IL LANCE LA PREMIÈRE PLATEFORME DE STREAMING MUSICAL PANAFRICAINE
Le rappeur sénégalais Nicolas Omar Diop, alias Nix, s’est associé à son amie d’enfance, Awa Diop Girard, pour fonder Deedo, une plateforme musicale tournée vers la musique africaine.
Ils en ont fait du chemin les ados de Point E! Le binôme du quartier central de Dakar était loin de se douter, au début des années 1990, que leur amour du rap les mènerait à créer, près d’une trentaine d’années plus tard, la première plateforme panafricaine de streaming musical. En véritable pionnier du rap sénégalais, Nix a observé tout au long de sa carrière les carences des différentes industries artistiques avec lesquelles il a dû composer. « Quand on est artiste, qu’on galère pour certaines choses et qu’on nous dit juste “c’est comme ça ”, au bout d’un moment on crée les infrastructures nécessaires ou on rectifie. Donc finalement, ma fibre entrepreneuriale a commencé par là », explique le quadragénaire. Attaché au Sénégal, son refus de quitter le pays pour poursuivre sa lancée en France, malgré les sollicitations, a toujours été inflexible : « il faut arrêter de partir et développer les concepts chez nous ». Une conviction qui a porté ses fruits puisque Deedo est disponible aujourd’hui dans huit pays et comptabilise plus de 14 millions de titres et 52 000 abonnés.
Pensée pour les Africains, la start-up aide à palier les difficultés engendrées depuis la transition numérique de la musique enregistrée. L’idée initiale du projet est mise sur la table par Awa Diop Girard en 2011, alors venue soutenir l’artiste à l’occasion de sa première date de concert à Paris. «On a remarqué que le problème majeur en Afrique n’est absolument pas le talent. C’est la diffusion et son encadrement. Les artistes produisent, et on ne sait pas ce que ça devient après. Ils balancent ça sur internet ou alors ça part dans la nature, mais rien ne leur revient une fois leurs morceaux terminés», raconte Nix. Le pari est lancé par Awa à l’issue de la conversation : « Et si on créait notre propre plateforme ? »Ainsi, six ans après, l’application mobile Deedo était téléchargeable depuis le Sénégal, le Mali, la Côte d’Ivoire et la France.
DU COUSU MAIN POUR L’AFRIQUE ET SA DIASPORA. Sur la forme, le modèle de Deedo n’est pas si différent de celui d’Apple Music, Spotify ou Deezer. C’est sur le fond et dans les détails que se trouvent les particularités relatives au marché africain sur lesquelles la jeune start-up continue de gagner du terrain. « Il faut surtout faire avec ce qui est propre au continent, et proposer une solution viable, comme pour le faible taux de bancarisation. L’Afrique a besoin de s’identifier à quelque chose qui lui ressemble», soulève Nix. Aussi, l’équipe a mis en place un système de paiement par portefeuille mobile (Orange Money, Western Union) pour ses trois formules d’abonnement (gratuit avec publicité, accès payant au mois ou renouvellement mensuel automatique). Un autre point essentiel: les langues. Pour l’instant, l’appli est paramétrable en français, en anglais, en peul (parlé par 40 millions de personnes en Afrique de l’Ouest), « et bientôt en wolof, en bambara, et dans les langues majoritaires des régions qui entrent dans le plan d’extension ».
LES ARTISTES AFRICAINS REVALORISÉS. Outre les géants nigériens comme Burna Boy, Wizkid ou Tiwa Savage, les artistes africains demeurent peu représentés et mal référencés au niveau international. « Même sur les plateformes comme Spotify, qui en étaient à leurs débuts à l’époque où on réfléchissait à créer Deedo, c’était compliqué de retrouver des morceaux de musique du continent qu’écoutaient nos parents », se rappelle Nix. Kwaito sud-africain, semba angolaise, bongo flava tanzanienne et bien d’autres styles, souvent noyés sous l’étiquette « musiques du monde » sur les plateformes d’écoute, sont à retrouver sur l’appli panafricaine qui référence les artistes selon plusieurs méthodes de classification. « Si on veut retrouver un titre ancien dont on n’a pas forcément le nom, on peut chercher par pays, par style, ou directement dans la catégorie des artistes décédés, et ça réduit déjà le champ des possibilités», continue Nix.
Pour contrebalancer la starification à outrance des chanteurs afro-américains en vogue, Deedo prend le parti de positionner les artistes du continent en première ligne sur son interface : « Celui qui a besoin d’être mis en avant, c’est celui qui vient du Mali, du Sénégal. On redistribue les cartes d’une manière plus équitable.» Une formule qui semble fonctionner, au regard des chiffres enregistrés par la plateforme : les quinze premières places sont occupées par des artistes africains. « On observe une Afrique qui s’écoute et qui se donne de la force», se réjouit Nix, qui regarde l’avenir de Deedo d’un oeil optimiste. D’ailleurs, l’appli sera bientôt disponible dans vingt-sept pays, dont dix-neuf d’Afrique occidentale et centrale, courant 2021.