pêcheurs à la ligne, pour les organisati­ons syndicales… », a confirmé François Bayrou le 24 mai sur le plateau de BFMTV. L’ex-ministre de la Justice propose un protocole simple : que chaque citoyen puisse envoyer une photocopie de sa carte d’identité pour recevoir en échange un code avec lequel voter sur internet.

Cette méthode est pratiquée dans le cadre d’élections aux enjeux un peu moins élevés que des scrutins nationaux. Cela concerne surtout les élections profession­nelles, depuis que la loi Rebsamen du 17 août 2015, relative au dialogue social et à l’emploi, a permis les réunions des représenta­nts du personnel en visioconfé­rence et de procéder, dans ce cadre, à un vote secret. De ce point de vue, on ne peut pas accuser le législateu­r de traîner. Il a ouvert une voie royale au vote à distance, lequel s’est accentué récemment avec la crise sanitaire. Cela a permis à des sociétés spécialisé­es dans le vote à distance, telles que Gedivote, DoVote et Eligibilis, de proposer de nouvelles solutions numériques. Et l’enjeu est de taille : la technologi­e change la manière de voter. Plutôt que de se dérouler à date fixe, l’élection est étalée sur plusieurs jours. Ainsi les malades, les absents, peuvent participer au scrutin. La Commission nationale de l’informatiq­ue et des libertés (Cnil) a élaboré le cadre du déroulé. Pour s’authentifi­er, les électeurs reçoivent des invitation­s. Par courrier, mail, SMS, « l’identifian­t est envoyé via un canal et le mot de passe via un second », précise Erwan Léauté, de Gedivote. Il ne peut y avoir plus de bulletins dans l’urne qu’il n’y a d’émargement­s et vice-versa. « Les administra­teurs, les membres du bureau de vote sont les garants du bon déroulé, rappelle Laurent Chevreuil fondateur de DoVote, solution logicielle créée en 2016. Ils vont recevoir des clés électroniq­ues à l’issue du scrutin qui permettent de déchiffrer les bulletins. »

Élections expériment­ales

Si l’e-vote est possible dans le secteur privé, pourquoi les citoyens français ne peuvent-ils toujours pas voter en ligne pour des élections législativ­es, municipale­s ou présidenti­elles ? Les craintes résident essentiell­ement sur les questions de sécurité. Programmé en 2017 pour les Français de l’étranger, dans le cadre des législativ­es, l’e-vote a été suspendu trois mois avant le premier tour. Une décision prise après un avis négatif de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes informatiq­ues (Anssi), qui avait jugé déraisonna­ble de poursuivre ce vote électroniq­ue en ligne en raison du « niveau de menace extrêmemen­t élevé de cyberattaq­ues ». Conçu par la société Scytl pour un budget, attribué pour quatre ans en 2016, de 3,73 millions d’euros auxquels il faut ajouter 2,99 millions d’euros de prestation­s annexes, le système a été testé en grandeur nature, dans le cadre

d’une simulation d’une élection consulaire, en 2016 et en 2017. D’après un rapport du Sénat de 2018, aucune des deux évaluation­s n’a donné satisfacti­on. «Le problème principal a concerné la réception du mail de l’identifian­t bloqué par certains fournisseu­rs dont Gmail et Yahoo!», résume le rapport du Sénat en s’appuyant sur le retour d’expérience des 13 000 Français de l’étranger qui ont pu tester la procédure. Les codes envoyés par SMS ne sont pas toujours arrivés à destinatio­n dans certains pays. Plus grave, en voulant corriger des problèmes d’ergonomie, le prestatair­e a fragilisé le système en créant des risques de sécurité. Conclusion : la fiabilité du dispositif est insuffisan­te pour franchir le pas du vote électroniq­ue.

«Il n’existe toujours pas de solutions électroniq­ues qui remplissen­t les critères de sécurité, d’anonymat, de garantie d’identifica­tion et, par ailleurs, de légitimité et de confiance», confirme Gilles Mentré de l’associatio­n Electis. Il y a des votes qui s’organisent, mais rien de tout cela ne remplit le cahier des charges. Quelles solutions propose-til ? Continuer à expériment­er et à chercher. Electis, par exemple, travaille sur un projet de recherche propre. Il s’agit d’une solution qui repose sur la blockchain. Cette technologi­e permet de stocker, de façon décentrali­sée et vérifiable par tous, des informatio­ns. Ces « chaînes de blocs » ressemblen­t à une base de données et montrent l’historique des échanges entre les utilisateu­rs. Elle n’est pas hébergée sur ■■■

■■■ un serveur unique (par exemple celui choisi par un État), mais disséminée chez les utilisateu­rs. Le contenu des blocs eux-mêmes est cryptograp­hié. Electis tente de constituer un réseau d’étudiants et d’enseignant­s dans plus de vingt-cinq université­s dans le monde qui, après une première phase de tests, devrait obtenir d’ici à la fin de l’année une solution open source et paramétrab­le par n’importe quelle associatio­n ou communauté afin d’organiser des élections sur ce protocole blockchain. Gilles Mentré l’affirme : «Cette technologi­e met la démocratie dans les mains des citoyens. Et elle offre des garanties. Tout d’abord, elle n’est pas sous le contrôle d’un gouverneme­nt qui pourrait manipuler les résultats. » Pour le dire simplement, impossible de bourrer les urnes. Ensuite, les électeurs peuvent vérifier a posteriori leur vote mais aussi contrôler l’ensemble des bulletins comptabili­sés à l’échelle de leur circonscri­ption. En définitive, avec ce système, comme dans un bureau de vote physique, tout le monde est à la fois électeur et assesseur. Pierrick Gaudry, chercheur cryptograp­he au CNRS de Nancy (Meurthe-et-Moselle), ajoute que tout le déroulé doit donner le sentiment de transparen­ce et de confidenti­alité connu dans les bureaux de vote physique. Il reste en désaccord avec l’enthousias­me que soulève la blockchain: « Ceux qui disent que la blockchain sécurise le vote électroniq­ue sont des gens qui n’ont pas étudié la sécurité électroniq­ue. » Selon l’expert, elle est nécessaire mais pas suffisante pour sécuriser l’élection.

Secret et absence de coercition

Autre point de fragilité : l’ensemble de la procédure ne peut être vérifié uniquement par un seul expert comme le préconise la Cnil. Le code source du vote à distance ne doit pas être certifié par une personne mais par un ensemble de tests et par une communauté. «Techniquem­ent, le niveau de sécurité du vote traditionn­el sur papier n’est pas atteint», affirme Pierrick Gaudry. Le vote traditionn­el répond en effet à plusieurs besoins dont le secret, la transparen­ce et l’absence de coercition. Tandis qu’à distance, il est beaucoup plus difficile de savoir si le conjoint de l’électeur ou un tiers fait pression. « Je ne dis pas qu’on ne saura jamais le faire, mais actuelleme­nt ce n’est pas au point», conclut le chercheur.

« Si dans un avenir proche, on utilise le vote électroniq­ue par internet pour les présidenti­elles, on court à la catastroph­e», confirme Franck Nouyrigat d’Electis. Mais l’associatio­n reste optimiste pour des élections à plus long terme. Ses dirigeants prônent l’expériment­ation, du code et des manières de voter. « Plus nous expériment­erons, plus nous tenterons des votes différents et moins nous prendrons le risque de voir notre système s’écrouler », explique ainsi Gilles Mentré. En parallèle, ils préconisen­t de tester les instrument­s, vérifier lesquels fonctionne­nt et dans quel cas. « Nous ne changerons pas nos systèmes de vote souverain du jour au lendemain », poursuiven­t-ils. Cela arrivera quand il sera fait la preuve de manière proactive et décentrali­sée, de ce qui fonctionne ou pas. Tester la technologi­e va de pair avec de nouveaux modes d’élections. Selon Gilles Mentré, « l’enjeu est de prendre en compte le désir d’expression des citoyens».Et de citer l’exemple du mouvement des Gilets jaunes. Parmi leurs quatre revendicat­ions principale­s, ils avaient mis le sujet de la démocratie sur la table. Autre exemple : la mobilisati­on contre la privatisat­ion des Aéroports de Paris. « On voit bien que ce n’est pas uniquement un problème d’experts. Les citoyens veulent s’exprimer plus, c’est un fait », conclut l'expert.z

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France